Le mois de la Francophonie (« Mars qui rit malgré les averses » comme disait déjà Charles d’Orléans) est marqué par le lancement du festival des « Francofffonies ». Soit. Chacun polit son discours et en assure la promotion. Les ténors font déjà des vocalises, Claude Hagège dans le Monde (1er mars 2006) et Dominique Wolton (dans la Lettre d’information Francofffonies n° 28). Ils entament ainsi la promotion, légitime, de leurs ouvrages, pour le premier, Combat pour le français. Au nom de la diversité des langues et des cultures (Odile Jacob), pour le second, Demain le français. Pour une autre mondialisation (à paraître en mars chez Flammarion). On ne peut qu’admirer la belle ordonnance des festivités, avec les 27 et 28 avril 2006, un grand colloque au Sénat, où nos deux auteurs se livreront peut-être à un chant amoebée sur un thème qui les réunit « La mondialisation. Une chance pour le français ». On ne semble pas avoir eu la sagesse élémentaire de pourvoir ce titre de l’échappatoire d’un prudent point d’interrogation final.
La diversité culturelle est à la mode et on voit bien pourquoi. Le Français, né malin, créa non seulement le vaudeville, mais il inventa aussi, plus tard, la défense de la diversité culturelle et linguistique. Persuadée de son adresse à tirer les marrons du feu, la France, naguère encore grand oppresseur des langues et des cultures autres que les siennes, en son sein comme dans son empire colonial, se fait aujourd’hui le bon apôtre de la diversité, dans son désespoir de ne pouvoir dresser, à elle seule, contre l’anglais (y penser toujours, n’en parler jamais) l’une de ces lignes Maginot dont elle possède également le secret. Qui cela trompe-t-il ? Les francophones non français ne cessent de nous reprocher, non sans quelques raisons, notre arrogance passée et même, de temps en temps présente, si l’on en juge par les récentes déclarations de Maurice Druon au Québec.
La France a remporté quelques succès comme à l’Ile Maurice, en 1993, en faisant approuver « l’exception culturelle » par des Etats francophones du Sud qui ne s’en souciaient guère (ils ont hélas d’autres problèmes !), mais qui ont, par là, renforcé notre position sur le plan européen et mondial. La même stratégie a été adoptée pour la « diversité culturelle », prônée d’abord par la déclaration de Cotonou (1995), puis approuvée, en 2005, à l’Unesco, sous la forme d’une « convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ». Bravo pour l’efficacité de nos diplomates qui, par un usage alterné et habile de la carotte et du bâton, ont atteint ces objectifs.
Peut-on toutefois se contenter, dans les registres, alternés et contradictoires, du désespoir et de l’exaltation, de vaticiner sur « l’avenir du français », de proposer un « combat pour le français » (mais pour « demain » seulement, comme le rasage gratis !) et, contre toute attente, de voir dans la mondialisation, naguère encore redoutée par tous les paladins de la francophonie, « une chance pour le français » ?. La méthode Coué a ses limites !
Tout ce qui se passe en ce début 2006 est bel et bon, mais une fois quelques livres vendus, quelques colloques tenus et les lampions de la « francofffonie » éteints, que restera-t-il de tout cela ?
Claude Hagège a eu raison de protester contre un amendement de « la loi de programme sur la recherche » qui, s’il avait été adopté, (1) aurait risqué, de conduire à imposer l’anglais comme langue des brevets (Le Monde, 1/3/06). Je ne sais qui ou ce qui lui a inspiré cet article, mais le problème est, en fait, plus complexe, me semble-t-il. Le nombre, relativement réduit de brevets déposés en France, ne tient pas seulement, comme le prétend C. Hagège, « à l’insuffisance de l’effort de recherche et de l’esprit d’invention qu’on devrait éveiller résolument dès le début de l’école primaire ». Il y a plusieurs causes dont l’une, la principale, tient au caractère archaïque de nos structures de recherche dont le modèle, abandonné par tous (même par les Chinois !), demeure celui des académies soviétiques. Il y aussi là une forme d’évasion fiscale (spécialité familière aux Français, même si elle n’exige pas le dépôt de brevets d’invention) que cet article, au demeurant très bien informé sur d’autres aspects, n’évoque pas, mais qu’on ne peut pas passer sous silence. Un brevet, initialement d’origine scientifique française, permet de faire sortir des capitaux en toute légalité s’il est déposé à l’étranger.
