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RD2 – Miracle au Val de Grâce

RD2 = Réformé Définitif Sans Pension
Ou comment j’ai reconquis 14 mois de liberté !

Trois dates très importantes marquent cette année 67 :

– lundi 4 septembre 1967 : incorporation au régiment des Sapeurs-Pompiers de Paris, Porte Champerret.

–  jeudi 21 septembre 1967 : Val de Grâce, déclaré RD2, réformé définitivement, service militaire réduit de 16 à 2 mois.

– vendredi 20 octobre : passage devant la Commission de Réforme à Saint-Mandé et libération définitive le lundi 24 à 15 h 30, muni de mon livret militaire.

Ces 17 jours (du 4 au 21 septembre), auront marqué ma vie, ils constitueront mon haut fait militaire, « ma campagne du Val de Grâce ».

Ils méritent bien quelques explications, et une narration empreinte de sérénité et de jubilation.

Rares étaient alors les heureux élus, capables d’obtenir une réforme définitive sans pratiquement de motif valable. Ce fut une vraie performance, le résultat d’un cocktail de chance et de méthode, où rien ne fut laissé au hasard, une fois l’opportunité révélée.

Au départ, je ne disposais pas de la moindre chance d’échapper au service militaire.

A 23 ans, je venais de quitter l’École des HEC, diplôme en poche, prêt à ma lancer avec ardeur dans la vie active.

Les Pompiers de Paris

Mais il fallait d’abord régler le problème du service, d’une durée de 16 mois à l’époque.

La solution intelligente était alors de choisir la Coopération, d’une durée de 2 ans, qui pouvait offrir des opportunités intéressantes.

Étant marié, cette solution était difficile à mettre en œuvre. Ma situation matrimoniale me permettait de rester sur Paris, en ciblant une sinécure, l’armée de l’air, place Balard, où beaucoup d’étudiants faisaient un service « peinard », comme devait le faire mon ami Jean-Noël Ménétrat.

Pour assurer le coup, je fis appel à 2 oncles de la belle-sœur de Marie-Claire, qui se faisaient forts, vu leur entregent, de me garantir une affectation place Balard.

Confiant, j’attendis la feuille de route, qui arriva une semaine avant l’incorporation et m’envoya à la Brigade des Pompiers de Paris, tout juste créée en mars 1967.

Le piston avait fait long feu… et j’allais devoir combattre les incendies en grimpant sur la grande échelle, ce qui ne faisait partie ni de mes spécialités, ni de mes objectifs.

Et en plus j’avais alors une certaine appréhension du vide.

Un point positif, les gardes dans les théâtres !

J’allais œuvrer dans une unité d’élite, où l’entraînement était poussé, et le danger certain.

Et je ne voyais aucun moyen d’y échapper !

Après réflexion, je dus vraisemblablement cette affectation « d’élite » au fait que j’avais fait la PMS (Préparation Militaire Supérieure) et même obtenu la mention Bien à l’examen final. J’avais tout fait, en suivant de faux bons conseils, pour être officier et choisir mon arme !

Péniscola – juin 67

Flashback : Péniscola – juin 1967

La bonne compréhension de cette histoire nécessite un retour en arrière.

Dès la fin des cours, vers la mi-juin, nous prîmes la route en 4 CV pour Toulouse, où nous changeâmes de monture pour la 403 Peugeot des parents, et descendîmes en Espagne jusqu’à Péniscola, port pittoresque situé entre Barcelone et Valence, dans la province de Castellon.

Nous devions y passer 15 jours de vacances, dans un appartement neuf, à 10 mètres de la plage.

Tous s’y passa bien, même si la mer était froide (19°).

Et fait important, je rentrais avec une forte douleur aux oreilles

 

 

Un Été parisien – Antony/Le Blanc Mesnil

Au dispensaire de la cité universitaire d’Antony, début juillet, je consultais un docteur, qui ne trouva rien d’anormal et me donna des gouttes auriculaires. Quelques jours plus tard, toujours mal en point, je pris rendez-vous avec un otorhino, qui diagnostiqua une otite aigüe.

