Créations

Le vent d’autan

“Autan” en emporte le vent.

Margaret Mitchell ne connaissait certainement pas le vent d’Autan, et pourtant, il s’en est fallu d’une seule consonne, dans sa traduction française, pour qu’elle ne le rende célèbre, ce vent régional qui souffle sur le Lauragais, le Tarn  et la Région Toulousaine. Malheureusement, ce jeu de mot ne fonctionne pas dans sa version américaine, “gone with the wind”.

Il me fallait impérativement attaquer cette chronique sur ce rapprochement somme toute évident. Et je me plais à penser qu’il y a quelque chose du caractère de Scarlett O’Hara, incarnée par Vivian Leigh, dans la personnalité de l’Autan.

En effet, Autan est le nom d’un vent violent et lancinant, qui s’installe pour des durées assez longues, avec une obstination toute féminine !

Il est moins connu que le Mistral, aucun poète ou écrivain ne porte son nom.

Il est plus facile de baptiser une rue : rue du mistral, ou rue Frédéric Mistral, que rue de l’Autan, ou rue d’Autan. L’autan souffre du même déficit d’image que la tramontane face au mistral…

Plus Aquilon que Zéphyr, son nom vient du latin “alatanus ventus”, le vent qui vient de la haute mer. Il fut appelé au fil du temps, “aouta”, “auta”, puis autan. Il vient de l’Est et dévale sur le Languedoc en descendant de la Montagne Noire.

L’Autan, le vent qui rend fou!

“Le vent qui vient à travers la montagne,

m’a rendu fou” (Gastibelza, paroles de Brassens, d’après Victor Hugo)

C’est l’expression que je n’ai cessé d’entendre tout au long de mon enfance. Et l’on disait qu’à l’hôpital Marchant de Baraqueville, l’asile de fous au sud de Toulouse, il fallait mettre les malades sous camisole de force, tellement ce vent les perturbait ! La légende dit même, que par vent d’autan, on entendait les fous hurler jusqu’à la place du Capitole !

“Le psychiatre Gilles de Lassat observe  seulement que les patients dorment moins bien, parce qu’ils sont gênés par les bruits du vent, qui souffle jour et nuit, en rafale….Et en plus, il vient de l’Est, alors qu’un vent normal vient de l’Ouest.

Que les patients soient épuisés par le bruit du vent, ce n’est pas si fou que ça.”

“L’influence sur les humains et les animaux est si manifeste qu’il n’est point besoin de lire les thèses de médecine, que j’ai lues, pour la souligner”,

déclare l’éminent professeur Jean-Jacques Voigt.

 Même les gens normaux subissent son influence, moins de rires, moins de bonne humeur, des gens qui se renferment sur eux mêmes, une chape de plomb semble tomber du ciel. Des relations qui se tendent, une irritabilité croissante. Il y a des demandes qu’il valait mieux reporter aux jours, où le vent tomberait enfin. Et ces périodes correspondaient souvent aux moments de “brouille ” entre nos parents. Ma mère y était sensible.

Ayant vécu 24 ans à Toulouse et presque 30 ans dans le Gard, à Bouillargues, près de Nîmes, j’ai eu l’occasion de comparer les influences respectives de l’Autan et du Mistral. Et je constate, qu’il y en a effectivement une : le ressenti n’est pas le même, le mistral est plus franc, “il ne tape pas sur le système”, selon l’expression populaire. Leur puissance est également différente, le mistral est plus régulier, l’autan peut passer en quelques minutes de 10 à 90 km/h et inversement, de manière imprévisible !

Autre différence, quand le mistral souffle, le ciel est d’une totale pureté, d’un bleu limpide et profond. L’autan blanc, sec et frais, ainsi nommé, ce qui est normal pour du blanc, s’accompagne d’un ciel blanchâtre, laiteux, et souffle dans des conditions anticycloniques. Par contre l’autan noir, souvent assez chaud, précède pluies et orages après avoir fait le plein d’humidité au-dessus d’une Méditerranée agitée. Il pleut dès que le vent s’arrête.

Sur la fréquence et la durée, Autan et Mistral  sont comparables.  On raconte dans leurs 2 régions qu’ils soufflent sur des durées ternaires, pour des cycles de 3,6 ou 9 jours. Intrigués par ces croyances populaires, avec mon frère Bernard, nous avons, de manière scientifique, voulu vérifier cette histoire, qui s’est révélée totalement fausse… la durée étant tout à fait aléatoire. Mais notre entourage n’a jamais voulu croire ces faits avérés apportés par des enfants! Les grandes personnes sont souvent de mauvaise foi, ce que nous avons vérifié assez tôt !

