Le festival s’est achevé le 25 juillet. Après trois semaines très intenses, la ville va retrouver un calme relatif, la fréquentation estivale des touristes, quoique non négligeable – la Cité des Papes recèle tant de trésors ! – n’ayant rien à voir avec celle des festivaliers. Le 69ème festival IN a programmé 58 spectacles pour 280 représentations avec un taux de fréquentation supérieur à 93%. Avec les manifestations gratuites, 156000 entrées ont été comptabilisées. On ne dispose pas de ce dernier chiffre pour le OFF (qui fêtait cette année son 50ème anniversaire), chaque compagnie se chargeant de la vente des billets pour son ou ses spectacles, mais les chiffres disponibles sont encore plus impressionnants : 1071 compagnies (dont 128 étrangères) ont présenté 1336 spectacles. Plus de 50000 cartes du OFF (donnant droit à des réductions sur les spectacles) ont été vendues, soit 50000 spectateurs qui ont vu chacun au minimum quatre ou cinq pièces, sans compter les autres, non-encartés. Et puisque le OFF est aussi le grand marché du théâtre (comme Cannes l’est pour le cinéma), on peut ajouter ici que 3587 professionnels ont été accrédités dont 1328 programmateurs et 591 journalistes. IN et OFF confondus, Avignon est bien « le plus grand théâtre du monde ».
Pour autant qu’il se démène, un seul critique ne peut voir et rendre compte que d’un petit nombre de pièces. Un festival aussi riche apporte nécessairement autant de frustration que de satisfaction. Dans nos 18 billets précédents (le 19ème étant consacré à l’exposition Chéreau), nous avons rendu compte de 36 des 52 pièces auxquelles nous avons pu assister (dont 13 dans le IN). En dehors des pièces laissées volontairement sous silence, qui n’ont pas besoin de contre-publicité, il en est d’autres qui valent d’être signalées. Pour mémoire et dans le désordre :
Page en construction de Fabrice Melquiot mis en scène par Kheireddine Lardjam qui tient également le rôle principal. Entre l’Algérie et la France, en jouant sur le mythe des super-héros (« Arabman », « Captain Maghreb »). Des scènes touchantes de vérité. Superbe accompagnement de musique Gnaoui.
Kokdu par une troupe coréenne. Le rituel des morts fictionnisé. Avec costumes, chants et danses typiques. Ambiance prenante.
Kiwi du Québécois Daniel Danis par deux jeunes comédiens qui sautent d’un micro à l’autre. Des enfants errants. Atmosphère suburbaine, lumières tamisées, la musique qu’affectionne la jeunesse d’aujourd’hui.
Parce que c’était lui – Montaigne et La Boétie de Jean-Claude Idée. Trois personnages en fait : Montaigne vieillissant, La Boétie qui lui rend visite d’outre-tombe et enfin Marie de Gournay, toute jeunette, qui deviendra l’éditrice de la troisième édition des Essais. Net et sans bavure. Intéressant de bout en bout et bien joué par les trois comédiens.
Les Oiseaux d’après Aristophane adapté et mis en scène par Carlo Boso avec seize élèves de L’Académie internationale des arts du spectacle (Versailles). Présenté en plein-air avec tréteaux, masques, chants et danses, un vrai spectacle de rue, sympathique et bien réglé qui réconcilie avec Aristophane souvent bien ennuyeux sur les scènes plus prestigieuses.
Pierre et Loulou. Un spectacle pour enfants à partir de 3 ans. Sur la musique de Prokofiev (Pierre et le Loup) avec de drôles de personnages dont un chien à ressort et un chat confectionné à partir d’un vieil étui à jumelles. Les marionnettes passent du décor (projeté sur un écran) au castelet. Pas de texte mais un « gromelot » éloquent. À découvrir avec ou sans enfant.
Pour finir, trois spectacles que nous n’avons pas aimés, à évoquer néanmoins pour une raison ou pour une autre.
Un obus dans le cœur de Wajdi Mouawad. Un seul en scène avec Gregori Baquet. Est-ce le texte – soliloque d’un fils au moment où sa mère va mourir, qui n’est pas du meilleur Mouawad – ou la mise en scène sobrissime de Catherine Cohen, toujours est-il que Gregori Baquet, malgré des efforts méritoires, ne nous a pas atteint au cœur.
La mort de Danton de Georg Büchner revisitée par Antoine Caubet, spécialiste des mises en scène « pauvres » avec un effectif de comédien réduit. Il s’est fait connaître par son Roi Lear présenté dans les mêmes conditions. Pour découvrir Caubet bien que le résultat s’avère décevant et même ennuyeux.
Meursault adapté et mis en scène par Philippe Berling. Dans le IN. Cette tentative de faire passer à la scène le roman à succès de Kamel Daoud (Meursault, contre-enquête) a fait long feu. Le comédien, Ahmed Benaïssa, se perd dans un monologue sans couleur qui, très rapidement, lasse. La présence intermittente sur le plateau d’une chanteuse dans le rôle de la mère ne suffit pas à faire diversion.
Et finalement, le « Footsbarn ». Cette troupe créée en 1971 en Cornouailles (Grande-Bretagne), totalement itinérante entre 1984 et 1991, basée en France depuis, fait partie de l’histoire du théâtre. Elle a planté son chapiteau pour plusieurs mois au cœur d’un quartier populaire à la périphérie d’Avignon. Outre un programme d’animation culturelle spécialement dirigé vers les habitants du quartier, elle présente deux pièces de son répertoire : Nid de Coucou et Œuvres incomplètes (de William Shakespeare). On se rend au Footsbarn comme on va en pèlerinage ; le miracle n’est donc pas garanti. Nous avons assisté à une représentation des Œuvres incomplètes en fin d’après-midi sous un chapiteau à peu près désert. Toute la fantaisie, toute l’originalité de la troupe semblaient avoir disparu. Ce qui faisait son succès jadis est-il devenu désuet ? Les comédiens ont vieilli, sont-ils fatigués ? L’absence de public les a-t-elle découragés ? Quoi qu’il en soit, on était triste pour eux.