Créations

Neige exterminatrice – extraits (IV)

Mémoire d’équinoxe

Bas-pays de la pluie granit pommes dormantes
Vieil hiver que disperse un rire de vipère
Bohêmes d’outre-mer par les villages maigres
Sous les porches d’église et les pierres tombales

Verveine riz amer odeur de poisson neuf
Dans les épiceries fumeuses de la mort
Mémoire d’équinoxe évanescence mauve
De l’âme vers les ports bariolés de lessives

Je me souviens enfance à en mourir de soif
De tes fleuves hantés de tes larmes rebelles
De-ci de-là selon le songe des girouettes
Une main de fumée me pousse vers le large

C’était la vie courante un nuage après l’autre
Et la fenêtre ouverte au gouffre quotidien
Mais nous croyions encore à la magie du sang
À la fraternité aveugle des fantômes

C’était le chant du coq l’aurore à marée haute
Le suif comme il déborde à longueur de chandelle
Mais nous cherchions encor par-delà l’estuaire
Quelque retour de source à rompre l’océan

Vieil hiver tortueux écumeur de tavernes
Quel couteau de clarté me dénude les os
Je saigne à front perdu le sang d’une vie morte
Et ce buisson d’épine où verse la roulotte

Matins de feu  alcools locomotives rouges
Mémoire d’outre-monde icebergs et nuages
Chemins de barbarie où rêve dans l’ornière
Un crapaud endormi dans sa gloire hurlante

Rumeur de coquillage oublieuse guitare
De quel roi disparu ramène-t-on les cendres
Toujours à l’horizon la barque de Tristan
Comme une invitation aux fièvres de l’enfance

Matins de feu genèse du blé sous la neige
Brumes lueurs d’usine écume sur les îles
Une abeille dans l’ombre irrigue de son miel
Le sommeil famélique de l’ours et du loup

Voyez monter la mer dans les yeux des gisants
Visage migrateur crieur de nébuleuses
Voyez les noces d’or du rat et de l’alouette
Écoutez il y a dans les clochers du vent
Une cloche à marier le ciel avec la terre.

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Sans titre

Je n’ai plus rien à perdre
Que les mots de ce poème
Ce testament à bout de souffle
Sur la dernière page d’un cahier d’écolier

Je n’ai plus rien à perdre que ce poème fou
Planté comme un couteau dans le dos des passants
Ce langage de sourd
Incrusté dans la pierre aveugle du silence

Je te montre le ciel
Tu ne vois que la brume
Je te montre l’amour tu ne vois que la mort
Je te montre la mer
Tu ne vois que l’épave échouée sur le rivage

Mauvaise éducation des poètes maudits
La Poésie m’empêche de voir le soleil.