* Jean-Sébastien Philipart, recipiendaire du prix Mondes Francophones pour l’essai: «Observer la liberté : une règle libérale» n’a malheureusement pas pu assister à la remise des prix. Cependant, il nous a écrit et nous reproduisons ci-dessous son discours de remerciement:
Quelques mots en guise de gratitude
A propos du français qui n’était pas sa langue maternelle, le philosophe Emmanuel Levinas disait que dans cette langue « on sent les sucs du sol ».
Façon peut-être de dire qu’habiter une langue, ce n’est pas seulement être habitée par elle. En-deçà de la sécheresse des structures linguistiques et de l’écriture automatique où se complaisent les gardiens de l’inconscient, il y a la pensée, la pensée personnelle qui s’éprouve dans la saveur des mots. Les mots font marcher la pensée et celle-ci, d’abord, s’en réjouit.
Mais il n’y a de plaisir qu’au creux de la relation qui rend toute solitude aimable. Levinas savoure la langue française parce que le français a été pour lui un espace d’accueil, qu’il entend donc défendre.
Il en va peut-être également ainsi des textes qui circulent au sein d’une même langue. En deçà, encore une fois, de la posture romantique inquiétée par l’étrangeté des mots, il y a le plaisir pour celui qui écrit de se délecter d’une pensée qui se surprend dans ses propres mots.
Et le plaisir grandit parce que l’écriture, qu’on le veuille ou non, demeure attachée à l’autre ou aux autres à qui elle s’adresse précisément. C’est dans cette « adresse » de l’écriture que se joue le goût du risque que prend celui qui écrit.
Le plaisir d’écrire fait cependant pâle figure devant la joie d’être reçu. De sentir votre texte respirer de toutes parts, s’animer de la respiration même de ses lecteurs. De sentir la route sinueuse de votre écrit éclater en plein air, sans se disperser.
Or l’échange entre soi et l’extérieur s’accomplit par l’habitat ; et quoi de plus réjouissant que d’habiter à titre d’invité ?
Cette fraîcheur, cette joie d’être reçu et de partager, je la dois donc à l’hospitalité de Mondes Francophones qui m’a offert d’habiter un espace inouï. Une hospitalité d’autant plus réelle qu’elle se veut exigeante. Que serait en effet un abri ouvert aux quatre vents ?
Que soient de la sorte remerciés l’équipe de Mondes Francophones et son directeur, M. Alexandre Leupin, le jury et le bienfaiteur M. Daniel Blanchard.
Grâce à leur accueil, je goûte particulièrement aujourd’hui les sucs libérés par ma langue maternelle — le français.
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