Les quelques spectacles du « in » dont il est rendu compte dans ces billets ne sont pas représentatifs de l’ensemble de l’édition 2012. Le « in » étant très couru, il faut s’y prendre bien à plus l’avance que nous ne le fîmes pour obtenir les places souhaitées. Ainsi – et pour nous en tenir au seul théâtre (1) – n’avons-nous pas pu voir les spectacles les plus réussis aux dires de nos confrères, comme l’adaptation du Maître et Marguerite par Simon McBurney, celle d’Un ennemi du peuple (Ein Volksfeind, d’après Ibsen) par Thomas Ostermeier, ou encore Nouveau Roman, la comédie littéraire de Christophe Honoré mise en scène par l’auteur.
Nous clôturons donc cette série de billets sur le festival d’Avignon par le dernier spectacle du « in » auquel il nous a été donné d’assister, The Coming Storm (L’Orage à venir, en anglais surtitré), production collective de la troupe Forced Entertainment. Cette compagnie créée en 1984 a traversé les décennies sans dévier de son projet : démolir les conventions du théâtre et inventer une nouvelle forme de spectacle sur la base d’un travail d’improvisation, d’expérimentation et de débats collectifs. Grande ambition, donc. Pour quel résultat ? À en juger par The Coming Storm, il n’est guère probant.
Au début la scène est vide avec cependant des accessoires alignés sur les côtés, en particulier deux portiques de vêtements et un piano. Les six performeurs vêtus « n’importe comment » s’alignent face au public. Après un temps de silence, une femme se détache, va jusqu’à l’avant-scène ramasser un micro et commence à parler. Elle explique les principes de la dramaturgie, ce qu’il faut en principe pour faire un spectacle réussi (une intrigue, une énigme, etc.). Ce premier temps est si long, si contraire aux dits principes que le spectateur est obligé de comprendre qu’il est embarqué pour quelque chose de plus aride. Il n’en est pas moins soulagé lorsqu’un autre membre de la troupe se saisit enfin du micro. Jusqu’au bout le modus operandi du spectacle sera le même : un membre de la troupe parle au micro, ce qu’il raconte devient rapidement sans intérêt mais il continue jusqu’à ce qu’un autre prenne le relais. Seul écart par rapport à ce schéma, l’un des comédiens intervient parfois brièvement pour interroger les autres sur les contradictions éventuelles de leur discours (des contradictions que le spectateur attentif aura déjà repérées).
Au bout d’un certain temps cependant les accessoires sont mis à contribution. Un comédien est chargé de tenir quelques branches, sans doute pour lui faire figurer un arbre, mais dans quel but ? Quelqu’un se met au piano qui a été roulé jusqu’au centre de la scène. Les comédiens décrochent des costumes des portiques et se changent. Mais cela ne signifie pas que le spectacle va vraiment commencer à ce moment-là : il y aura simplement un peu plus de mouvement…
Le metteur en scène, Tim Etchells, résume ainsi son projet : « The Coming Storm débute de façon minimaliste, puis nous introduisons de la musique, de la danse, des costumes, etc. Ce spectacle décrit un voyage à travers différentes performances possibles ». Mais le voyage n’ira pas bien loin, Tim Etchells ajoutant en effet : « Tout a l’air un peu inachevé dans la pièce. Les idées de décor ou de costumes sont partielles, même les récits sont souvent laissés inachevés… » On ne saurait mieux dire !
Dans un entretien publié dans le journal Le Monde daté du 20 juillet, Ostermeier, le metteur en scène de Ein Volksfeind, oppose deux conceptions du théâtre tel qu’il se pratique aujourd’hui : « Sur le plateau j’utilise la forme de la narration, je suis fidèle au récit… D’autres choisissent des formes fragmentées et déconstruites. Chacune de ces esthétiques comporte des avantages et des inconvénients. Je m’expose au didactisme et les autres à une certaine froideur désenchantée. »
« Froideur » : voici en effet une bonne manière de décrire la sensation que l’on éprouve tout au long des deux heures que dure The Coming Storm (2).
(1) La programmation du « in » comporte également de la danse, des expositions, des rencontres…
(2) Pour être complet, nous devons mentionner également la « présentation », toujours dans le cadre du « in », d’Eugène Oneguine, le roman versifié de Pouchkine, par les treize « élèves acteurs » de l’école du Théâtre National de Strasbourg. Le choix d’un roman en vers (dans la très bonne traduction en octosyllabes réalisée par André Markowicz) pour mettre en valeur des apprentis comédiens est pour le moins surprenant dans la mesure où il ne s’accompagne d’aucun effort de mise en scène. Les élèves se contentent de réciter les morceaux du roman qu’ils se sont partagés. Même lorsque des dialogues sont introduits par Pouchkine dans son récit, ils ne sont pas joués, le texte est dit par un seul comédien, tel qu’il est écrit. Malgré des coupes importantes cette « présentation » (à défaut donc de « représentation » véritable) dure trois heures ; même si le texte est remarquable et en général bien dit, deux entre-actes ne sont pas de trop.
Selim Lander, Avignon 2012.