Retour au IN avec deux chorégraphies sur le thème de la guerre.
Monument 0 : Hanté par la guerre (1913-2013)
Ezter Salamon est hongroise ; elle a créé ses premières pièces en 2001. Elle est aujourd’hui artiste associée au Centre National de la Danse. Monument : 0 est le premier opus d’une série « explorant à la fois la notion de monument et la pratique d’une réécriture de l’histoire » (le dossier de presse). Pour l’heure, il s’agit de revisiter les danses de guerre de certaines tribus primitives. Les revisiter, pas les imiter servilement. Quoi qu’il en soit, le résultat semble assez proche des modèles, les mouvements des danseurs demeurant fort rudimentaires, pour ne pas dire… primitifs. Il en va d’une certaine danse contemporaine comme de la peinture qui a connu une courbe ascendante depuis les primitifs du Moyen Âge jusqu’aux grands maîtres de l’époque classique et baroque avant d’amorcer une descente qui l’a conduite sinon en enfer du moins au minimalisme du monochrome. Faut-il s’extasier devant un bleu de Klein ? Chacun en jugera. Faut-il s’extasier devant la reproduction sur un plateau prestigieux des gestes stéréotypés er répétitifs des danses tribales. Chacun en jugera. Il y avait en tout cas, sur les gradins de la cour du lycée Saint-Joseph, des spectateurs enthousiastes. Il y en avait également des réticents. Notre voisin de droite, camarade critique, n’a pas daigné offrir aux danseurs un seul battement de mains.
Ce n’est pas qu’il n’y ait eu de bons moments dans cette pièce, mais ils tenaient plus, en ce qui nous concerne, à la découverte des masques, des costumes (des collants imitant des peintures de guerre), à l’utilisation parcimonieuse mais judicieuse de la lumière et de la musique (souvent réduite un sifflet, une bouteille frappée avec une baguette) qu’à la chorégraphie elle-même.
Retour à Berratham
Fort heureusement, une pièce comme Monument 0 n’est pas représentative de toute la danse contemporaine. La preuve avec la dernière œuvre d’Angelin Preljocaj, créée dans la Cour d’honneur lors de ce festival, qui contient de superbes morceaux dansés. On peut regretter qu’il n’y en ait pas davantage, mais, en même temps, on ne peut pas reprocher à Preljocaj de vouloir combiner la danse avec quelque chose qui ressemble à du théâtre. Car le texte est ici très présent. Il est dû à Laurent Mauvignier qui avait déjà inspiré Preljocaj avec Ce que j’appelle l’oubli, un autre de ses textes. Retour à Berratham raconte donc une histoire, une histoire de guerre qui semble située dans l’ex-Yougoslavie.
Un extrait : « Parce que pour lui, la guerre, ça veut dire revivre la mort d’une femme qu’on a aimée si longtemps qu’on ne croyait pas imaginable qu’un jour des hommes à peine plus vieux que des gosses surgiraient des camions et qu’ils feraient descendre toutes les femmes de l’immeuble, une à une, fouillant à chaque étage, porte à porte, dans chaque pièce, chaque chambre, chaque placard, les menaçant et les frappant, puis qu’ils les réuniraient et les forceraient à se déshabiller dans l’arrière cour où d’habitude raisonnaient seulement les cris des enfants ou le vent claquant entre les draps.
Oui, bien avant, c’était impensable aussi de se dire qu’un jour les soldats encercleraient les femmes aux peaux nues et glacées et qu’ils les abattraient les unes après les autres. »
Le principe du spectacle est d’illustrer le texte par la danse. Souvent le texte est d’abord récité à une, deux ou trois voix avant que la danse ne commence. A d’autres moments, les deux sont simultanés. Par exemple, le passage cité est illustré par un très beau mouvement d’ensemble des danseuses dont la photo peut donner une idée (insuffisante). En règle générale, la coordination des danseurs est impressionnante, de même que leur aisance dans des figures complexes. Par ailleurs, la pièce se déroule dans le beau décor d’Adel Abdessemed qui occupe l’immense scène du Palais des papes, un lieu dévasté par la guerre, entouré de grillages, avec des carcasses de voiture brulées, des sacs poubelles noirs, un décor qui peut bouger.
Preljocaj a-t-il complètement réussi son pari ? Nous n’irons pas jusque là et sans doute cela tient-il au texte qui n’a pas toujours l’intensité qu’il devrait avoir et l’on s’y perd un peu entre les malheurs des différents personnages. Par contre la chorégraphie est magistrale, alternant les moments de violence et les moments de grande douceur, et l’on sort de ce Retour à Berratham – j’en suis sorti en tout cas – avec l’impression d’avoir assisté à une cérémonie parfois un peu ennuyeuse mais très belle.