Le Festival de la Biographie de Nîmes est devenu au fil des ans la plus grande manifestation européenne de ce type. Une centaine d’auteurs sont présents, après une sélection difficile.
En effet, nombreuses sont les demandes de participation. Une invitation y est très recherchée. Historiens et biographes constituent l’essentiel des auteurs présents, certains étant des personnalités bien connues, comme des journalistes, des artistes, voire des sportifs ayant une fibre littéraire. Une part reste réservée aux auteurs régionaux.
Il faut saluer les qualités d’organisateur de Daniel-Jean Valade, adjoint à la ville de Nîmes, qui s’emploie année après année, au succès de ce salon.
De fait le Festival draine un public varié et cultivé : universitaires, politiques, régionalistes, férus d’histoire et curieux de biographie. J’appartiens à cette dernière catégorie, car une biographie me semble plus passionnante qu’un roman, puisqu’on y retrouve la réalité, souvent extraordinaire et non pas une histoire totalement imaginaire.
Une biographie, c’est du réel, du concret, du tangible, avec sa part de surprise. C’est la vie telle que l’ont vécue certaines personnes souvent exceptionnelles et qui se sont retrouvées confrontées à des situations également exceptionnelles.
A contrario, dans un roman l’imagination est au pouvoir et l’histoire dépend de l’humeur du créateur.
Un lieu enchanteur
Ce festival se déroule habituellement au « Carré d’Art », ce beau bâtiment moderne conçu par l’architecte Norman Foster et inauguré en 1993. Il fait face à la célèbre Maison Carrée, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis le 18 septembre 2023.
Depuis le grand hall où sont installés les auteurs, on a une vue directe sur ce temple romain construit 10 ans avant JC. Quel beau choix pour des thèmes où l’histoire joue un si grand rôle !
Nîmes : Maison Carrée et Carré d’Art
Le Festival est scindé en 2 parties, d’une part le grand hall où les auteurs dédicacent leurs œuvres et d’autre part diverses salles où ils sont interrogés en direct par des journalistes professionnels. L’atrium, le grand et le petit auditorium sont situés au premier sous-sol, le théâtre « Bernadette Laffont » et l’université de Nîmes Vauban constituant 2 autres pôles d’animation. Le cinéma Le Sémaphore participe aussi à la manifestation, en projetant des films choisis par des écrivains, en l’occurrence cette année, Ève Ruggieri et Christian Morin.
Cruel dilemme, n’ayant pas le don d’ubiquité, on ne peut pas être partout à la fois. Un choix s’impose, et comme les interviews peuvent être vus à la radio ou à la télé, j’opte pour l’inédit, le contact direct avec l’écrivain.
Le contact, l’échange direct, sans intermédiaire, cela n’a pas de prix et valorise le salon.
Quel plaisir d’échanger avec ces narrateurs ! Quelle jubilation de rencontrer des personnes que l’on n’aurait aucune chance d’aborder dans la vie réelle !
Et cela permet de découvrir leur personnalité. Et de modifier les impressions antérieures. Tel que l’on avait envie de voir se révèle distant et pressé, tel autre montre de l’empathie et de l’intérêt pour son lecteur.
D’aucuns produisent une dédicace brève et minimaliste, « à quel nom je la mets », et vous donnent le livre rapidement, « au suivant », sans écouter vos éventuels commentaires ou questions. Ils sont rares dans cette catégorie, soit par timidité ou manque d’intérêt, comme Assouline, soit par orgueil de caste comme certain universitaire spécialiste de Napoléon, dont je tairai le nom…
D’autres, et c’est la majorité, s’intéressent à leurs lecteurs, répondent à leurs questions, et délivrent une dédicace adaptée, reprenant les thèmes de l’échange.
Un cas particulier, les journalistes, qui ne savent que poser des questions, et ne répondent pas aux vôtres. Ce fut le cas de Jean Pierre Elkabbach au salon 2023. Il me fallut le voir une deuxième fois pour ouvrir enfin un vrai échange.
Très ouvert, FOG accepta même de composer une dédicace spéciale pour les 20 ans de mon petit fils Alexandre, comme il l’avait fait 3 ans auparavant pour son aîné Charles.
Souvenirs d’Enfance
C’est le thème choisi pour l’édition 2024. Et vu l’âge des auteurs, les Trente Glorieuses vont se tailler la part du lion. De grands scientifiques, historiens, artistes ont écrit des livres sur leur enfance.
Gilles Kepel : Enfant de Bohème
Emmanuel De Waresquiel : Voyage autour de mon Enfance
Marie Christine Barrault : Si tu savais, c’est merveilleux
Franz Olivier Giesbert (FOG) : Histoire intime de la Vème République
Pascal Picq : Itinéraire d’un enfant des Trente Glorieuses
Jean Pierre Milovanoff : Fellini Blues
Tous ces auteurs parlent chaleureusement de leur enfance, mais chacun à sa manière.