Je refusais l’opération (paracentèse), par manque de confiance dans la médecine universitaire, et optais pour un traitement de choc avec 5 piqûres à la cortisone et un traitement à base de pénicilline.

Sans le savoir, je venais de déclencher un enchaînement heureux de circonstances.

Je l’ignorais, la cortisone, à forte dose, provoque la production d’albumine.

Mon état de santé ne s’améliora que légèrement, du côté de l’audition. Mais sous l’effet des médicaments puissants, la fièvre disparut

Nous déménageâmes d’Antony vers le Blanc-Mesnil à la mi-juillet.

Étant disponible, je cherchais un job d’été.

Bien que fraîchement diplômé, le stage le mieux payé, trouvé grâce au Copar, l’organisme des étudiants, fut un travail de cariste/manutentionnaire, chez Duco, à Stains, une entreprise produisant des peintures, des solvants et des produits chimiques.

J’y travaillais tout le mois d’août, payé 3 francs 60 de l’heure, pour 10heures par jour.

Ce qui me permit de gagner 900 francs, (2500 € en 2020), une belle somme avant de partir au service.

Point important pour la suite de mon histoire, je travaillais dur et toujours debout à manipuler des objets lourds. D’où une certaine fatigue physique….

Et en 3 mois j’aurai perdu près de 6 kg, passant de 69 à 63. Je flotte dans mes pantalons.

La caserne à base « triangulaire » de la porte Champerret

Incorporation le 4 septembre 1967 caserne de la porte Champerret

C’est dans ce bâtiment que je subis la traditionnelle coupe de cheveux. J’avais préparé le terrain, et le coiffeur d’origine ariégeoise m’évita l’humiliation habituelle.

Après un premier examen médical, nous fûmes acheminés vers la caserne enterrée de Villeneuve Saint Georges, où je passais ma première nuit de sapeur-pompier, toujours en civil, dans une chambrée troglodyte.

Surprise le mardi matin, avant d’aller me faire habiller en sapeur, je fus appelé et conduit en ambulance militaire à l’hôpital de Port Royal, au Val de Grâce.

On me dit simplement que l’analyse de mon taux d’albumine avait révélé un niveau trop important : j’avais 1,10 g/l, alors que le maximum pour les pompiers de Paris était à 1 g/l.

Et comme l’Armée ne s’embarrassait pas de cas litigieux avec des conscrits susceptibles de demander des pensions, on allait me faire un complément d’analyses.

Le Val de Grâce – Entrée Principale

Séjour au Val de Grâce – 5 au 22 septembre 67

Un point d’histoire, il convient de rappeler que l’abbaye royale du val de Grâce fut élevée suite à un vœu d’Anne d’Autriche, qui avait dû patienter 23 ans avant de mettre au monde le fils de Louis XIII, prénommé Louis, Dieudonné, le futur Louis XIV.

Cet évènement inespéré allait donner naissance au Val de Grâce, transformé en hôpital militaire par la Convention en 1793.

Débarqué à l’hôpital de Port Royal le 5 septembre, je me retrouvais au premier étage après l’entrée, dans une immense pièce équipée de 24 lits. J’occupais le premier lit en rentrant à droite, le plus proche de la sortie.

Débarrassé de la corvée des classes, je partis à l’aventure dans ce nouveau domaine, qui pouvait ressembler pour certains à une colonie de vacances. C’est ainsi que la plupart des conscrits concevaient cette période, pour se laisser aller dans l’inactivité la plus totale….

Je fis immédiatement connaissance avec des recrues intéressantes, des médecins qui voulaient se faire réformer.

Informés de mon taux d’albumine, ils me conseillèrent de pratiquer un régime capable d’empêcher ce taux de baisser. Le prélèvement ayant lieu tous les matins à 7 heures, il fallait que je me fatigue avant de remplir le flacon.

Je me levais donc à 5 heures, et j’allais faire 2 heures de pompes et d’exercices physiques pour me fatiguer, dans la zone des sanitaires.

Je suivis un régime alimentaire à base d’œufs et de bière.

Je me fis envoyer par ma mère un résultat d’analyse d’urine de 1961, où j’avais eu une albuminurie orthostatique, suite à un excès de compétitions sportives (1000 mètres et cross-country en cadets). Cela ne m’était arrivé qu’une fois, mais ce document allait jouer un rôle important.

