Chroniques Comptes-rendus Critiques

La Roque d’Anthéron – Festival de Piano 2024 – La Révélation Misaya Kamei

Première soirée du 20 juillet : Maria Joao Pirès et l’orchestre de Chambre de Paris

Un festival de piano qui débute par un concerto pour violon, le 4ème de Mozart, c’est le premier paradoxe de cette version 2024.

En scène, l’orchestre de chambre de Paris, que nous déjà eu le privilège d’écouter, notamment sous la direction du regretté Lars Vogt, qui savait en extraire toute la richesse.

Cet orchestre est une merveille de précision et d’homogénéité, réglé comme une montre suisse, à qui il ne manque qu’un grand chef pour le sublimer.

Hélas, Lars Vogt n’a pas été remplacé, déjà l’an dernier, Bringuier avait surjoué, et cette année, le grand chef et violoniste Gordan Nikolic, en voulant imiter le maître, a produit une 8ème symphonie de Beethoven hachée par de nombreuses ruptures, syncopant l’œuvre, et cassant la puissante harmonie créée par le compositeur. Un silence de Mozart, c’est bien, 25 silences de Beethoven, cela devient abusif. J’ai été incapable de retrouver l’envoûtement procuré par la 8ème, même si le public semble avoir apprécié.

Peut-être impressionné par la notoriété de Maria Joao Pirès, il a voulu trop bien faire, et en forçant son talent il s’est mis tout seul en difficulté. Ses grands gestes dégingandés, ses moulinets avec ses longs bras, promenant dans les airs le violon et l’archet, s’harmonisaient mal avec la douceur et la retenue de la pianiste.

Et pourtant, il peut mieux faire, seul avec son orchestre, notamment dans un bis enlevé et réussi, l’andante d’Orfeo ed Eurydice, Wq.30 : Ballo de Gluck.

Ce qui a permis de clore la soirée sur une note satisfaisante, laissant le public heureux.

Mais le clou du spectacle était la prestation de Maria Joao Pirès, dans le concerto « Jeune Homme » de Mozart.

Le chef au violon, Gordan Nikolic, la grande dame du piano, Maria Joao Pirès (photo RS)

 La grande dame, née en 1944, a joué au niveau attendu, avec son habituelle grande classe, mais sans plus. Aucune émotion ne se dégageait de son jeu, c’est du moins notre sentiment.

La coordination avec le chef nous a semblé un peu hésitante, surtout au début, chacun peinant à trouver sa place, le rythme « mesuré » de la pianiste ayant du mal à s’intégrer aux emballements et aux coupures de son du chef/violon.

Heureusement elle a bissé avec l’andante de la sonate pour piano n°10 en do majeur K330 de Mozart. Seule en scène, elle a démontré toute l’étendue de son art, sa douce virtuosité amenant le public vers des sommets inhabituels. Un enchantement, sûrement le plus beau moment de la soirée. Merci Maria !

Deux enseignements à tirer de cette soirée un peu fade :

1 – un chef d’orchestre doit se comporter en chef, avec sa baguette. Jouer du violon, comme un super-premier violon, tout en dirigeant, ça ne marche pas.

2 – ce sont les bis qui ont apporté le plus de satisfaction, deuxième paradoxe.

Deuxième Soirée du 21 juillet : le triomphe de Masaya Kamei et de Lawrence Foster

En cette soirée fortement rafraîchie suite à des orages diurnes, on attendait avec anxiété la prestation du jeune prodige japonais Masaya Kamei, qui à 22 ans a pris l’habitude de collectionner les grands prix aux concours de piano, et qui nous était parfaitement inconnu. L’accompagnait l’Orchestre Philarmonique de Marseille, dirigé par l’inoxydable chef roumain Lawrence Foster.

Le concert démarra par le sublime concerto pour piano et orchestre n°1 de Frédéric Chopin. Et tout de suite, le charme opéra, osmose complète entre le chef et le pianiste, une maîtrise totale du clavier, la musique de Chopin emplissait le Parc du Château de Florans, pour le plus grand plaisir des spectateurs captivés par la beauté de l’œuvre et de son exécution. Curieusement, une escouade de corneilles se permit d’intervenir intelligemment dans les instants plus calmes quand l’orchestre cessait de jouer laissant le jeune virtuose exprimer en solo sa maîtrise du piano.

Ce fut le premier sommet de ce festival, grâce aux qualités intrinsèques de ce jeune pianiste, à qui un grand avenir est promis. C’est une nouvelle pépite, dans ce monde de la musique qui en produit beaucoup. Souriant, charmeur, il a tout pour s’imposer.

Sa sortie en triomphateur sous les applaudissements nourris d’un auditoire partiellement debout, fut parfaitement méritée.

A la baguette Lawrence Foster, au piano Masaya Kamei (photo RS)

Pour gagner en équipe, il faut être deux et il faut signaler l’excellente prestation du vieux routier qu’est Lawrence Foster, capable de coller au jeu du pianiste en conduisant avec douceur et autorité l’Orchestre Philarmonique de Marseille. Sous des faux airs de Charlie Chaplin, il mène « à la baguette », c’est le cas de le dire, l’ensemble de ses musiciens.

Il vérifie cette vérité énoncée plus haut : un chef est fait pour commander, pas pour jouer d’un instrument à plein temps.

Sorti en triomphe, Masaya Kamei revint exécuter en bis la 11ème mazurka en mi mineur de Chopin, lui permettant de démontrer à nouveau toute la finesse et la profondeur de son art.

En deuxième partie, nous eûmes droit au triomphe de Lawrence Foster, qui fit découvrir à une grande partie du public des pièces moins connues mais enlevées avec brio :

– le divertimento pour orchestre à cordes Sz113 de Bartok

– les Danses de Galânta de Kodaly

Avant de clore ce concert en beauté avec la Danse Hongroise n°1 de Brahms, qui fit rugir la salle de plaisir.