Milovanoff, ses livres sont truffés de souvenirs de son enfance nîmoise et il me dit avoir changé les noms de certains lieux. En l’écoutant évoquer ces souvenirs il me vient l’idée de l’inviter au Salon du Livre de Bouillargues, qui se déroule le premier dimanche d’octobre.
« Memento sempre audere », cette formule me revient quand il répond positivement à ma demande. L’entretien se termine par un échange de coordonnées, après que je l’eusse complimenté sur la qualité de son style, « punchy », bref et percutant. Les rares phrases plus longues étant réservées à des commentaires plus philosophiques.
Voilà qui réjouira Martine Garnier, adjointe à la culture à Bouillargues et organisatrice d’une manifestation qui s’impose année après année, le Salon du Livre de Bouillargues.
Pascal Picq : anthropologue, il analyse l’évolution des espèces. J’ai déjà lu plusieurs de ses livres. Dans le dernier, il décrit son enfance et sa découverte des sciences dont il fera son métier. Il me dit avoir écrit le récit de sa jeunesse en fonction de la découverte de la paléontologie. Il conclut ses analyses en disant que la question n’est pas la disparition de l’espèce humaine, mais comment elle va survivre.
Marie Christine Barrault est une « belle » femme, rayonnante et empathique, témoignant d’une joie de vivre communicative. Elle revient sur une vie très riche en bonheurs et malheurs dont elle a su extraire les côtés positifs. Je l’interroge sur son oncle Jean-Louis, qui n’est jamais venu la voir jouer, allant même jusqu’au déni, comme s’il avait eu seul le droit de porter le nom de Barrault…Elle me raconte son amour de la littérature, les 3500 livres qu’elle possède et ne sait plus où les ranger, le suivi de sa petite nièce dans son début de carrière…
Le titre de son livre, « Si tu savais, c’est merveilleux », est la phrase prononcée par sa grand-mère au moment de sa mort ; ce qui est la preuve que l’on a traversé la vie avec une certaine sérénité, et que l’on est en paix avec soi-même.
Cette phrase a beaucoup impressionné MC Barrault, et on a l’impression qu’elle lui va bien !
Marie Christine Barrault – photo de la couverture de son livre
Gilles Kepel remporte un beau succès avec son dernier essai, Prophète en son pays. Il me signe également son livre de souvenirs d’enfance, « Enfant de Bohème », et le rôle de son grand-père nîmois, Rodolphe Kepel, secrétaire d’Ernest Denis, qui a joué un rôle important dans l’indépendance de la Tchécoslovaquie. Il a été secrétaire de la rédaction de la revue « La Nation Tchèque » pendant la première guerre mondiale.
Les Journalistes Politiques
Cette année, j’ai rencontré plusieurs journalistes politiques, dont deux ont pris pour sujet l’histoire de la Vème République.
Franz Olivier Giesbert : j’ai déjà cité FOG, qui profite cette histoire pour raconter sa vie, depuis son enfance dans une famille normande avec une mère rocardienne, journaliste puis directeur de 3 grands organes de presse : le Nouvel Obs, le Figaro puis le Point. Il me demande lequel de ses 3 volumes j’ai préféré : le troisième car il y mêle le récit de sa vie et de son évolution politique au contact des grandes personnalités politiques.
FOG alias Franz-Olivier Giesbert
Patrice Duhamel : journaliste politique, il fut un temps co-directeur de France Télévision avec Patrick de Carolis, actuel maire d’Arles.
Il vient d’écrire un livre sur les attelages PR/PM (Président de la République/Premier Ministre). Nous échangeons sur la personnalité d’Emmanuel Macron hyperdoué et la faiblesse de son proche entourage. Il me parle également de son expérience comme maire d’une petite commune près de Dieppe.
Nathalie Saint-Cricq : Son épouse, Nathalie Saint-Cricq, est également présente au Festival. Elle vient d’écrire une histoire « vraie » sur l’inconnu du Mont Valérien. Passe alors Georgina Dufoix, qui vient l’assurer de son soutien pour résister à la chasse aux sorcières que mène Libération contre elle, vu sa parenté avec Amélie Oudéa-Castéra. Cela libère l’échange et vient créer une certaine complicité écrivain/lecteur. On pourrait rester des heures à l’écouter parler de la politique française. Elle dégage chaleur et empathie, on aimerait l’avoir pour amie !
Avec Nathalie Saint Cricq
Mais une grande partie du Festival est consacrée à l’histoire, avec quelques sommités qui sont devenues des stars à force de passer à la télévision dans des émissions sur l’histoire de France.
Evelyne Lever en fait partie, éminente spécialiste de Marie Antoinette, elle vient d’écrire un livre sur les Princesses Mazarine, les nièces du cardinal. Comme elle dédicace ce livre à ma fille Anne-Lise, professeure d’histoire, elle me confirme tout le courage qu’il faut aujourd’hui pour enseigner cette matière dans un collège.