Mes « conseillers », qui cherchaient à simuler la schizophrénie pour se faire réformer, me donnèrent une information capitale. Le patron du service, le major Martin, dont les études médicales avaient été payées par l’armée, voulait partir exercer dans le civil, après avoir accompli les 10 années qu’il devait à l’État.

Mais l’Armée faisait des difficultés pour le laisser partir.

J’avais donc une belle carte à jouer.

Il me reçut une première fois, et je lui fis part de toutes les maladies dont je pouvais souffrir. Il fit faire des études sérieuses sur tous les sujets évoqués, notamment la fracture du scaphoïde, dont je prétendis souffrir.

Lors de la deuxième et ultime visite, il me répondit qu’à part l’albuminurie, en voie de forte régression, (en effet, malgré mes efforts, le taux baissait inexorablement), je n’avais rien de grave, capable de justifier une réforme.

Je jouais alors mon va-tout, déclarant que je n’avais aucune fibre militaire, et que je serais beaucoup plus utile à la nation en faisant mon métier qui était de créer de la valeur pour enrichir le pays.

Après cette belle tirade, il ne répondit rien et me renvoya dans mes appartements.

Autant dire que je passais les jours suivants en plein doute, avais-je bien fait de me livrer complètement ?

Je continuais cependant mon régime, et pour me divertir, je participais aux activités proposées au foyer : ping-pong, babyfoot, billard.

Il y avait même une salle de cinéma, et je me souviens d’y avoir vu Jean Paul Belmondo dans « Léon Morin, Prêtre ». Le film idéal à voir dans une abbaye !

Il y avait également le chanteur Antoine, lui aussi en observation, mais il ne sortait hélas pas dans les jardins.

Je voyais tous les jours mon épouse Marie Claire, qui travaillait alors au ministère des finances à deux pas, place Saint Sulpice, et qui m’apportait la presse sportive et politique….

J’arrivais même à avoir une permission de 24 heures.

Arrivé au 18 septembre, je me retrouvais dans le brouillard le plus complet.

Je savais qu’avec plus d’un g/l d’albumine, on pouvait être réformé. Mais avec un gramme, on était dans un cas limite. De quel côté allait pencher la balance ?

Je venais de calculer que sur 12 sortants, seuls 2 avaient été réformés définitivement.

Je craignais la réforme temporaire, qui retardait le problème d’un an et compliquait les choses.

L’anxiété grandissait, et MC ne tenait plus en place.

Enfin arriva le matin du jeudi 21 septembre….

Matinée du Jeudi 21 septembre  RD2

A 8 heures précises, le médecin-colonel pénétra dans la grande salle, entouré de tout son état-major, et précédé par le major (ou capitaine, j’ai toujours eu du mal avec les grades), qui présentait les « impétrants ».

Étant le premier en entrant, je fus le premier cas à être traité.

Je me tins bien droit, et tout ouïe, en attendant les paroles divines.

Ce fut bref.

Le major prononça ces paroles que je n’oublierai jamais :

« Roger Séguéla, Albuminurie Orthostatique à un taux supérieur à 1 g/l depuis 6 ans. »

La réponse du médecin colonel jaillit instantanément et fut d’une concision extrême et aveuglante : « RD2 »

Les jeux étaient faits, j’avais gagné.

Une immense joie me submergea, que je ne pouvais surtout pas exprimer.

J’aurais voulu sauter au coup du major Martin, mon bienfaiteur, mais il abordait déjà le cas suivant, un jeune engagé que j’avais motivé et qui fut aussi réformé.

Un souvenir « cocasse » me reste de cette scène, un adjudant qui faisait partie des scribes du colonel, ne put s’empêcher de me glisser, plus bête que méchant :

« Réformé, vous ne pourrez plus travailler dans l’administration, vous serez obligé d’aller dans le privé » (sic).

Il ne savait quel immense plaisir il venait de me faire.

Dès la fin de la visite du colonel, je téléphonais immédiatement la nouvelle à MC, qui envoya un télégramme à mes parents.

Ils en reçurent deux, puisque je réussis aussi à leur en envoyer un dans l’après-midi.

