Créations

Chroniques virales – 1, 2, 3

Nous commençons aujourd’hui la publication de ces Chroniques virales non sans rapport avec l’actualité et qui se poursuivront sur un rythme hebdomadaire. MF.

 

Chapitre 1

18 mars 2028

Il y a déjà sept ans, nous avions été confinés pendant deux mois. Les premiers jours, nos dirigeants tablaient sur deux à trois semaines. Notre monde avait failli s’écrouler.

En septembre 2020, le virus avait disparu. Un million de vies emportées à travers le monde. L’économie était au point mort. Tout le monde avait, au travers des films de science-fiction du siècle dernier, imaginé un monde anéanti, déshumanisé.

Ce samedi 10 septembre 2020, il faisait beau. La nature resplendissait, nous nous embrassions plus que de raison.

Notre monde avait vieilli. La terre n’en portait aucun stigmate.

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Sept ans plus tard, le virus mutant chaque année et en l’absence d’un vaccin saisonnier efficace, les mesures de confinement étaient à nouveau mises en place.

Depuis 2020, chaque année, à partir de novembre, les mesures s’appliquaient progressivement autour du monde. Les épidémiologistes étaient capables de prévoir les dates exactes de confinement.

Dans les années post-épidémie, les discussions portaient, entre autres, sur nos libertés individuelles. Étions-nous prêts à donner nos datas, même intimes, pour avoir en échange une espérance de vie allongée ?

L’OMS, l’ONU et toutes les instances dirigeantes mondiales ne nous laissèrent pas le choix.

Notre vie en fut changée profondément.

Rapidement nos congés ne furent plus choisis, nos voyages étaient autorisés algorithmiquement. Nos cartes de paiement n’existaient plus. Elles étaient obligatoirement dans nos smartphones et,  de fait, géolocalisables. Nos achats de billets d’avion ne pouvaient plus se faire librement. Nos vies étaient corrélées à celles des autres, aux lieux d’infection. Notre température corporelle était collectée en permanence. Une application issue de l’aviation, capable de mesurer en temps réel tous les paramètres des réacteurs d’avions en vol, fut adoptée pour mesurer le seul paramètre de température corporelle. Nos smartphones captaient notre température et la transmettaient vers ce bon vieux réseau Ameli.

La 5G s’installa à marche forcée en quelques mois après la première pandémie.

Bien sûr, il y eut quelques rebelles qui s’isolèrent de leur téléphone. Ils cédèrent assez vite. La Sécurité sociale, qui était devenue universelle, mondiale, centralisée et unique, refusait systématiquement ceux qui ne donnaient pas leurs datas. Quand ils se présentaient dans un hôpital, ils étaient aussitôt confinés avec des personnes ayant eu le même comportement. Les ONG criaient au scandale… sans davantage de succès que pour Guantánamo.

Lors de la première épidémie, les premiers jours, nous avions vu au travers des réseaux sociaux énormément d’initiatives solidaires ; des vidéos humoristiques fleurissaient. Les enfants étudiaient à domicile, les parents y travaillaient aussi. Tout le monde pensait qu’avec cette nouvelle façon de communiquer le confinement serait moins désagréable.

Hélas ! les grands réseaux sociaux qui ne gagnaient leur vie que sur la publicité rencontraient les plus grandes difficultés à être rentables et même à payer l’énergie nécessaire pour le refroidissement de leurs datas centers. Plus rien ne se fabriquait, plus rien ne se vendait. Ainsi la publicité devenue inutile ne pouvait-elle subvenir aux frais de fonctionnement des réseaux. La gratuité s’arrêta. Nous avions vécu une parenthèse, vingt ans de pseudo-gratuité.

Les États-Unis réquisitionnèrent et nationalisèrent à tout-va. Facebook, Google, WhatsApp, You Tube furent les premiers. Amazon et Airbnb, en  faillite, ne purent que se soumettre.

Seuls les sites pornographiques restèrent ouverts et subventionnés. On comprendra bien plus tard que les psychiatres l’avaient vivement recommandé afin d’éviter certains comportements névrotiques, car les ventes d’armes avaient explosé. La frustration sexuelle risquait de se traduire par des phénomènes de surcompensation. Les tueries de masse étaient encore dans les esprits.

