Films

Cinéma politique : Louise-Michel, une comédie de Benoît Delépine et Gérard Kervern

Un titre trompeur mais qui vise juste, à l’image d’un film qui jouera sur les faux-semblants du début jusqu’à la fin. L’affiche annonce qu’il s’agit d’une « comédie » et, de fait, les outrances de ce film, ses gags, le jeu des acteurs sont tout à fait réjouissants. Pour autant, et sans vouloir sous-estimer le caractère de divertissement de Louise-Michel, il est permis de penser que les applaudissements, à la fin de la séance à laquelle nous avons assisté (plutôt exceptionnels dans une salle de cinéma en France), traduisaient l’acceptation par les spectateurs du message politique du film et de sa morale.

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Le film ne raconte pas l’histoire de Louise Michel, la pasionaria de gauche, déportée à « la Nouvelle » (comme on disait alors de la Nouvelle-Calédonie) après la chute de la Commune de Paris, mais l’histoire de deux êtres très ordinaires (au sens péjoratif du terme), alors même que leurs trajectoires individuelles se révéleront, elles, au fur et à mesure que le scénario se déroule, tout à fait extraordinaires. S’il serait inopportun de dévoiler les péripéties du film – laissons aux futurs spectateurs le plaisir de les découvrir -, il est intéressant de se pencher sur l’argument.

Louise-Michel commence par l’histoire ordinaire, elle aussi – mais au sens debanal, cette fois – de la fermeture d’une usine textile quelque part dans le nord de la France. Lorsque les ouvrières se présentent pour pointer, un lundi matin, les machines ont disparu et leur emploi avec. La suite est plus originale : les ouvrières décident en effet de mettre en commun leurs maigres indemnités de licenciement pour embaucher un tueur à gages qui sera chargé d’éliminer leur ancien patron.

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En route pour l’usine

Sous les apparences d’un film comique – confirmée par la présence de Yolande Moreau en tête d’affiche – Louise-Michel est un brûlot anti-capitaliste d’autant plus dévastateur que les auteurs sont partis d’une pratique du capitalisme mondialisée que nul n’ignore aujourd’hui. Si la suite est inventée – une vengeance allant jusqu’à la mise à mort -, la réaction des spectateurs montre qu’ils ne la jugent pas immorale. Au contraire, l’exécution du directeur de l’usine, suivie par celle du financier qui tire les ficelles de la holding, sont présentées et reçues comme des conséquences parfaitement logiques de l’événement initial. Or le public des films d’art et essai compte peu de prolétaires exploités, pour autant que l’on sache, et il n’est guère concerné par la lutte des classes. Qu’il prenne spontanément, malgré son embourgeoisement, le parti du plus faible traduit donc plutôt la prégnance de la morale chrétienne dans notre société sécularisée. Mais il y a autre chose : l’acceptation sereine de la mort des méchants (à la base de tous les films dits « d’action », ceux qui attirent les plus grosses audiences) révèle quant à elle des réflexes très anciens, l’héritage primitif inscrit dans notre cerveau reptilien.

Le film a été plutôt bien accueilli par la critique. Ainsi Fabrice Pliskin évoque-t-il « une farce glacée,… une allégorie communarde et pas commune sur les tares du capitalisme mondialisé », dans un article du Nouvel Observateur où il décrit avec justesse la Louise « massive, opaque et taiseuse » incarnée par Yolande Moreau. Il est vrai que cette dernière, présente presque sans arrêt à l’écran, est capable de traduire aussi bien le tragique de la condition de son personnage que son envie, voire son bonheur de vivre. Et si elle ne parle guère, en effet, rien de ce qu’elle dit ne manque de force. Quant à son comparse, Bouli Lanners, tout aussi massif mais plus prolixe, il n’est pas moins parfait dans son rôle de faux dur.

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Yolande Moreau et Bouli Lanners

Yolande Moreau vient du théâtre, tendance absurde poétique. Elle fut longtemps la vedette féminine de la troupe de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff. Et les Français la connaissent bien depuis ses apparitions dans Les Deschiens, émission humoristique télévisée. Quant aux deux auteurs, Benoît Délépine et Gustave de Kervern, ils ont fait leurs premières armes dans un autre divertissement télévisuel, Groland, tendance bête et méchant. On respire heureusement dans leur film un air plus pur, voire pudique, y compris dans les morceaux a priori les plus scabreux. On a pu leur reprocher une mise en scène quelque peu négligée. De fait, le film a un côté amateur, le scénario n’en est pas très vraisemblable, mais, curieusement, tout cela n’empêche pas que l’on s’intéresse à l’histoire et même, comme on l’a vu, qu’on applaudisse à l’exécution des méchants. En oubliant que, dans une nation réputée civilisée, il est interdit de se faire justice et que, de toute façon, la peine de mort n’a plus cours en France.