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De ma naissance à la libération de Toulouse – 29 juin-19/20 août 1944

C’est le jeudi 29 juin 1944, à 14 h 30, que je suis né dans la maison de mes grands-parents Séguéla, au 27 rue Dessalles, plateau de Jolimont, où mes parents étaient hébergés depuis leur mariage, le 11 janvier de la même année.

L’accouchement fut réalisé par une sage-femme, Mme Cousty, qui devait également officier pour la naissance de mon frère Bernard, le 19 août 1949.

Seule différence, je suis né dans la chambre qui donne sur la rue, Bernard dans celle qui donne sur le jardin à l’arrière de la maison.

1944   Ma maison natale. Sur le trottoir mes grands-parents Jean et Maria Séguéla. Je suis né dans la chambre du 1erétage, à droite, au-dessus de la porte du garage. La façade est d’un beau rouge carminé

Et malgré les restrictions alimentaires, je ne souffrais d’aucune carence, ma mère était secrétaire à l’administration du rationnement, appelée communément « les Farines », et mes grands-parents activaient la filière d’approvisionnement familiale avec les cousins paysans de St Rustice, Pompignan et Aussonne, villages agricoles situés à 15 kms de Toulouse.

Première photo le 14 septembre 1944 à Aussonne – Aucune photo n’aura été prise sous l’occupation

Je me présentais donc comme un beau bébé bien dodu, et particularité rare dans la famille, doté de cheveux blonds, qui allaient foncer rapidement. Peut-être une résurgence de l’atavisme autrichien (Tedesco), du côté de ma grand-mère maternelle. Ma mère a conservé une belle boucle blonde, pour témoigner de cette originalité.

Le Contexte Historique

En plaisantant, mes parents m’ont souvent raconté que mon arrivée avait fait fuir les allemands, et qu’ils avaient décampé dès qu’ils en avaient eu l’information….

Enfant j’étais assez fier de cette histoire, qui faisait de moi un petit Zorro.

Mais j’appris plus tard qu’il n’en fut rien, et que les occupants ne quittèrent la ville que le 19 août. J’ai donc vécu 7 semaines et demie sous leur gouvernance.

Aucune photo de moi ne fut faite durant cette période. Mes parents avaient assurément d’autres préoccupations que d’immortaliser leur progéniture !

Ces faits éclairent ma naissance d’un jour différent, les mois de juillet et août 44 étant des mois à risque élevé pour la population civile, les soldats allemands devenant de plus en plus fébriles, vidant les prisons en exécutant les prisonniers résistants, et faisant partir de Toulouse le fameux train fantôme qui devait mettre 2 mois pour rallier Auschwitz.

La fameuse division SS « Das Reich » passa aussi par la ville rose, semant terreur et dévastation sur son passage dans la région, notamment à St Lys, dans la proche banlieue toulousaine, avant de se rendre tristement célèbre à Oradour.

Paradoxalement, ce sujet fut rarement abordé en famille, peut-être parce que ma mère, brouillée avec ses beaux-parents, refusait d’exprimer toute forme de reconnaissance, à priori normale, à leur égard.

Cependant quelques faits sont restés dans ma mémoire, notamment les bombardements.

Les 4 Bombardements subis par les Toulousains :

1 Le premier raid dans la nuit du 5 au 6 avril 44

Cette nuit-là, une quarantaine d’avions bombarde la ville. Bilan 22 morts et la destruction des usines Bréguet de Montaudran, et des ateliers industriels de l’air à St Martin du Touch.

2 Dans la nuit du 2 mai 44, une centaine d’appareils, évoluant à basse altitude, entre 1200 et 1500 mètres, et venant d’Afrique du nord, bombarde, vers 00 h 50, la poudrerie, l’arsenal, la gare, les usines de St Martin du Touch, et le pont d’Empalot.

Sept vagues de bombardiers lâchent leurs bombes durant 45 minutes. L’Onia (Office National Industriel de l’Azote), et futur AZF, part en fumée. Le poste de DCA de Pech-David est également détruit. Il y a 45 morts dans la population toulousaine, et de lourdes pertes chez les allemands.

