Deux grands auteurs « comiques » du XXème siècle qui, chacun à sa manière, ont dénoncé le totalitarisme.
W ou le souvenir d’enfance
Marie Guyonnet, la directrice du théâtre La Boderie, a déjà adapté il y a quelques années L’Art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation de Georges Perec. Elle revient à cet auteur avec l’adaptation, cette fois, de W ou le souvenir d’enfance, un texte qui mêle autobiographie et fiction. Elle utilise à nouveau quatre comédiens (dont deux figuraient déjà dans l’Augmentation). Le décor est constitué au départ par des colonnes de bambou, qui pourront être déplacées, recomposées en fonction des besoins pour construire un bateau, un portique, dessiner une étoile jaune, etc.
L’étoile jaune servira à l’évocation directe de la deuxième guerre mondiale et du traitement réservé aux juifs. Le bateau est celui qui amène le narrateur vers l’ile « W » où les hommes se consacrent au sport et les femmes à la reproduction. Le sport est par nature le véhicule de l’élitisme. Poussée à la limite, cette idéologie conduit à l’exaltation des plus forts et à l’élimination des plus faibles et c’est bien ce qui se produit sur W. Si le monde inventé par Perec n’est pas au premier abord malfaisant, il sombre en effet assez vite, quoique par degré, dans la dystopie. Des détails qui semblent anodins au départ se révèlent ensuite lourds de conséquences. Sans être à proprement parler théâtral, le récit se prête bien à la représentation sur un plateau. La multiplication des comédiens – tous sans défaut – qui portent le texte, n’introduit pas seulement une polyphonie préférable au simple monologue, elle permet de jouer avec le décor et de le faire évoluer au fur et à mesure du récit.
Un très bon moyen de découvrir Perec, ou ce texte-ci, pour ceux qui ne les connaissent pas encore. Et le plaisir de les retrouver pour les autres.
La Leçon
On peut dire la même chose pour la Leçon de Ionesco, autre monstre sacré de notre littérature du siècle dernier. Il y a d’ailleurs une parenté sur le fond entre Perec et Ionesco, tous deux ayant manié l’absurde quoique de manière différente. Concernant les deux textes dont il est question dans cette chronique, une différence essentielle tient à la forme puisque, contrairement à W, la Leçon est une vraie pièce de théâtre, avec un dialogue extrêmement brillant (dans le genre absurde, bien sûr), du moins au départ car la démonstration s’essouffle quelque peu sur la fin, comme si Ionesco n’avait pas mesuré que la répétition finit par lasser. C’est quand même une pièce à voir à la fois parce qu’elle est un « classique » et pour l’interprétation absolument magistrale des deux comédiens qui interprètent le professeur et l’élève. Magistrale et méritoire par ces temps caniculaires puisqu’ils terminent littéralement en nage !
De même que le sport, la relation pédagogique peut véhiculer une idéologie totalitaire. Le professeur, tout sucre tout miel, au début, avec son élève, se révèle de plus en plus autoritaire et intransigeant au fur et à mesure que la pièce se développe jusqu’à son acte final, et fatal.
Le texte prévoit que le rôle du professeur soit tenu par un homme et que celui de l’élève, de même que celui (secondaire) de la bonne, Marie, soient tenus par des femmes. Mais toutes les combinaisons ont été expérimentées. Ici la distribution retenue par le metteur en scène, Bruno Dairou, ne comporte que des hommes, ce qui convient parfaitement.
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