Episode 196
Interlude maritime
Vue du bar de la plage : un cargo passait au large… sans doute un port et ses habitants l’attendaient… ravi-taillement, carburant, médicaments, machines, du rhum ou des marchandises de contrebande ; les cargaisons maritimes sont mystérieuses. Le monde des marins n’appartient qu’à eux. A part quelques oiseaux de mer, plus ou moins au courant, qui leur tiennent compagnie un bout de chemin.
Sur la passerelle, l’homme de quart veillait, un jeune lieutenant… peut-être il y a-t-il quelque part à terre une amoureuse qui pense lui… l’océan s’en fiche.
Ici, les rêves d’aventure allaient bon train… selon les tempérament, aventures sous les tropiques entre corsaires et boucaniers, escales douteuses, îles paradi-siaques, tempêtes impitoyables, caps salués au passage ; quand on parle de la mer, l’imagination des terriens s’enflamme vite
Et le cargo disparut à l’horizon. Les mouettes revinrent au premier plan. Il ne s’était peut-être rien passé…
Episode 197
Une après-midi embellie
Voilà, ce qui l’autre jour, plutôt l’autre nuit, animait l’un des ces entractes qui parsèment mon sommeil. Tantôt ils m’entraînent dans de magiques et fastueuses aventures, tantôt c’est un abîme sans fond. Les psychanalyste farceurs viennois appellent cela “insomnies”, terme légèrement inquiétant dans lequel, à défaut d’y voir clair, ils y voient une source d’honoraires.
Je me disais que si j’arrêtais de raconter de-ci de-là les vies ordinaires et extraordinaires au bar de la plage, personne au monde n’en saurait rien des amours de Leslie, des cyber-dons en mathématiques ultimes de Jean-Do, des boucles brunes de Caro, des rosseries de Jules, des voyages exotiques du Colonel sur les grands fleuves d’Asie, et en tout cas rien des résultats du tournoi interplage de volley-ball mixte..
Bon … bien sûr… pas de quoi…
Comme le disait si bien Marcel Duchamp s’interrogeant sur son art : qu’est-ce qui vaut la peine d’être peint ? et alors… qu’est-ce qui vaut la peine d’être écrit ? Mon cher Marcel, je sais : des chansons… attention pas n’importe lesquelles… pas de ces refrains guerriers comme La Marseillaise ou l’International, juste utiles pour envoyer les hommes s’entretuer dans l’allégresse, non peut-être une chanson, une seule chanson : Flowers of Scotland…. Elle a été écrite par un pilier de rugby écossais et on la chante dans le stade de Murrayfield à Edimbourg à chaque fois que l’équipe de rugby du pays y joue. … et quand tout un stade chante Flowers of Scotland à l’unisson, sans flonflons, comme nu… pendant ces quelques instants, le monde est plus beau.
Episode 198
L’étrange légèreté de la mélancolie
La mélancolie est-elle contagieuse ? Certaines personnes semblent en être immunisées… dommage pour elles.
Line est mélancolique de naissance. Cela lui va bien. Elle en décline, suivant le temps et les humeurs, toutes les variétés et couleurs. Mélancolie amoureuse, mélancolie triste, mélancolie joyeuse, mélancolie désespérée, indifférente, un peu hautaine, une manière de se donner un genre à part, un style inaccessible au commun ; cousine du spleen, privilège des dandys baudelairiens…
Pas d’amalgame avec la nostalgie, tout juste une lointaine parenté. La nostalgie est un sentiment chronologique : un regret renfrogné des charmes d’un passé idéalisé confronté à un présent décevant. La mélancolie est de tous les temps, elle se moque bien de la grammaire et de ses conjugaisons , présent, passé, futur. Elle est comme un état d’âme, une compagne fidèle, au-delà des agitations instantanées….
La mer était étale, lisse, les mouettes peu bavardes, Mike Jagger avait définitivement oublié l’anniversaire de Leslie. Une certaine Angleterre s’éloignait.
Ma tante cartomancienne en Cornouailles me l’avait bien dit : ” Alexandre, commence par t’occuper de ton breakfast, la suite est hasardeuse”. Et sur la question, elle en connaissait un rayon.
Je cherchais une façon d’être mélancolique… pas si facile qu’on le croit… Duke Ellington et John Coltrane dans leur morceau “In A Sentimental Mood” s’en approchent… je l’ai écouté trois fois de suite…