C’est le bombardement le plus sévère qu’ait connu la ville.

3 – Le raid du dimanche 25 juin

Il s’effectue à 9 h du matin. Six escadrilles de 12 à 15 appareils attaquent les aéroports de Blagnac et Francazal, en volant à 3000 m d’altitude pour déjouer la Flak (DCA allemande), et détruisant les pistes et tous les appareils au sol. Il n’y aura pas de victimes civiles.

C’est vraisemblablement de ce raid que parlait la famille, en évoquant un spectacle extraordinaire et effrayant, et des avions lâchant leurs bombes de très haut.

4 – Le dernier a lieu le samedi 12 août vers 11 h 45 et vise les dépôts d’essence, sans faire de victimes civiles, mais provoquant de grosses pertes chez les ennemis.

Avec les tirs de la Flak allemande, cela faisait un beau spectacle que certains toulousains venaient admirer depuis le Plateau de Jolimont, un magnifique point d’observation. Les allemands occupaient même certaines belles villas avec vue, notamment la maison située au coin des rues Dessalles et Jolimont, qui possédait un grand toit terrasse.

Mais il y avait aussi le risque que les bombardiers pilonnant la gare de triage de St Jory et la gare Matabiau, toute proche, lâchent quelques bombes sur le quartier. Dans cette hypothèse, mon grand-père Jean Séguéla avait creusé un fossé à côté de la maison, dans la partie jardin. C’est là que je me suis souvent retrouvé avant et après ma naissance, pendant les alertes.

Le bruit ne semble pas m’avoir effrayé, et je n’ai eu aucune séquelle de ces séances où l’atmosphère devait être saturée par un effrayant bruit de tonnerre.

Il faut dire, qu’ayant été conçu sur un circuit automobile, je devais déjà avoir une certaine habitude du bruit !

Il est vraisemblable que je me sois trouvé dans cet abri de fortune le dimanche 25 juin, 4 jours avant ma naissance. Par chance les cibles (les aéroports de Blagnac et Francazal) étaient éloignées de Jolimont.

C’est celui du 2 mai qui fut le plus dangereux, avec le bombardement de la gare Matabiau.

Mais cette nuit-là, les aviateurs Alliés avaient opéré à basse altitude.

J’aurais aimé en savoir plus sur la nature de ce fossé-abri, sa profondeur, son mode de protection, son organisation, comment on y passait le temps. Mais cette histoire ne m’a jamais été racontée.

L’arrivée des FFI

Dans ma mémoire je retrouve quelques échos sur la génération spontanée de néo résistants de la dernière heure, qui s’étaient plutôt manifestés dans le marché noir, et qui faisaient du zèle pour faire oublier leurs turpitudes. Et comme souvent, les braves gens payaient pour les autres, comme ce fut le cas pour un voisin, M. Argence, qui, totalement inoffensif, mais ayant eu le tort de se proclamer « royaliste », fut dénoncé et interné près de 2 ans au camp de Muret.

Mon père et mon grand-père citaient un grand nombre de ces collaborateurs qui n’avaient pas été inquiétés à la Libération et qui tenaient à nouveau le haut du pavé.

Leur sens de la justice ayant été déçu, ils conservèrent longtemps une certaine rancœur à l’égard d’un système construit sur de mauvaises fondations. Leur espoir d’un monde nouveau s’était effondré, avec le retour aux anciennes pratiques politiques.

Le maquis Roger basé autour de Grenade sur Garonne etait dirigé par Albert Carovis

Premier à entrer dans Toulouse le 19 août, ce maquis devait prendre possession du nord de Toulouse et des endroits stratégiques, Poudrerie, aérodromes.

Peut-être l’une des causes secondes du choix de mon prénom, la principale étant la réussite de mon cousin Roger Astorg, le fils de ma grand tante Maria Séguéla ?