Déserteur

Une telle bonne nouvelle devait être fêtée immédiatement.

C’est ainsi, que tout naturellement je quittais ma chambrée à 17 h, allais chercher MC à Saint-Sulpice, pour rentrer ensemble au Blanc-Mesnil, après avoir fait des courses pour fêter dignement cet évènement.

Nous fîmes un excellent dîner, escargots, grosses crevettes et vin blanc.

Dans l’euphorie du moment, j’avais totalement oublié l’armée française.

Le lendemain matin, vendredi 22, je me pointais au Val de Grâce, pour récupérer mes affaires et préparer la suite.

Je tombais sur mes voisins de chambrée effarés, me disant que sans leur intervention « intelligente », j’aurais pu être porté déserteur.

Ce que j’étais de facto puisque j’avais quitté mon casernement sans autorisation.

Ils furent chaudement remerciés, et je frémis rétrospectivement de cette erreur qui aurait pu me coûter cher !

Réformé et Déserteur dans la même journée, c’est une expérience plutôt rarissime !

La Morale de l’Histoire

Dans les Fables de La Fontaine, il y a toujours une morale.

Si je dois en tirer une de cette histoire, c’est qu’il faut savoir saisir sa chance, et utiliser les opportunités qui se présentent, en mettant en œuvre tous les moyens disponibles, voire à en inventer d’autres. L’appui des proches est un élément positif important.

Une fois engagé dans l’opération, il faut persévérer jusqu’à l’atteinte de l’objectif, sans se laisser déstabiliser par les obstacles rencontrés.

Ce qui nécessite une certaine confiance en soi et un optimisme raisonné.

Cette méthode m’aura été bénéfique tout au long de ma vie.

Et dans le cas présent, elle me fit gagner 14 mois de liberté !

Grâce à la cortisone, j’avais changé ma vie….

Et contrairement au titre, il ne s’agit pas d’un miracle, mais de l’application d’une stratégie délibérée, démontrant la suprématie du libre arbitre.

Sources : Courrier adressé par Roger Séguéla à ses parents entre juin et octobre 1967

Suite à venir : « un mois de la vie d’un sapeur inapte à Villeneuve St Georges ».

Remerciements à Marie Claire Séguéla pour son aide précieuse et éclairée

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J’ai le vague souvenir d’avoir atterri dans le même dortoir

que toi au Val de Grâce – rapatriement sanitaire d’Algérie

où j’étais en coopération, jaunisse – c’était en février ou avril 70 et j’ai occupé le premier lit le long du mur en entrant à droite.  Il y avait là une vingtaine de gars dans mon cas. Mon voisin de lit était un légionnaire

rapatrié de Tahiti pour les mêmes raisons ( il en était à sa troisième

jaunisse) qui le soir même est parti (en chemisette à plis) s’aérer au

Quartier latin sur quelques itinéraires que je lui avais confiés.

Reconnaissant, il a veillé sur mon confort pendant les mois (sans doute un

ou deux) où nous sommes restés côte à côte… Encore un soft miracle au Val

de grâce.

Michel Bénézy

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Mon service militaire au Val de Grâce est une des belles années de ma vie (1972).

Mon patron connaissait le colonel chef de Service de Biologie du Val de Grâce.

Après mes classes (1 mois) à Libourne, j’ai été affecté dans son Service en tant qu’anatomo-pathologiste car j’étais déjà interne en médecine depuis 1970.

J’ai pu vivre dans le monde médical parisien et beaucoup apprendre dans ma spécialité.

J’ai fait des études approfondies en pathologie pédiatrique à la faculté et à Necker.

Surtout j’ai préparé ma thèse de médecine sur une grande série de tumeurs testiculaires (178 cas avec ceux de Toulouse).

C’est une pathologie souvent chez le jeune homme et donc vue à l’armée.

J’ai aussi fait la bringue avec des laborantines et bien d’autres … j’ai même grimpé à Fontainebleau !

Bref un séjour très riche avant mon mariage en 1973.

Roger, je me souviens bien de ta réforme pour albuminurie 5 ans avant mon service militaire ! mais j’en ignorais la péripétie …

Jean Jacques Voigt