C’était un excellent choix pour le bis final et Lawrence Foster pouvait quitter la scène sous les applaudissements du public, ravi d’avoir passé une si belle soirée, malgré une affiche assez difficile, présentant un jeune talent sans notoriété et des œuvres moins connues.

Troisième Soirée du 22 juillet : le récital de Jean-Marc Luisada accompagné par le chant des cigales

Faisant partie des plus grands interprètes de Chopin, c’est la bagatelle de 41 mazurkas que JM Luisida a joué devant un public un peu clairsemé de connaisseurs, car il faut une certaine endurance pour suivre une telle prestation.

Dire que JML est à l’aise dans ce répertoire est un euphémisme, tant on le sent habité par toutes ces mazurkas. Pas de stress, il les enchaîne avec une grande maestria, un grand professionnalisme.

Mais, et c’est peut-être la contrepartie de cette facilité, la force de l’habitude, il ne se met pas en danger, jouant sobrement et sans passion, ne délivrant pas d’énergie communicative. Il n’y a pas la moindre aspérité où se raccrocher, dans cet océan d’uniformité. Difficile dans ce cas d’entraîner un public moins familier de la musique intimiste de Chopin.

Et comme le disait un voisin mélomane, une mazurka, ça va, cinq c’est déjà beaucoup, 41, bonjour les dégâts…

Le choix de l’immense auditorium du Parc de Florans pour ce genre de récital est peut-être une erreur, une salle plus petite s’y serait mieux prêtée.

Et si les corneilles se sont tues, les cigales ont pris le relais, leur chant modulé venant s’ajouter au charme des Mazurkas, et parfois les recouvrir.

Rappelons pour les non-initiés que la mazurka est une danse à 3 temps originaire de Pologne, et qu’elle fut largement utilisée par Chopin qui en composa toute sa vie, notamment en France à Nohant auprès de Georges Sand.

Quatrième Soirée du 23 juillet : Abdel Rahman El Bacha et l’Orchestre National de Cannes, direction Benjamin Levy

Comme l’Aubisque ou le Tourmalet, cette soirée constituait un nouveau sommet, avec l’immense concerto n°2 pour piano et orchestre de Frédéric Chopin, ainsi que la présence du maître, Abdel Rahman El Bacha.

C’était peut-être trop élevé pour les moyens de l’orchestre national de Cannes, comme le reconnut Benjamin Levy à la fin du concert. Il avait été impressionné par ce contexte et comme en tennis, il avait joué petit bras, n’osant pas libérer ses musiciens et laisser apparaître la puissance de l’œuvre. Ajoutons que son orchestre est fortement doté en cordes, mais qu’il manque de puissance, surtout en percussions. On sent un orchestre, léger au sens noble, plus à l’aise dans le contemporain et la musique gaie, empreinte d’alacrité, en quelque sorte un bal champêtre, destiné à jouer des musiques plus plaisantes que profondes.

C’est ainsi que, moyen sur le concerto de Chopin, il se réveilla totalement (enfin seul), avec le Tombeau de Couperin de Ravel et la première symphonie de Prokofiev, dont il bissa triomphalement le final.

Quant à El Bacha, il reste le virtuose incontesté, débutant avec finesse et profondeur l’Andante spianoto et Grande Polonaise Brillante en mi bémol majeur de Chopin, avant d’atteindre les sommets dans le larghetto du 2ème concerto de Chopin.

Et il termina sa prestation par un bis lumineux et éthéré, un extrait de Romeo et Juliette de Prokofiev (Montaigus et Capulets).

Abdel Rahman El Bacha saluant le public, à son côté, Benjamin Lévy (photo RS)

Debout, l’orchestre national de Cannes

Nous fîmes un rêve, quelle merveille aurait été cette œuvre avec El Bacha au piano accompagné par Lawrence Foster et le Philarmonique de Marseille.

Des stars comme Maria Joao Pirès et Abdel Rahman El Bacha sont tellement impressionnantes, qu’il faut leur adjoindre des orchestres confirmés dirigés par des chefs de talent qui savent s’élever au niveau des virtuoses.

L’idée de ne faire jouer que des orchestres régionaux est séduisante sur le papier mais malheureuse dans la réalité.

Détail anecdotique, les cigales du Parc de Florans aiment décidément beaucoup Chopin, quitte à accompagner bruyamment les solistes.

Épilogue :

Ainsi se termine cette assistance aux 4 premières soirées du 44ème Festival de Piano de La Roque d’Anthéron, marqué par la révélation du jeune pianiste japonais Misaya Kamei et la confirmation de Lawrence Foster, avec le Philarmonique de Marseille dans le 1er concerto de Chopin,

Et toujours la grande classe de Maria Joao Pirès et de Abdul Rahman El Bacha.

Ce festival est bien lancé, avec son lot de surprises et de déceptions.

L’ombre de Lars Vogt continue à planer sur le Festival et l’Orchestre de Chambre de Paris en est toujours orphelin.

 

Pour l’intendance, nous remercierons chaleureusement notre hôtesse, Nicole, qui gère chaleureusement ce petit paradis dénommé « La Villa des Muses », et le restaurant « Le Jas », rue de l’Eglise, où le Chef, Émeric Corbon, propose tous les soirs un menu festival de grande classe avant le concert.

L’abbaye de Silvacane est à 5 minutes et Aix en Provence à 45 avec le bus qui ne coûte que 3 euros 20, aller-retour. Idéal pour aller voir la magnifique expo « Bonnard et le Japon » à l’Hôtel de Caumont.