Le dimanche 20 août, l’entrée des FFI, Forces Françaises de l’Intérieur, place du Capitole

A partir du 19 août, les maquis convergèrent vers Toulouse, occupant progressivement les divers quartiers. C’est un jeune maquisard de 24 ans, le colonel Serge Ravanel, qui prit la direction des opérations, avant que ne soit nommé un Commissaire de la République en la personne de Pierre Bertaux, après la blessure de Jean Cassou pendant les combats de rue.

Des barricades sont érigées dans toute la ville, notamment sur le faubourg Bonnefoy, et des combats se déroulent dans toute la ville. 35 combattants résistants y laisseront leur vie.

  Une barricade sur le faubourg Bonnefoy 19/20 août 44 (photo Gril)

Cette photo fut prise par le photographe Gril, qui possédait une boutique  sur le faubourg Bonnefoy, en face de l’église. C’est chez lui que furent effectués ultérieurement tous les documents photographiques officiels comme les cartes d’identité, et les développements des pellicules familiales.

Les combats dans la ville dureront jusqu’au 20 août au soir, avec le départ des derniers allemands.

Suivra une période troublée de 4 à 5 jours avec les dérapages inhérents à ce type de situation, jusqu’à ce que les FFI de Serge Ravanel parviennent à établir un embryon d’ordre républicain.

La guerre civile que certains craignaient, ou souhaitaient, n’a pas eu lieu, les communistes n’ayant pas reçu d’instructions pour tenter de prendre le pouvoir.

Si l’enthousiasme des Toulousains est à son comble devant la stature du général, le courant passe bien mal entre le premier des résistants et les maquisards toulousains. Serge Ravanel s’en émouvra longtemps, faisant état du mépris de de Gaulle à l’égard des combattants toulousains.

La Libération de la ville s’achèvera les 16 et 17 septembre par la visite du Général de Gaulle à Toulouse, où il est accueilli par une foule en liesse. Derrière lui, Pierre Bertaux et Jean Cassou ( ?)

En effet, il s’inquiétait de l’incapacité des chefs de la résistance à maîtriser la dissension des groupes locaux et l’emprise de ceux-ci sur la ville, et particulièrement des communistes. Le gouvernement provisoire souhaitait rétablir l’ordre républicain au plus vite.

C’est pour ces raisons que dans son discours il évoquera « Toulouse, la Rouge ».

Mes parents ont-ils assisté à cette grande manifestation ?

J’ai entendu mon père en parler, disant qu’il n’avait jamais vu une foule aussi dense et énorme. Pierre Bertaux évoque le chiffre de 30 000 personnes.

Mon grand-père a également pu y participer. Il n’était pas encore gaulliste, et comme tous les socialistes il craignait une dérive autoritaire du général.

Ma mère devait éviter ce genre de manifestation, forcément à risque, et elle devait prendre soin de son tout jeune fils…

Ce qui est sûr, c’est que le 14 septembre, mes parents avaient quitté la ville en train (ou en autobus), pour se rendre chez les cousins Garres à Aussonne, leur présenter leur rejeton et faire une partie de pêche dans l’Aussonnelle.

Sue la photo ci-dessous, je ne semble pas apprécier la nature, peut-être une faim de loup, j’étais assez glouton, et ma mère m’allaitait

14 septembre 1944, à la pêche à l’Aussonnelle – Je braille dans les bras de ma mère !

Même si je n’ai pas le moindre souvenir de cette période, la découverte progressive de cet évènement durant mon enfance, devait sublimer en moi un intense besoin de liberté.

L’occupation de Toulouse par les allemands de 42 à 44, l’exemple des résistants, et la lutte pour la libération, tous ces éléments contribuèrent à faire de la Liberté une valeur essentielle.

Je conclurai ce texte par un hommage à Winston Churchill, le grand homme grâce à qui j’ai pu vivre libre toute ma vie, une chance que beaucoup, aujourd’hui, n’apprécient pas à sa juste valeur, et qui critiquent stupidement un système qui leur laisse la liberté de s’exprimer.

 

Sources :  Archives de Toulouse, La Dépêche du Midi, photos Gril, Dieuzaide, André Séguéla