Ce qui m’interdit de sortir du lit,
c’est l’annonce de ce qui touche au jour.
Aucune audace,
mais un plaisir de bête.
Cet autre chose peut être.
L’amour est semblable à ce qui nous tenaille.
Pourtant,
tes yeux, tes rires, tes sanglots sont libres de cesser leurs plaintes ;
vivre par l’accident.
C’est autre chose, aujourd’hui.
Un hiver de hanches rondes et allusives,
de peaux orangées et haletantes ;
l’odeur du copeau, de la résine.
En nous, l’odeur de nos propres cendres,
nos haleines consumées.
C’est autre chose…
L’étendue démolie des arbres,
cimes couchées sans agonie.
On commence par la couleur,
par décider d’un automne,
puis le vent de l’hiver tordu,
puisé à la verticale des océans.
L’expire chassant la feuille à grands coups d’orgueil de vent et de cris de feuilles chassées.
Le vent indécis de son nom de vent quand il souffle sur la braise.
On passe ensuite à l’odeur du déracinement.
La terre colle aux racines blanches,
un effluve suave, ancré,
subitement éveillé, parcours l’échine et soulève l’écorce.
Et le vent chassant l’odeur à grands coups d’orgueil de vent et de soupirs d’effluves chassés ;
le vent en absence de nom quand il sèche les plaies inventées par le vent.
C’est autre chose. Encore.
La rouille des ferrailles,
des portes, des clous, des vis, des métaux ;
attirail ferreux des planteurs d’épines.
Trouille des rails et du rite,
Rouille contre glu, froid du fer dans un ventre de houille.
Une fois dix puissances mille objets pour une émotion.
Colle des pattes à la terre.
L’objet fin,
articulé,
organisateur de tâches,
l’objet qui se cache dans les pores de la peau et dissémine la glu,
l’objet qui contrôle tous les horizons et les offre tous à la fois.
Quelle est cette chose écrite qui n’a rien à dire, rien à penser ?
Elle n’est que chant qui suggère l’écho de demeures abyssales et de droits horizons. L’écho d’un objet, aussi.
C’est autre chose, la chose.
L’insomnie des nuits.
La goutte glissant, salée.
La langue qui happe, embrouille les traces,
mime l’endormi, tourne et retourne.
Puis mon cœur qui tape à l’angle des draps,
à la bavure de l’oreiller.
D’abord discret, puis jouant l’évidence d’un boulevard pour la mort.
Mon vol d’angoisse,
écoute vaine d’un rythme.
La peur du jour, fatigué.
L’effort impossible,
la pensée tournée vers l’audace de bouger.
Sortir de la tiédeur des draps,
de l’enclos des couvertures.
de cette âme de laine et d’oreillers,
splendeur de la putréfaction.
Sortir l’orteil,
entendre le claquement de l’os et penser l’articulation, le cartilage spongieux
et toujours et toujours le nom du rongeur.
Les muscles désertés de leur sang appellent au sommeil,
à l’endormissement généralisé,
à l’engloutissement dans le nid tiède,
à la rondeur fœtale. Le corps,
non déroulé au bord du lit,
os craquants, tendons rigides,
tendus vers les minéralisations essentielles
et toujours et toujours le nom du rongeur, l’aquatique, l’acrobate, pendu
aux commissures des lèvres sèches et de la gorge raclée :
Dormir c’est mourir par la parole tue.
Chaque matin, rompre avec l’immobilité,
avec l’infusion progressive des membres dans le lit chaud,
puis s’étirer comme l’animal,
désarticuler la bouche du sommeil,
boire la première eau et monter par degrés vers la parole endormie.
C’est autre chose, le choix.
L’enfance des rendez-vous dans le lit éternel.
Le jeu d’un bateau livré à l’embonpoint de la chambre.
C’est une tempête de draps blancs, un ressac de couvertures, une mutinerie d’oreillers.
Rien ne s’élève, nous sommes au sommet.
Il y a danger à tomber, à glisser vers le bord vertigineux du lit défait,
vers la carpette jaune, laineuse, inchangée ;
vers le gouffre peuplé de gueules immondes,
vers un fond, vers un bas,
vers l’épaisseur irréelle de la glu noire,
appelante.
Il y a peur à lutter avec le rampant.
Trouille de glisser, souffrir, perdre une main, un pied,
s’amputer de l’unique unité.
Enfin rire.
Enfin reprendre la route du bateau livré
aux errances enfantines.
Enfin le flot de joie, de laine et de coton.
Il y a un côté, aussi. L’inquiétude. Celle où dort le père.
C’est le côté bleu du lit,
l’odeur du chantier,
la trace d’un enjeu, l’autre peur.
Une glisse de gammes basses.
Les sens se détournent, l’odeur hérisse, elle suggère l’autre monde.
Elle ne séduit pas.
Elle est posée comme nécessité.
Père, esclave du béton,
à l’honneur par le métier,
anguleux à force de coupures d’acier,
de lacérations des briques,
infecté par le parpaing,
rongé par le grignotage poudreux du ciment,
esclave en joie d’aller vers sa geôle.
Père chasseur de payes et de patrons,
bras en sang dans l’entrelacs des aciers,
œil sous la grue,
tête levée sous le vol du béton,
main au mètre, au crayon,
doigts sur le plan du mur,
langue sans lutte, sans idée, sans grève ;
jambes pour manger,
rire pour l’argent,
corps du canapé,
folie de l’alcool.
C’est autre chose. Un trou.
Les déjeuners en famille,
l’argenterie étincelante autour de la soupière en porcelaine.
La langue interdite navrée d’intelligence,
pauvre, sans question pour la beauté.
Beau introuvable, de la cave au grenier, dans les tiroirs, les magazines.
Et dans mes passages répétés,
(chambre, grenier, cave et télévision ;
cave, jardin, lune et télévision )
livré à l’indifférence des invités,
l’hébété père,
plié dans un fauteuil,
se mouvant dans l’écran.
C’est autre chose, toujours.
Tous ces hommes sans une seule fabrique d’unité.
Paradoxe de celui qui me définit.
Non ! Je suis cela et ça et encore demain différent !
Par la parole, tu es seul au monde.
Tout à construire, la voie, l’humaine, l’après dans la même vie de vagabond.
Tout dire, même la confession :
C’est vrai pour la gloriole !
C’est vrai pour le mensonge !
C’est vrai pour la trahison!
C’est vrai pour la lâcheté !
Et pour le sexe, l’alcool et mes regards glissés dans tout pli qui fait corps.
Je me contemporain dans l’antre des choses.
Je me compte pour un dans le jeu des sommes.
C’est autre chose, peut-être.