Chroniques Créations

La Bar de la plage – épisodes 181, 182 et 183

Episode 181

Sous grand voile à trois ris

Ça commençait mal et rien ne laissait espérer une possible amélioration.

Un vent glacé balayait le feuillage des arbres. La météo marine s’en donnait à cœur joie. Les oiseaux de mer s’étaient réfugiés à l’abri des toitures. Un gris pâle uniforme gelait le paysage.

Je stationnais dans mon lit sans intention de m’en séparer. La tiédeur des draps suffisait à mon bonheur immédiat que je soupçonnais bien sûr de n’être que provisoire.

Pour s’exclamer joyeusement “Levez-vous vite, orages désirés…” Chateaubriand, ce cher François-René, n’avait sans doute jamais navigué sur un IMOCA 60 pieds dans les houles de l’océan Indien.

La tempête a de ces avantages comme pouvoir la regarder à travers la fenêtre comme au cinéma.

Un petit tour sur les ondes. Actualités : les bavardages s’essoufflent face au vent. Côté musique : les rappeurs ne peuvent pas décoller, vents contraires paraît-il. Dans une accalmie, Leonard Cohen chante Hallelujah. Thank you Eole.

La journée avançait ainsi, trempée, secouée… sans horizon.

Ce soir au bar de la plage ? absent (excusé ?)

Episode 182

Une équation peut en cacher une autre

Et Jean-Do énonça : ” il y a des choses qui doivent être dites, il y a des choses qui ne doivent pas être dites. Il y a des choses qui peuvent peut-être être dites, il y a des choses qui peuvent peut-être ne pas être dites.”

Même si d’un point de vue purement logique et grammatical, je comprenais assez bien ce que le nouveau théorème de Jean-Do voulait dire, je demeurais perplexe devant l’étendue de ses applications. En vrai : immense sensation de vertige face à l’abyme des inconnues.

Le temps était ordinaire, les mouettes faisaient semblant de n’avoir rien entendu et poursuivaient leurs chamailleries. On ne pouvait pas leur en vouloir.

Caro relança ;

– Et à qui ou à quoi tu penses…

Elle subodorait que, sous ses grands airs raisonneurs, Jean-Do cachait ses récentes démêlées avec sa dernière amoureuse, mathématicienne ultime à talon aiguille. On la croyait définitivement rangées au magasin des accessoires… mais, sans doute que le cœur etc, etc.

Devant moi, s’ouvrait le chemin vertigineux qui conduit de l’impeccable raison universelle aux désordres de nos âmes.

Line dit :

– Marivaux gagne toujours contre Einstein.

Episode 183

Ô temps, suspends ton vol

Quoi de neuf ? la marée. Les mers sans marée ont l’air vieilles.

Les dernières soirées au Phare nous avaient laissé songeurs ; une sorte de retour à l’ordinaire après quelques évasions aériennes sur des musiques sublimes et les déhanchements dionysiaques des filles. (No comment, merci.)

Notre piste d’atterrissage avait été le sable de la plage. A la tour de contrôle, les vitres étaient brisées, l’équipement radio hors d’usage ; on s’était posé, voilà tout. Le contact avec le sol était doux, le moment était flou, tiède, sans cap. On s’y laissait aller. Etrange absence de la nécessité de faire quelque chose ou d’aller quelque part. La définition nous échappait… Etait-ce un vide plein ou un plein vide…

On y revient toujours, à cette dernière scène de la Dolce Vita où les fêtards encore élégants s’enfoncent en une ultime procession jusqu’au rivage. Un nuit finissait, un autre jour naissait… les âmes oscillaient…

Dessinée par sa longue robe de soie noire, Caro marchait pieds nus au bord de l’eau. S’imaginait-elle accompagner les noceurs de la Dolce Vita… Jules en smoking aurait fait un complice de Mastroianni convenable… les autres rôle restaient à distribuer… Leslie en minijupe dorée boudait “ce connard de Mike Jagger qui ne l’avait toujours pas appelé pour son anniversaire”. Les Rolling Stones vivaient sans doute dans un calendrier différent de celui du commun des mortels.

Une mouette passa en braillant.

La réalité se rapprochait.

– Georges…