Loris Chavanette est un jeune historien natif de Bouzigues, sur l’étang de Thau. Enthousiaste, il vient d’écrire un livre sur Mirabeau : » Le 14 juillet de Mirabeau, la marche du prisonnier”. En quelques instants, il retrace la vie de celui qui fut le seul aristocrate élu dans les rangs du Tiers-État en 1789, le premier à entrer au Panthéon et le premier à en sortir. Régulièrement emprisonné, Mirabeau fut le modèle du Comte de Monte-Cristo. Par son éloquence et sa correspondance, il fait de lui l’un des annonciateurs du romantisme.
Béatrix de l’Aulnoit : coprésidente du festival (avec Gilles Kepel), c’est avant tout une conteuse d’histoires. Elle publie un livre consacré au Grand Condé, cousin de Louis XIV, militaire génial et homme de culture. Ennemi de Mazarin, elle cherche à réhabiliter ce personnage magnifique. Il mena grande vie au château de Chantilly, dont Vatel faisait un lieu enchanteur.
Amicale querelle d’historiens, Evelyne Lever et Béatrix de l’Aulnoit ont des avis diamétralement opposés sur Mazarin et Condé.
J’ai apprécié la clarté d’esprit et la vivacité de cette historienne/journaliste, qui contrastait avec le débit lénifiant de son voisin de table, Boris Cyrulnik, qui faisait l’objet d’une très forte demande de « psychanalyses gratuites », des couples faisant longtemps la queue pour « consulter ». Devant le temps à attendre, j’ai dû me résoudre à repartir en quête d’écrivains plus rapides…
Geneviève Haroche-Bouzinac : cette historienne a remporté le prix de la biographie 2024 pour son livre « Madame Sévigné », où elle évoque le parcours d’une femme de grande sensibilité, qui eut la chance de se retrouver veuve très tôt avec d’importants moyens financiers. C’était la seule solution pour une femme du 17ème siècle de pouvoir vivre en toute liberté.
Il y a aussi parmi les participants quelques inclassables, qui apportent un peu de variété.
Daniel Herrero, que l’on pourrait qualifier d’historien du rugby, à travers le dictionnaire amoureux du rugby des temps modernes. Nous avons ensemble une longue conversation passionnée, comme toujours avec d’anciens joueurs, nous refaisons l’histoire. Je ne donnerai ici qu’une seule remarque de sa part, il me signale l’importance du rugby universitaire dans 3 grandes écoles, Polytechnique, Centrale et HEC où les valeurs de ce sport ont imprégné l’image et marqué les comportements.
Revenons à Christian Morin. Le sympathique présentateur de la matinale de Radio Classique, est venu partager son film préféré « Certains l’aiment chaud » de Billy Wilder.
Il me dédicace son livre « Notes Légères Bis », où il raconte de brèves histoires de musiciens illustrées par ses dessins. Il sait tout faire, il est même clarinettiste… Il est ravi de rencontrer ses auditeurs et me confie qu’il aimerait passer plus de musiques de film de qualité.
Denis Podalydès représente le théâtre. Son livre « En jouant, en écrivant Molière », raconte sa vie autour de l’homme le plus important de sa vie, Molière. C’est Molière qui l’a amené au théâtre, c’est lui qu’il a le plus joué et monté. En résumant, on pourrait dire que toute sa vie tourne autour du plus grand homme du théâtre français.
Nicolas Pergé : chaque festival réserve des surprises, c’est ainsi que je découvre ce jeune auteur alésien, par ailleurs réalisateur et producteur. Il vient de publier une biographie de « Lise Deharme, Cygne Noir ».
Personne ne connaît cette inspiratrice des surréalistes, qui eut pourtant une grande influence sur le mouvement. André Breton se consuma d’amour pour elle. Louis Aragon, Jean Cocteau, Antonin Artaud, Paul Eluard, Robert Desnos et Boris Vian l’adorèrent. Passionné, il me raconte ses recherches sur ce personnage mystérieux et qui a laissé aussi peu de traces. Il est très fier du résultat obtenu, et je l’encourage à persévérer dans cette voie.
Ayant pratiquement rencontré tous les auteurs ciblés, je ne peux cependant me résoudre à abandonner le festival 2024 sans obtenir une double dédicace, aquarelle et texte, de Camille Penchinat et Francine Cabanne, pour leur magnifique œuvre « Nîmes, la Grande Aventure du Commerce ». Danielle Jean en est co-autrice.
Ce livre fortement documenté retrace l’histoire du commerce nîmois depuis l’époque romaine et même depuis les Volques, premiers occupants du site, jusqu’à aujourd’hui. Il est illustré de superbes aquarelles.
Pleinement satisfait de la profondeur de l’offre de ce festival de la bio 2024, où j’aurai passé 3 journées passionnantes, et accumulé un trésor d’une quinzaine d’ouvrages de qualité à déguster durant les prochaines semaines, il ne me reste plus qu’à attendre le Festival 2025 en l’espérant aussi riche.