Dans la Lettre d’information Francofffonies n° 28, du 2 février 2006, D. Wolton déplore, sans doute à juste titre, que la politique culturelle extérieure de la France « réduise la voilure » (cette métaphore de la marine à voile est, on va le voir, intéressante en soi) dans un « réseau constitué depuis un siècle » et qui était « un des meilleurs du monde. ». N’est-ce pas là le pavé de l’ours ? L’évolution, en particulier technologique, qui s’est incontestablement opérée « depuis un siècle » et les incontestables changements civilisationnels ne doivent-ils pas conduire précisément à imaginer de nouveaux modes d’intervention et d’action, en particulier pour ce qui touche à la politique de diffusion de la langue française. Il est clair que le dispositif culturel extérieur de la France est, dans ce domaine, à la fois obsolète et dispendieux, dans la mesure où il date d’une époque où les moyens de diffusion de la langue française étaient radicalement autres que ceux dont nous disposons aujourd’hui et où les objectifs et les enjeux étaient aussi totalement différents.
Il ne suffit pas de « réduire la voilure », mais peut-être faudrait-il envisager de la changer pour un moteur ! C’est en cela que je trouve très significative la métaphore nostalgique de D. Wolton sur la « voilure » de la politique culturelle de la France. Dans les milieux autorisés, on continue à penser carrosses présentiels (j’use de ce terme par allusion au coût pharamineux du système d’expatriation) quand, sur les routes de la diffusion audiovisuelle des langues, passent en trombe des Ferrari audiovisuelles !
Il est proprement ahurissant, mais tout à fait explicable au plan historique et administratif comme conceptuel, que la France se soit trouvée dans l’incapacité quasi totale d’adapter son coûteux dispositif de diffusion linguistique et culturelle aux changements survenus aussi bien dans les techniques que dans l’état du monde. Le seul remède trouvé (c’est le plus mauvais, mais le plus facile à imaginer) a été de « réduire la voilure ». On ne le comprend pas, mais force est de le constater, quand des esprits aussi distingués que Claude Hagège (Professeur au Collège de France et, depuis une décennie, fort actif sur la question de la langue française en faveur de laquelle il délaisse un peu la linguistique générale) ou Dominique Wolton (Directeur de recherches au CNRS, membre du Haut Conseil de la Francophonie et du Comité d’honneur du Festival Francophone en France) semblent se rallier à de lamentables solutions.
Faut-il se borner à faire alterner lamentations et vaines espérances ? Cette cyclothymie ne devrait-elle pas céder le pas à une réflexion sur ce que l’on pourrait et devrait faire, de façon concrète et réaliste, dans les limites budgétaires qui s’imposent à nous ?
Ne serait-il pas plus efficace et plus judicieux de réfléchir à des modes et à des voies mieux adaptés et, par là, plus efficaces de diffusion de la langue française, en France et dans le monde, qui ne peuvent se fonder, en amont, que sur une révision radicale de quelques-unes des représentations qui en fondent la politique ?
Il est clair qu’il faut à la fois changer l’idée que la Francophonie et surtout la France se font de la langue française (l’Union européenne n’est plus l’Europe du XVIIIe siècle) car elle constitue un handicap insurmontable pour une diffusion massive du français ; on doit bien entendu changer aussi une partie des modes et des outils de cette diffusion. Il est stupéfiant que nul ne songe (ou plutôt ne veuille) mettre en oeuvre le moyen le plus puissant dont nous disposons et qui est, bien entendu, la télévision. J’entends déjà évoquer TV5, qui a le mérite incontestable de recycler, pour des francophones réels, les surplus de l’audiovisuel francophone du Nord. La chaîne s’est améliorée, mais on partait de si loin. En tout cas, on n’attirera pas les Africains, les Chinois et les Indiens vers le français et on les initiera moins encore à cette langue, en leur proposant des émissions sur le ver du poireau au Québec ou la fabrication de la mimolette. N’espérons pas davantage dans les derniers gadgets des plus récentes techniques de l’information et de la communication qui, en septembre 2006, ne vont pas manquer de surgir à Bucarest comme des champignons.