Souvenirs du Vent d’Autan

Sur la bruyère longue infiniment,

Voici le vent cornant Novembre;

Sur la bruyère infiniment,

Voici le vent

Qui se déchire et se démembre,

En souffles lourds, battant les bourgs;

Voici le vent,

Le vent sauvage de Novembre

Ce poème d’Émile Verhaeren, ” le vent”, appris par cœur en récitation à l’école primaire, m’a profondément impressionné. Il évoque parfaitement la violence de ce vent terrible, qui ne pouvait être que l’Autan.

Le redoublement des consonnes “v”, “d” et “b” et de la syllabe “en”, illustre phonétiquement le bruit et la fureur du vent.

C’était pour moi le seul vent dangereux connu soufflant sur la région toulousaine. Ce vent d’Est a marqué mon enfance. Dans la nuit noire de l’hiver, couché dans mon lit, j’entendais les sifflements du vent par dessus le toit, et je me recroquevillais encore plus dans les draps.

A la pêche, au bord de la Lèze ou de l’Arize, par jour de grand vent, je voyais les cimes des peupliers osciller fortement, dans un bruissement caractéristique, les jeunes feuilles argentées frottant les une contre les autres, comme les élytres d’un grillon ou d’un scarabée. Le long sifflement de ce vent engendrait une atmosphère étrange, comme si on se retrouvait plongé dans un monde parallèle.

Et il ne facilitait pas la pêche, son souffle ridait la surface de l’eau, il n’était plus possible de déceler la moindre touche d’un poisson. Au bout d’un moment, comprenant que nous resterions bredouilles, nous repliions les lignes et préparions le retour : pas de pêche miraculeuse, mais un fameux bol d’air!

L’Autan atteignait son maximum sur le plateau de Jolimont, orienté nord-est. Un jour où nous jouions au football, j’étais goal et je dégageais contre le vent, par un tir en l’air faisant un angle de 45° avec le sol. Le ballon s’éleva de manière rectiligne, et arrivé à une certaine hauteur, le vent violent le renvoya d’où il venait, c’est-à-dire dans mes buts. Aujourd’hui, ce fait est dénommé “auto goal”. J’en tirais immédiatement un enseignement, et ne dégageais plus jamais contre le vent. Cet apprentissage fut précieux pour ma future carrière de botteur au rugby, et j’appris à utiliser le vent pour réussir de bons coups de pied.

Villa l’Autan – MC

Villa l’Autan

Les parents de JJV avaient fait construire dans les années soixante une magnifique villa moderne sur les coteaux à Auzeville -Tolosan, au-dessus de Castanet. Nous y sommes passés en juin 67 au retour de vacances à Peniscolà. Les parents de JJ devaient passer tout le restant de leur vie dans cette belle maison avec vue sur les Pyrénées.

Villa l’Autan – JJV

Ce jour là, sous un soleil radieux, la villa portait mal son nom, il n’y avait pas de vent, et la température était estivale.

 

Caraman  (Commune située à 25 kms de Toulouse sur la route de Revel)

Quand l’Autan souffle à Caraman, sa violence est telle que nous nous interdisons d’aller dans le bois. Il y a un danger réel, de nombreuses branches sont cassées, et des arbres sont abattus. On peut donc à tout moment recevoir une branche sur la tête ou être écrasé par un tronc, surtout sur la lisière Est. Il n’est pas rare, après une période ventée, de décompter une dizaine d’arbres abattus. Il y a alors un gros travail de bûcheronnage, effectué par Bernard, qui empile les rondins de bois en stères dans tout le domaine.

Nous ne manquons pas de bois pour la cheminée du séjour!

 

Noël 2012  : Charles et Grégoire sur le Grand Saule déraciné
lors de la tempête du 29 octobre 2012

Et pour équilibrer ce texte achevons-le comme il a commencé, de manière facétieuse.

Victor Hugo a bien écrit : ” Le mur murant Paris rend Paris murmurant! “

Le poète marseillais, André Laugier, peut donc se permettre un alexandrin original : ” Quand l’autan entêtant s’étend près de l’étang “.