Mondes européens

L’AVENTURE DE JACQUES-YVES COUSTEAU, un entretien avec Henri Jacquier (Première partie)

 

MF – Jacques-Yves Cousteau et son œuvre semble être tombés dans le silence et l’oubli. Pourquoi ?

Sacré « Captain Planet » devant un parterre de chefs d’Etats à la Conférence des Nations-Unies sur l’Environnement et le Développement qui s’est tenue à  Rio de Janeiro en 1992, le Commandant Jacques-Yves Cousteau fut en son temps une célébrité mondiale. Officier de marine, océanographe, explorateur, photographe, cinéaste, écrivain, inventeur et impresario des sciences, il excella en tous ces domaines  et accéda aux plus hautes distinctions. C’est au  travers du masque de son scaphandre autonome que l’humanité ébahie a découvert la fabuleuse diversité du monde sous-marin. Des centaines de millions de téléspectateurs ont été définitivement marqués par le souvenir de cet homme au visage émacié coiffé d’un bonnet  rouge les invitant autour du monde à bord de sa  fameuse Calypso.

Calypso

Son nom n’évoque pourtant plus grand-chose aujourd’hui pour les jeunes générations. La dépouille de cet infatigable voyageur repose quasiment anonyme dans le cimetière de Saint André de Cubzac, sa commune de naissance, son cher navire démantelé au fond d’un hangar attend un sauvetage de plus en plus improbable, toute référence à sa mémoire semble occultée par les écologistes dans les medias … Pas même quinze ans après sa mort des suites d’une méningite le 25 juin 1997 le message du Commandant Cousteau serait-il tombé aux oubliettes ?

Les initiés savent que cette surprenante disgrâce actuelle est en fait due pour l’essentiel à une succession familiale disputée entre une seconde épouse qui n’aurait pas détonné parmi les « Glorieuses » mises en scène par André Roussin et les descendants du premier lit qui ne peuvent se résigner à ce que leur père et grand-père leur soit comme « confisqué ».  D’où un contexte conflictuel à propos de l’usage du nom et de droit à l’image sur lequel des deux côtés de l’Atlantique plane le vol noir de robes d’avocats. Plutôt dissuasif comme climat pour l’instant….

Loin de toute arrière pensée commerciale depuis la mise au point du scaphandre autonome en 1942 jusqu’à la proclamation d’un Droit des générations futures à disposer d’une terre indemne et non contaminée dans les années quatre-vingts l’œuvre de Cousteau a toujours été inspirée par une vision anticipatrice. Elle comporte tellement de facettes qu’elle a pu longtemps sembler disparate mais sa cohérence profonde finira  par être comprise, reconnue et restituée dans sa portée intemporelle. Le plus tôt sera le mieux et il se trouve que j’ai le sentiment de pouvoir contribuer à rapprocher cette échéance.

MF – Comment avez-vous fait connaissance avec le Commandant ?

Lorsque je l’ai  rencontré en 1971, le Commandant cherchait un administrateur pour l’aider à se sortir d’une grave crise financière due à l’arrêt soudain du financement des maisons sous la  mer par le gouvernement français. J’étais moi-même professionnellement à une croisée de chemins. Mon bagage composite d’ingénieur géologue, maîtrise de droit et d’ancien élève de la Harvard Business School lui a plu par son originalité. Sans doute aussi  éprouvait-il une sympathie instinctive pour un jeune homme qui  n’ayant pas choisi de faire carrière dans les mines ou le pétrole était sorti des sentiers battus, tout comme lui n’avait pas emprunté la voie royale qui s’offrait dans la marine nationale. Bien dans sa manière il m’a serré la main, « Bienvenue à bord, j’ai besoin de vous, Henri » !

MF – Vous avez donc une connaissance intime et une vision personnelle de Jacques-Yves Cousteau.

De nombreuses  biographies ont relaté l’extraordinaire parcours  du Commandant tel que ce grand manipulateur n’avait de lui-même jamais cessé de le programmer.  De fidèles anciens ont publié des souvenirs d’expéditions. Des jaloux ont tenté de fendre le piédestal. Globalement son œuvre est donc bien documentée mais de façon cloisonnée. Cependant ni les hagiographes, ni  les  contempteurs n’ont eu comme moi accès, de l’intérieur et sur une si longue période,  à l’incontournable commun dénominateur de toute entreprise qu’est la recherche du financement.  Ce souci permanent fut aussi en l’espèce moteur de créativité.  Un fil de chaîne présent du début à la fin, un fil rouge comme la couleur du déficit, déficit congénital faute de capital au départ, et ombre toujours menaçante par la suite, car ce furent le plus souvent le désir d’aller de l’avant et non  le budget  qui ont présidé au lancement des activités. Parce que ce versant de l’aventure Cousteau n’a jamais été raconté il manque dans le portrait que la postérité mérite.

Un devoir de mémoire

C’est donc  un devoir de mémoire qui me pousse à écrire ces lignes un peu comme si l’inventeur du Monde du Silence avait encore des choses transmettre par mon intermédiaire.