Chroniques Comptes-rendus

L’Hommage réussi de Grand Corps Malade à Monsieur Aznavour

Que Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade (GCM) ait réalisé (avec Mehdi Idir) ce film biographique sur Charles Aznavour peut surprendre.
Et pourtant, cette démarche a sa logique :
-GCM a déjà réalisé plusieurs films, dont Patients, La Vie Scolaire, Sahara.
-Slameur, poète, auteur/compositeur/interprète et réalisateur, GCM a bénéficié de l’estime et de la considération de Charles Aznavour, avec qui il avait chanté en duo. C’était en 2010 pour son 3ème album, avec la chanson « Tu es donc j’apprends ».
Avant sa mort, Aznavour avait validé le choix de GCM pour faire un biopic sur sa vie.
Pour une fois, on peut considérer que le héros/sujet d’un film biographique a donné son accord ante-mortem à celui qui va raconter sa vie !
Déjà envisagé avant sa disparition en 2018, le film fera l’objet d’une longue gestation et sortira en 2024, année du centenaire de sa naissance.
UN TITRE ÉLOQUENT : MONSIEUR AZNAVOUR
Le choix du titre, empreint de respect, définit d’emblée l’esprit du film.
Pour illustrer la forte personnalité du héros, il montrera les valeurs caractéristiques de Charles Aznavour, ses qualités et par là même les défauts qui en découlent.
Le récit est factuel, il ne cherche nullement à enjoliver les faits, et raconte une histoire vraie et crédible.
Évidemment, en 2 h 13, il est difficile de concentrer une vie de 94 ans, il aurait fallu faire une série en 6 ou 10 épisodes. Mais les choix effectués par les auteurs suffisent à parfaitement illustrer les grands moments de sa vie.
Le film est scindé en 2 parties :
1 – son enfance et sa jeunesse, ses longs débuts, jusqu’à la consécration à 36 ans à l’Alhambra de Bruxelles (en 1960). C’est la partie la plus longue, narrant tous les combats menés pour finir par obtenir le succès.
2 – sa maturité, et sa carrière de star mondiale.
Il est consacré en totalité à la vie de Charles auteur, compositeur et interprète, à sa carrière de chanteur. Son activité d’acteur n’est curieusement jamais évoquée. Sachant qu’il a joué dans 63 films, et que sa notoriété américaine est tout d’abord due au cinéma, il est permis de s’en étonner.
A la sortie de la projection, les spectateurs qui viennent de découvrir Monsieur Aznavour, ignorent complètement son activité au cinéma…
L’année clef est 1960. En plus de son succès à l’Alhambra, avec la chanson « Je me voyais déjà », il enchaîne 3 grands succès cinématographiques, « Un Taxi pour Tobrouk » de Denys de la Patellière, « Tirez sur le Pianiste » de François Truffaut et « Le Passage du Rhin » de André Cayatte.
UNE FORTE PERSONNALITÉ
Pour réussir, quand on a le physique et les origines sociales de CA, il faut du caractère, beaucoup de caractère, une forte motivation et une volonté sans faille.
Son enfance parisienne, dans une famille d’origine arménienne, est bien illustrée. Ses parents sont pauvres mais cultivés, un peu artistes, un peu restaurateurs, ils ont le cœur sur la main, avec un père qui pense plus à nourrir ses amis artistes que sa famille. De cette pauvreté relative dans les années 30 et pendant la guerre, le jeune Charles gardera la volonté de s’élever dans la hiérarchie sociale et surtout de négocier âprement tous ses contrats. Il fera des merveilles, parvenant même en fin de carrière à obtenir au Carnegie Hall le même cachet que Franck Sinatra.
Il est lucide et sait s’analyser :
« Quels sont mes handicaps ? Ma voix, ma taille, mes gestes, mon manque de culture et d’instruction, ma franchise, mon manque de personnalité. Ma voix ? Impossible de la changer. Les professeurs que j’ai consultés sont catégoriques : ils m’ont déconseillé de chanter. Je chanterai pourtant, quitte à m’en déchirer la glotte. D’une petite dixième, je peux obtenir une étendue de près de trois octaves. Je peux avoir les possibilités d’un chanteur classique, malgré le brouillard qui voile mon timbre »
Physiquement, il mesure 1 m 63, et possède à la fois un nez proéminent et une voix au timbre voilé. Édith Piaf lui fera rectifier le nez aux USA, et il travaillera longtemps pour améliorer sa voix, sans jamais y parvenir totalement. Il finira par accepter ses défauts pour en faire une force et un atout dans sa réussite.
Il lui faudra 36 ans pour atteindre le succès, grâce à un travail incessant et à une volonté exceptionnelle.
Il écrira, ou coécrira, plus de mille chansons, et en enregistrera dans diverses langues, plus de 1200.
Il écrira des textes pour de grands interprètes, comme évoqué dans le film :
-Gilbert Bécaud 1956 « Je veux te dire Adieu »
-Johnny Halliday 1960 « Retiens la Nuit »
-Sylvie Vartan 1963 « La plus belle pour aller danser »
-Mireille Mathieu 1966 « Celui que j’aime »
