Scènes

Aimez-vous la nuit ? de Julien Séchaud : un Huis-Clos à l’envers

Un nouvel auteur de théâtre est né ! Comment ne pas se réjouir ? S’il n’a pas encore droit aux grandes scènes françaises, gageons que son talent sera bientôt reconnu, car sa première pièce témoigne d’une surprenante maturité pour un auteur de vingt-six ans. Ambiance glauque comme chez O’Neill, avec cependant davantage de comédie pour détendre l’atmosphère lorsque celle-ci devient trop lourde à supporter (tant pour les personnages de la pièce que pour les spectateurs. Thèmes graves (la solidarité, la maternité, le sacrifice) traités dans le cadre d’une situation dramatique par excellence. Cela fait déjà beaucoup d’atouts. Lorsqu’en outre l’interprétation s’avère sans faille, tous les ingrédients sont réunis pour faire un spectacle mémorable.

On n’en dira pas davantage, ici, sur l’argument de la pièce que dans le titre de cet article : une sorte de Huis-Clos à l’envers. Il importe que le spectateur puisse le découvrir lui-même, la construction étant telle que notre compréhension de l’histoire et des personnages progresse tout du long. On ne dira rien non plus du décor, suffisamment banal pour nous faire douter pendant un bon moment du lieu où se déroule l’action et donc de la nature des personnages (de quelle sorte de gens s’agit-il ?).  

Par contre on peut et l’on doit saluer la virtuosité d’Annie Vergne qui a mis en scène et tient le rôle principal. Au premier abord un peu déroutante – on hésite à croire qu’elle saura nous séduire – elle prend en quelques répliques la dimension de son personnage un rien démiurgique. Comédienne expérimentée, qui passe aisément du comique au drame, de la chanson aux larmes, et retour, elle mène le jeu sur la scène avec autant d’autorité qu’elle en a eu, à l’évidence, pendant la préparation du spectacle. Elle est entourée par deux jeunes comédiens qui lui donnent fort honorablement la réplique : l’auteur, Julien Séchaud, fait preuve d’une étonnante présence dans le rôle d’un gros balourd, rustre d’apparence mais au fond plein de sensibilité ; Ghislain Geiger joue quant à lui, avec toute la fragilité qui convient, un chef d’entreprise impatient et travaillé par le remord. Anne-Chantal Bourdillat, qui intervient sporadiquement pour faire avancer l’action, contribue efficacement à l’impression d’étrangeté qui domine toute la pièce jusqu’à son dénouement. Enfin une voix off imite avec un réalisme saisissant celle qui, dans les gares de France, annonce si souvent désormais le retard ou l’annulation des trains (la pièce ayant en effet quelque chose à voir avec une gare et des trains).

A Paris, au Guichet Montparnasse, à partir de janvier 2011.