En France et en Europe, les ventes de papier toilette atteignaient des records… A chacun sa merde !

 

Chapitre II

19 mars 2020

Trois jours de confinement et, isolé en campagne, l’absence de bruit me frappe : assourdissant. Aucune voiture ne passe sur la route en contre bas. Je suis plongé dans l’ambiance du film « Malvil » avec Michel Serrault et Dutronc.

A l’inverse de cette histoire nous sommes isolés physiquement les uns des autres, des amis, mais pas intellectuellement. La télé est là et bien là. Les réseaux sociaux déversent des millions de posts humoristiques, d’entraides, de conseils, d’avertissements. Je suis enthousiasmé par le nombre de messages m’indiquant comment accéder aux plates-formes diffusant des opéras, des films, des visites de musée, des conférences. Paradoxalement, il y a peu de fausses informations, de rumeurs, elles sont assez vite montrées du doigt ou tournées en dérision. En ce moment les chaînes d’information en continu font un travail….d’information. On ne joue plus. A part Madame Sarkozy bien entendu.

Quand est-ce que les gens, la famille et les amis vont me manquer ? Tactilement. Pour le moment je n’ai pas de manque. Pas encore. Je suis attentif à la survenue de cet état. Il pourra prendre certaines formes. La seule personne qui pourrait m’en parler se trouve à quelques mètres de moi. Elle vit ce phénomène depuis tant d’années ! Chut.

Pour le moment on vit comme on l’a toujours fait. Nous n’avons aucune inquiétude. Pas un moment notre cerveau ne pense pénurie, manque, famine. Tout est sous contrôle. Nous pouvons manger, nous chauffer, nous éclairer. Notre cerveau fonctionne comme homo sapiens dans sa grotte. Un toit, du feu, de la viande. Rien ne nous met en alerte. Pour ce cerveau là, le danger du virus ne peut être conceptualisé. Est-ce pour ça que nous avons eu tant de mal, nos gouvernants et nous tous, à prendre la mesure de cette épidémie ?

Curieusement nos échanges sur internet révèlent un peu qui nous sommes.

Il y a les pragmatiques qui appliquent les consignes à la lettre.

Les rebelles qui cherchent toujours la petite faille dans le dispositif et s’y engouffrent, du moins en paroles.

Les fatalistes qui ont compris depuis fort longtemps que notre vie et notre monde sont périssables. Les inquiets, les pessimistes qui cherchent toujours à se protéger du pire qui viendra ensuite.

Les faux désinvoltes qui vous font culpabiliser de prendre les choses sérieusement.

Et puis il y a ceux qui écrivent pour découvrir dans quelle case ils sont. Ne suis je pas  un peu dans toutes les cases ?

Ce matin, en écoutant la radio, je me suis rendu compte que depuis une trentaine d’années nos dirigeants n’écoutaient plus les avis des scientifiques de bon sens. La logique de rentabilité a pris le pas. Ainsi ce matin un épidémiologiste racontait que les hôpitaux furent construits en rez-de-chaussée et surtout en pavillons distants jusque dans les années soixante. La raison en était fort simple : en cas d’épidémie, le confinement des malades était plus pratique et surtout efficace. Dans les années d’après-guerre, les vaccins ayant fait leur œuvre, nos dirigeants n’écoutèrent pas les spécialistes. Pensant que les épidémies étaient éradiquées, ils décidèrent de construire des hôpitaux en hauteur. Aujourd’hui nous avons des établissements verticaux de quinze étages avec des ascenseurs de trente personnes qui déversent des malades et des visiteurs avec toutes les pathologies. Le bon sens a disparu. Il reviendra. Je l’espère.

Une autre idée me vient. Je n’ai jamais autant entendu de gens se préoccuper de savoir s’ils pourraient continuer à faire du sport. Quel étrange questionnement pour des gens dont le sport n’est pas une occupation professionnelle. A quoi veulent ils échapper ? La maison serait-elle un enfermement ? A-t-on du mal à s’évader autrement que par l’activité ? J’ai longtemps pratiqué le sport assidûment. Pourtant cette frustration, cet étouffement ne sont pas en moi. Il faudra m’expliquer. Peut être qu’en étant souvent blessé j’ai appris à perdre ou du moins à me séparer.