UNE RICHE VIE FAMILIALE
Là aussi, le film illustre bien les vies familiales d’Aznavour.
Enfant il vit dans un milieu chaleureux, où l’on communique beaucoup, entre un père Misha, toujours à la recherche d’une nouvelle idée et prêt à rendre service au premier venu, (il s’engagera dans la Résistance, étant très proche du réseau Manouchian), une mère Knar, dévouée à ses enfants, et une sœur Aïda qui restera toute sa vie sa confidente. Il se trouve à l’aise dans ce milieu pauvre mais très famille où l’on vit quasiment dans une seule pièce.
Adulte, il aura trois épouses, et six enfants. Mais il sera incapable de reproduire le schéma de ses parents. Poussé par sa volonté de réussir, et travailleur obstiné, il s’isolera dans son bureau, très loin de ses femmes et enfants, et sera très souvent absent, soit en tournée, soit en tournages. Ses enfants ne manqueront de rien, sauf de la présence et de la complicité que peut apporter un père. Il en souffrira certainement, mais il restera fidèle à ce choix de vie : sans travail, pas de réussite. Il construira son œuvre, comme beaucoup de fortes personnalités, au détriment de la vie familiale, les deux étant inconciliables. D’aucuns appellent cette vérité « la rançon de la gloire ».
LES DÉBUTS
Le film décrit longuement ses années de jeunesse avant de trouver un succès indéniable à 36 ans. Il s’attarde sur l’équipe qu’il forma longtemps avec le pianiste, compositeur Pierre Roche, rencontré en 1941 à l’âge de 17 ans.
Le duo Roche et Aznavour fonctionnera jusqu’en 1950, se produisant en solo dans des galas, ou participant aux tournées organisées par Édith Piaf avec les Compagnons de la Chanson.
En 1948, ils tenteront l’aventure américaine, et partis sans visa ils se feront cueillir comme des bleus par les services de l’immigration. Ils passeront 3 jours à la prison d’Elis Island, avant d’être libérés par Édith Piaf qui paiera leur caution.
Ils travailleront ensuite dans un cabaret de Montréal, le Faisan Doré, où ils donneront 11 concerts par semaine pendant 40 semaines. Étant tombé amoureux, Roche choisira de vivre au Québec, alors que Aznavour, dissuadé par Édith Piaf d’y rester, va revenir en France poursuivre sa carrière en solo.
Pour l’aider, Piaf l’engagera comme régisseur, secrétaire, chauffeur et chanteur en première partie. Cette coopération durera près de 8 ans.
Après un bon début au cabaret du Moulin Rouge en 54, il fera son premier Olympia en juin 55, en première partie de Sidney Bechet. Et surtout il enregistrera son premier grand succès : « Sur ma Vie »
Ses chansons commencent à être connues, sa carrière discographique est lancée.
LE SUCCÈS
En 60, il signe chez Barclay, où il va disposer de plus de moyens, et optimiser sa carrière.
Il va dès lors enchaîner les tubes :
« Tu t’laisses aller » 1960
« Les Comédiens » 1962
« La Mamma » et « Je t’attends » 1963
« For Me Formidable » 1964
« La Bohème » 1965
« Emmenez-moi » 1967
En 1963, il fait un récital au Carnegie Hall, où il rencontre Frank Sinatra.
En 1967 il épousera Ulla Thorsell, qui restera sa femme jusqu’à la fin de sa vie, et avec qui il aura 3 enfants.
Le film passe beaucoup plus vite sur ces années de succès où il mène une fructueuse carrière internationale. Son niveau de vie a changé et en excellent gestionnaire il construit un joli patrimoine.
Le film n’aborde, ni ses positions politiques, ni ses déboires avec le fisc français, dont il sortira finalement vainqueur.
LE FILM
L’objectif du film étant de raconter la vie de Charles Aznavour, le résultat est atteint.
La fin arrive presque par surprise, tellement on est passionné par l’histoire d’Aznavour.
On aurait accepté qu’il soit plus long !
Un mot sur les acteurs :
Tahar Rahim incarne un Aznavour crédible. Il a travaillé pendant 6 mois, 8 heures par jour pour chanter comme son modèle, et son résultat est probant.


Marie-Julie Baup joue avec alacrité le rôle d’Édith Piaf. Elle est crédible sauf quand elle chante, mais Édith a une voix inimitable…
Bastien Bouillon est Pierre Roche, et sa complicité avec Tahar Rahim illumine le duo Roche/Aznavour.
SUCCÈS ET CRITIQUES
Avec plus de 600 000 spectateurs en première semaine, ce beau film est promis à une belle carrière.
L’analyse de la critique cinématographique est intéressante et en dit long sur la nature politiquement clivante du chanteur, et sur la relative objectivité des journalistes.
Les plus mauvaises notes émanent des médias suivants, Libé, Les Inrocks et Télérama.
L’Obs, La Croix, Le Point, Les Échos, Paris-Match, Elle et Le Parisien donnent les meilleures.
C’est une segmentation que l’on pourrait éventuellement retrouver si un jour se réalisait un biopic sur Sardou !
Et pour se faire sa propre opinion, il n’y a rien de mieux que d’aller voir le film en salle…