La ville d’Arles abrite depuis 1868 un musée des beaux-arts riche en histoire puisqu’il fut le siège de « la langue de Provence » de l’ordre des chevaliers de Malte, avant d’être acheté par le peintre Jacques Réattu, Grand Prix de Rome en 1791. Il abrite, entre autres, des œuvres de ce peintre, d’une très belle facture classique, et une collection de dessins de Picasso (des portraits). Il est surtout, depuis 1965, à l’initiative de Lucien Clergue (1934-2014) et du conservateur de l’époque, un musée de la photographie, et donc à l’origine de ce qui est devenu, en 1970, les Rencontres d’Arles. Une exposition temporaire (jusqu’au 3 janvier 2016) présente une sélection de 210 photographies parmi les quelques 5000 qui constituent le fond du musée. A peu près tous les grands noms de la photo sont présents, avec, naturellement, Lucien Clergue, célèbre pour ses nus féminins, ici en surimpression sur des tableaux de Réattu : hommage obligé à l’ancien maître des lieux.
Sans remonter jusqu’aux origines de la photographie, la sélection va de Nadar (1820-1910) à Olivier Roller avec une photographie prise en 2013. Sont également présentés quelques rayogrammes (ou photogrammes). De Nadar, on remarque en particulier, rangés dans des tiroirs, les portraits de personnalités de la Belle Époque. Les nostalgiques du monde de Proust se pencheront avec un intérêt redoublé sur celui de la princesse Bibesco assise à sa table de travail. Le huitième art peut aussi jouer avec les autres arts : tel est le cas d’O. Roller avec sa photographie d’une tête de Rodin, L’homme au nez cassé (2013). Or l’accrochage est tel qu’elle se reflète dans un portrait de Jan Svenungsson, Le Témoin (1988), dont le visage est remplacé par un miroir. Régressions : l’auteur de ces lignes – dont on aperçoit vaguement la silhouette – a photographié la photo de Svenungsson dans laquelle se reflète la photo par Roller de l’homme au nez cassé de Rodin.
Les jeux sans fin auxquels la pratique de la photographie donne accès offrent une transition toute trouvée avec les expositions consacrées (jusqu’au 10 janvier 2016) à David Hockney et à Raphael Hefti, à la Fondation Van Gogh, à quelques pas du musée. Cette fondation, qui a ouvert ses portes en 2014 dans un hôtel particulier entièrement rénové, à l’initiative de Luc Hoffmann, petit-fils du fondateur de l’entreprise Hoffmann-La Roche, se voue à « mettre en lumière la résonance de l’œuvre de Van Gogh dans l’art actuel ». Même si le lien entre les artistes exposés et le peintre des Tournesols n’est pas toujours facile à percevoir, on ne peut que se féliciter de l’apparition d’un nouveau lieu qui contribuera à acclimater à l’art contemporain les Provençaux ainsi que les nombreux visiteurs venus d’ailleurs[i].
Quel lien entre la photographie et les deux artistes exposés à la Fondation ? Si David Hockney est avant tout un peintre, il est également connu pour ses tableaux d’inspiration cubiste faits de multiples photographies assemblées d’un même sujet (personnage ou paysage). Quant à Raphael Hefti, il se sert, entre autres supports, du papier photographique. Ainsi, son photogramme Lycopodium (2015), exposé en ce moment en Arles, est-il obtenu par la combustion de spores inflammables sur une surface photosensible. Dans ses autres œuvres il utilise le verre, la soudure des rails de chemins de fer ou des tubes de métal chauffés à de très hautes températures pour faire apparaître des teintes irisées. La plus remarquable sur le plan visuel n’est présente que sous la forme d’un film décrivant une « performance » du dernier Art Basel. On met le mot entre guillemets puisqu’il s’agit plutôt d’une démonstration technique au sens le plus industriel du terme. Hefti avait convoqué en effet à Bâle une machine à commandes numériques, conduite par son opérateur, un tour plus précisément qui servait à façonner des cylindres d’aluminium devant le public de la foire. Nos lecteurs ont déjà vu à maintes reprises, sans nul doute, le ballet des robots soudeurs dans les usines d’automobiles. C’est un spectacle tout aussi fascinant – mais pas davantage – qui est proposé par Hefti. Avec une différence, néanmoins : conformément à une certaine tendance de l’art contemporain qui cultive la dérision, les cylindres d’aluminium délicatement ouvragés rétrécissent de plus en plus jusqu’à se trouver totalement anéanti, une manière de justifier le titre choisi pour cette performance : Statements.
On avoue préférer aux incursions de Hefti dans diverses techniques, le travail de Hockney, un peintre particulièrement attentif aux couleurs. S’il est immédiatement reconnaissable dans ses tableaux représentant des piscines (il vit à Hollywood), il a peint bien d’autres sujets, des tableaux géants de paysages, à l’instar de Grand Canyon (1998) dont on peut suivre les étapes de la fabrication dans un film passionnant de Monique Lajournade et Pierre Saint- Jean, David Hockney en perspective (projeté pendant l’exposition). Ses portraits, bien que séduisants, ressemblent un peu trop à Hopper[ii]. Il a appris chez les modernes qu’on pouvait refuser les lois de la perspective. Cela se voit dans les montages photographiques comme dans certains de ses tableaux, à commencer par La chaise et la pipe de Van Gogh (1988) à la perspective inversée (et dont les tonalités rappellent, en plus cru, La chaise de Vincent peint par Van Gogh lui-même exactement un siècle auparavant, où figure également une pipe[iii].
En dehors de la Chaise, qui est bien présente en Arles – hommage obligé, cette fois, à Van Gogh dans un musée qui porte son nom – l’ensemble de Hockney qui est exposé ne soulève pas un enthousiasme excessif. Retourné dans son Yorkshire natal, le peintre a voulu saluer l’arrivée du printemps. Il l’a fait de deux manières. D’abord en dessinant au fusain certains lieux à cinq moments successifs entre l’hiver et l’été. Rien à dire de ces dessins, d’une honnête facture, sans plus. Par ailleurs, il a « peint » sur une tablette ces mêmes paysages puis les a reproduits, agrandis. Malgré la maîtrise qu’il démontre de l’usage de la tablette, le résultat n’est guère convaincant, tant il semble « plat » et proche des illustrations pour un livre d’enfants. Cela étant, comme Hefti, Hockney est un artiste qui cherche et expérimente. On ne saurait le reprocher pas plus à l’un qu’à l’autre.
[i] Après la Villa Datris, fondation créée par Danièle Kapel-Markovici (PDG du groupe RAJA) en 2010 à Lisle-sur-la-Sorgue ou le centre d’art du Château La Coste créé par Patrick McKillen (promoteur et propriétaire d’hôtels) ouvert en 2011 au Puy-Sainte-Réparade.
[ii] Pour un panorama rapide mais suffisamment complet de l’œuvre de David Hockney, nous renvoyons comme déjà dans un article précédent au blog de Culturieuse : https://culturieuse.wordpress.com/2015/06/20/david-hockney-1937-%C2%A7-paysage/
[iii] « Une chaise en bois et en paille toute jaune sur des carreaux rouges contre un mur ». Lettre de Vincent Van Gogh à son frère Théo, 19 novembre 1888.