Ce matin au réveil je me disais qu’il y avait un changement dans nos sociétés. Pour 237 morts le pays s’arrêtait et la population faisait acte de civisme ou de contrition. La contrition, cette douleur d’avoir offensé un dieu.

Mais quel dieu aurions-nous offensé ?

L’individu aurait-il désormais une valeur ou est ce toujours la survie de l’espèce qui nous guide ?

 

Chapitre 3

29 mai 2021

Premier anniversaire de la levée du confinement. C’est un samedi et il n’est pas férié. Nous n’en avons plus les moyens. Seuls les soignants ont droit à ce jour pour service rendu à la nation. Huit ans plus tard il sera dénoncé comme un privilège. Mais la fête est dans tous les esprits.

Il y a un an quand l’annonce du Président, suivie par 42 millions de français, fut diffusée, nous assistâmes à des scènes de liesse. Pour ma part j’avais le sentiment de vivre ce que  mes parents avaient vécu en 1945. Des embrassades à n’en plus finir, des fêtes et apéros sans fin pendant une semaine où absolument plus rien n’était confiné. Les morts, la peine des familles étaient oubliées. Comme après chaque guerre.

Les gastros revinrent.

Certains sortirent même les meubles des appartements et dormirent à la belle étoile. Les gens restaient tard la nuit à refaire ce monde. Ils en avaient besoin. Ils en avaient besoin mais ne demandaient rien.

Dans les premiers instants, les rues encore vides de circulation se couvrirent de files interminables de tables et chaises en tous genres. Vu des étages cela faisait un serpentin multicolore sur le pavé gris. Les artistes s’en donnaient à cœur joie. Les expressions graphiques de ces attitudes décomplexées donnaient un nouvel élan aux créateurs. Dans mon village le centre ville devint piéton. Les tables se couvrirent de victuailles mises en libre service. On y étala aussi beaucoup de vins vieux, trop longtemps gardés.  L’esprit n’était plus à conserver. On donnait ce que l’on avait. Nous partagions.

La place du kiosque se mua en lieu d’exposition. Pendant ce confinement, l’esprit créatif avait noyé l’ennui. C’est ainsi que nous déambulions dans le village au milieu de Picasso en bouchons multicolores, de Kandinsky en pâte à pain, de Banksy approximatifs graphés sur les murs de l’église, le tout sous un ciel Klein.

Les magasins, les bars, ne désemplissaient pas. La question de la revitalisation des centres villes, si prégnante lors des élections de 2020, ne trouvait elle pas sa solution dans l’occupation de l’espace public par autre chose que la marchandisation de cet espace ?

Et puis il y avait la musique. Toute la musique. Partout. On pouvait passer d’un set de DJ house à un cours de danse country. Les écoles de musique sortirent hors les murs. On assista à des concerts improvisés mêlant de jeunes rappeurs et des violonistes confirmés. La danse était devenue l’expression exacerbée du manque de contact. Une nouvelle danse diffusée sur Youtube faisait le buzz. Les couples restaient de longs moments collés en une sorte de slow où le seul contact se faisait par les lèvres. Sensuel au possible.

La culture infusait. Elle brisait, elle explosait les barrières, les peurs.

Plus au calme, une grand mère suspicieuse et isolés des plus petits de sa descendance pendant des semaines, rattrapait le temps perdu. Un enfant sur elle, le pouce dans la bouche, elle s’apprêtait, entre deux soupirs de plénitude, à faire passer quelques conseils de vie. Elle parlait à peine qu’il dormait déjà.

Les enfants retournèrent à l’école avec une joie immense. Retrouver les amis était une joie, et prétexte à des fous-rires mémorables. Les cheveux étaient longs, les barbes aussi. Certains furent rasés, mais dans la rigolade, nous n’étions pas en 1945. Par manque d’exercices les corps s’étaient épaissis. Pour une fois il n’y avait pas de jugement. Avoir grossi était le signe du respect des règles. Seuls quelques-uns se confinèrent encore quinze jours. Non par crainte d’un retour d’épidémie. Juste le temps d’avoir un rendez-vous pour faire une injection de Botox.

Chez nous à l’abri du brouhaha, dans un renfoncement du château, on assistait aux discussions enflammées de ceux qui pensaient l’après. L’après…

Nous sommes un an plus tard. La fête n’est déjà plus la même.