Une ultime livraison pour rendre compte de deux spectacles injustement oubliés dans les précédents billets, tous deux présentés à la chapelle du Verbe incarné, la vitrine de l’outre-mer français au festival d’Avignon. Passer au Verbe incarné, sans être une référence absolue, constitue pour les spectacles montés sous d’autres latitudes un gage de qualité. Mais, toute règle ayant ses exceptions, les deux spectacles dont il s’agit ici ne se rattachent en fait à l’outre-mer que d’une manière assez lâche, la présence d’un Réunionnais dans le premier, l’origine paternelle de l’auteur-interprète pour le second. Ce qui ne diminue en rien, évidemment, leurs mérites.
Le Cabaret de l’impossible : Images de la francophonie
Trois comédiens, un Français-Breton, un Québécois et un Réunionnais se sont rejoints pour concocter un spectacle à trois voix où ils racontent leur pays, avec ses idiosyncrasies, et où ils se racontent eux-mêmes. La recette est simple, la réussite complète. Loin de se réduire à la juxtaposition de leurs monologues, le spectacle fait la part belle aux dialogues, entre complicité et rivalité.
Les personnalités des comédiens sont à la fois complémentaires et fidèles à l’image associée à leurs origines respectives. Le « petit Français » un rien teigneux (Achille Grimaud), le Québécois costaud et hâbleur (François Lavallée), enfin le Réunionnais porteur de l’amertume et de la nostalgie des tropiques (Sergio Grondin). Au début, chacun se présente à tour de rôle. Le discours du Réunionnais, par exemple commence ainsi :
« Moi, c’est l’Océan Indien, une île, une montagne, un volcan, un rempart, parc à moutons, deux pièces en bois sous tôle. C’est mon père qui va couper la canne à sucre, un ventre en faim, les dimanches autour du western, Lee van Cleef, Gary Cooper, c’est aussi beaucoup de misère… »
Des trois, Sergio Grondin a la sensibilité la plus poétique, parfaitement accordée à son phrasé de slameur. François Lavallée a la verve naturelle des habitants de la Belle Province. Quant à Achille Grimaud, il est l’incarnation du Breton taiseux qui doit se forcer quelque peu pour s’exprimer mais qui sait quoi dire une fois lancé.
Premiers voyages fait un spectacle original, sympathique, sans une once de prétention : une plaisante manière de présenter la Francophonie sous trois aspects plutôt inattendus.
La faute d’orthographe est ma langue maternelle ou Daniel Picouly dans ses œuvres
Un auteur connu qui se lance dans le spectacle vivant, c’est évidemment risqué. Même si Daniel Picouly n’est pas un écrivain introverti mais un personnage médiatique, habitué à s’exprimer en public, tenir seul en scène pendant une heure un quart demeure un exercice redoutable… dont il se tire avec plus que les honneurs. Le public est au rendez-vous et il en redemande.
Entendons-nous bien ; il ne s’agit pas d’une lecture, comme en font tant d’écrivains, mais d’un authentique one man show. Son texte s’appuie à la fois sur ses souvenirs d’enfance, tel qu’il les avait déjà contés dans son livre à succès Le Champ de personne (1995) et sur ses interventions dans des classes. Le résultat est un récit plein de digressions et d’humour qui nous apprend pas mal de choses, non seulement sur Daniel Picouly (pas Piccoli, s’il vous plaît !) mais encore sur le métier d’écrivain, sur l’art long et difficile qui se termine par l’accouchement d’une œuvre littéraire.
Il a pour cela quelques images éloquentes. Ainsi de « l’asymptote » : lorsque l’auteur imagine son œuvre future, il la voit comme une ligne toute droite qui part vers l’infini ; quand il la voit en train de se faire, c’est une courbe affaissée telle « un gros derrière » ; mais à force de travail, la courbe peut se rapprocher de son asymptote, de la droite idéale. Autre image, celle de « la pillule du lendemain » : le soir, dans la fièvre de la création, le texte écrit paraît merveilleux ; hélas le lendemain matin, il n’a pas les mêmes séductions ! Et ce décalage est bien sûr nécessaire pour qui doit perfectionner son texte. D’où cette formule lapidaire : « il faut écrire comme un amant et se relire comme un mari ! »
Rien de mieux que de divertir pour qui cherche à instruire. Et Daniel Picouly s’y entend à merveille.
Selim Lander, Avignon 2012.