L’Homme. – De nous‚ il ne reste pas grand-chose… presque rien‚ quelques mots… des fragments… et puis aussi‚ les objets auxquels nous tenions tant‚ et la vie encore… (…) L’Homme. – Je pense‚ monsieur‚ que… sans vouloir vous offenser‚ par simple mesure de prudence‚ je pense qu’il serait préférable‚ dans un premier temps… seulement dans un premier temps… que… La Jeune Femme. – Vous comprenez‚ monsieur‚ nous ne vous connaissons pas‚ et vous pourriez très bien… sans le vouloir‚ ce n’est pas ce que nous voulons dire… sans même oser l’imaginer… vous pourriez très bien‚ ce sont des choses qui se sont déjà produites… L’Homme. – Je pense que… dans un premier temps… pour notre tranquillité à tous… il serait bon que vous vous teniez à distance respectable de nous… Et‚ de toute façon‚ pour vous également‚ je dois vous le faire remarquer‚ c’est une sécurité supplémentaire… Qui vous dit que nous ne sommes pas‚ nous aussi‚ contaminés‚ porteurs en nous de la maladie‚ sans le savoir‚ ou sans oser l’admettre ?… |
Jean-Luc Lagarce, Vagues souvenirs de l’année de la peste (1983) Il y a eu la peste à ce que l’on croit, à ce que l’on dit… c’est une chose dont chacun se souvient, les gens en sont parfaitement sûrs… il y a eu la Peste à Londres… Les habitants de la Ville sont partis, ils se sont sauvés, c’est la meilleure solution en pareil cas… ° ° ° Jean-Luc Lagarce (1957-1995) écrivait tout le temps. Des pièces‚ des récits‚ des lettres‚ son Journal. Une vie d’écrivain. Une vie d’homme de théâtre. Une vie d’homme. Autant de vies parallèles. Fils d’une famille ouvrière et protestante d’une bourgade de Franche-Comté‚ mort jeune (trente-huit ans) du sida‚ reconnu après sa disparition comme l’un des auteurs de théâtre majeurs de la fin du xxe siècle‚ la vie de Jean-Luc Lagarce est celle d’un héros de roman. Jean-Pierre Thibaudat. |