Episode 150
Clara (2)
Et au bout de la plage c’est la mer. Et au bout de la mer c’est l’horizon. Et après… Il faut aller voir pour le savoir. C’est à peu près ce qu’ont dû se dire tous les navigateurs de tous les temps.
Aujourd’hui, la mer est tout à côté, l’horizon est au loin. J’adore ce genre de considérations qui ont tout l’air d’enfoncer des portes ouvertes. (un irrésistible penchant pour la facilité) N’empêche que s’il vous vient à l’esprit une autre explication à cette frénésie qu’ont eu les hommes de quitter leur chez-soi pour aller voir s’il faisait plus beau ailleurs, déposez-la dans la boite aux lettres sous le comptoir du bar de la plage. N’en attendez pas de réponse rapide, on ne l’ouvre qu’une fois par mois et encore pas tous les mois.
“Le courrier doit passer” proclamaient les pilotes de l’Aéropostale en se posant sur la piste du Cap Juby dans les sables marocains ; le bonjour à Saint-Exupéry en passant.
Bon, maintenant payons un coup au facteur et n’en parlons plus ( les timbres rouges – “en vitesse” – ont été remplacés par des timbres verts -” à vélo?”. Les facteurs respirent mieux)
Et voilà…
– Bonjour, je m’appelle Clara, ce matin j’ai rencontré quelqu’un qui m’a invitée à passer ici… C’est bien là… Il a dû oublier de me dire son nom, moi aussi d’ailleurs.
– Je le connais bien… il va être ravi de vous voir, peut-être même un peu plus…”et même pire,” pardon? c’est Julien Clerc qui chante ça… (Femmes, je vous aime)
… Jean-Do ! il y a quelqu’un qui te demande, il s’appelle Clara
Ça allait nous changer des mathématiciennes à talons aiguille et de leurs grands airs de “Je-sais-tout” qui commençaient à nous agacer surtout Caro qui en sait un peu plus qu’elles sur les humeurs de Zeus et la guerre de Troie.
(À suivre)
Episode 151
Un camaïeu de gris
Une pluie fine transperçante accompagnait une brise mordante. Tenues préconisées : ciré ou veste de quart, bonnet pour les filles avec, bien sûr, frange et mèches qui dépassent. (des accroche-cœur dans le vocabulaire érotisé de ma tante cartomancienne)
Repli à l’intérieur du bar de la plage. Tiens, une nouvelle photo accrochée aux boiseries, à côté des voiliers de Becken. C’est un tirage de la célèbre photo d’Helmut Newton : de nuit, dans une ruelle pavée de Paris mal éclairée, une fille solitaire, inattendue, longue et ultra-sophistiquée, cheveux tirés, en smoking d’homme, fume-cigarette aux lèvres, elle a l’air surprise par le photographe ; elle a plutôt l’air de lui dire gouailleuse “tu m’as jamais vu, tu veux ma photo… mais non je n’ai pas peur des fantômes, je suis une grande fille maintenant “. Les voiliers de Becken, le mannequin de Newton, tout en nuances de blancs et de noirs. L’absolu éclat des formes et des âmes. Les couleurs vont mieux aux manèges des fêtes foraines, aux parasols et aux bouées publicitaires des vacanciers d’été. Sauf dans les îles sous les Tropiques où les couleurs flamboyantes des fleurs irriguent sans retenue les tenues des femmes et les ombres des peaux foncées.
Nous voilà bien. Dehors, un camaïeu de gris, eau, sable, ciel, nuages, végétation, à chacun son gris.
Jean-Do, son esprit errait du côté de Clara; Louise de V imaginait un troisième mari, ce n’était pas la saison, Le Colonel perdu dans des songes exotiques, une canon-nière remontait au ralenti le Yang-Tse-Kiang, une fille impavide en robe de soie rouge fendue attendait qu’on l’invite à danser, dit : “La mousson est en avance cette année.” Peut-être…
Episode 152
Au Phare Around Midnight
Charles Llyod Trio joue Dorothea’s Studio… Calme et voluptés.
Jean-Do embrassa Clara pour la première fois. Caro est tout contre Jules. Line semble flotter dans une irrésistible mélancolie, c’est elle qui est irrésistible. Leslie songe à David Bowie et Annie Lennox en duo dans Implulse à Wembley… enfin, c’est moi qui le prétend, hypothèse plausible tant nous aimons le clip, surtout la version répétition…
Je me rapproche du bar, une fille à l’air isolé, je lui propose un verre :
– Vodka, merci
Elle est rousse à cheveux courts avec un léger accent mixte non identifiable, peut-être d’un lointain Est, ce fut le début… Le début du défilé de vodkas.
Elle me rassure ” vous savez – Alexandre… n’est-ce pas ? c’est de famille, du côté des femmes, ma mère, mes tantes, sans doute aussi mes grand-mères, et mes sœurs, elles ne craignaient personne, la vodka aidant… même les loups n’osaient pas s’approcher de la maison…
Je ne suis pas un loup mais je suis prêt à écouter jusqu’au matin toutes les légendes en provenance des steppes sauvages…. racontées par une rousse à cheveux courts….