Mondes nord-américains

“Parler mal” au Québec

Ma langue est épurée parce que je refuse de folkloriser mon langage. Si j’écris, disons fabuleusement, c’est par réaction contre ce que je suis, Canadien français.
Hubert Aquin, Point de fuite

 

 

Être “Canadien français,” comme le laisse entendre ici Hubert Aquin, c’est éprouver face à sa propre langue un certain malaise. S’il convient pour Aquin de réagir “fabuleusement” contre sa langue maternelle, c’est que celle-ci, pressentie en outre comme étant “folklorique,” se conçoit d’abord et avant tout comme étant un problème.

La relation complexe qu’Hubert Aquin entretient avec sa langue est loin d’être particulière à cet écrivain. En fait, son ambivalence est partagée par un grand nombre d’auteurs non seulement au Québec, mais encore dans plusieurs pays de la francophonie. Comme l’écrit Lise Gauvin, le “dénominateur commun des littératures dites émergentes, et notamment des littératures francophones, est de proposer, au coeur de leur problématique identitaire, une réflexion sur la langue et sur la manière dont s’articulent les rapports langues/littératures dans des contextes différents.” (1) Ces rapports, généralement de nature conflictuelle, donnent lieu à ce qu’elle appelle encore une surconscience linguistique qui, chez plusieurs auteurs de la francophonie, prend la forme d’un métadiscours tourmenté et exploratoire sur la langue dans laquelle ils s’expriment. (2)

Le but du présent essai est de rendre compte d’un aspect récurrent de cette surconscience linguistique dans la littérature du Québec, à savoir la conviction — ou son pendant, le rejet — d’une certaine abjection liée à la langue qui y est parlée ; d’où la nécessité, comme l’écrit plus haut Aquin, de son “épuration.” Or, l’idée que les Québécois “parlent mal” le français fait partie d’une longue tradition discursive qui remonte au début du 19e siècle, et qui se trouve posée dans un ensemble considérable de textes (essais, discours politiques, articles de journaux, manuels scolaires, textes littéraires, etc.). Plusieurs de ces textes, par ailleurs difficilement accessibles, ont été rassemblés et élégamment introduits par Guy Bouthillier et Jean Meynaud dans un livre remarquable intitulé Le Choc des langues au Québec : 1760-1970. (3) Ce que je voudrais proposer, c’est d’examiner d’abord comment certains de ces textes ont participé à la constitution de cette prétendue abjection liée à la langue des Québécois et comment ceux-ci ont réagi, à travers le temps, à ces accusations portées contre leur langue. Je m’attarderai ensuite à la façon dont un certain nombre d’écrivains québécois de la seconde moitié du 20e siècle ont répondu, chacun à sa manière, à ces jugements négatifs.

Une cinquantaine d’années après la Conquête anglaise, soit au début du 19e siècle, l’idée que le français parlé au Canada est “mauvais” commence de plus en plus à circuler. Plus souvent qu’autrement, il s’agit là d’un jugement de valeur porté par le vainqueur (l’Anglais) sur la langue parlée par le vaincu (le Canadien français). Cette langue, disent les Anglais, n’en est pas véritablement une. Le français “dégradé” qu’on entend au Canada (surnommé le “Lousy French”) (4) ne serait, en fait, qu’un misérable patois ; mieux connu sous le nom de “French-Canadian patois.” (5) Ils apprendraient bien le français, poursuivent-ils, s’ils n’avaient pas à faire dans ce pays à ce qu’un certain député anglophone n’a pas hésité à qualifier, en 1919, de “beastly horrible French.” (6) Ainsi apparaît dans le discours des Canadiens cette dualité – appelée à avoir une très grande fortune – entre ce que les Canadiens anglais identifient d’une part comme étant le “Parisian French” (celui-là, bien sûr, connoté positivement) et d’autre part le “Lousy French” des Canadiens français.

Le dénigrement linguistique, ou encore racial, d’un peuple conquis de la part de son conquérant n’est évidemment pas observable qu’au Québec ; le discours colonialiste étant rempli d’exemples similaires. Or, l’une des constances de ce discours, comme Homi Bhabha l’a montré, c’est de représenter le colonisé comme étant “almost the same, but not quite.(7) S’il est clair que les Canadiens français ne sont pas Anglais – et peut-être même pas tout à fait humains ; cf. “beastly” -, ils ne sont pas non plus vraiment Français. De même que leur langue n’en est pas véritablement une, leur identité est, aux yeux des Anglais, à la fois multiple et indéterminée ; non pas composée de deux entités jointes ensemble par les hasards de l’histoire (Canadiens et Français), mais bien plutôt divisée par cet espace problématique, ce blanc sur lequel viennent se projeter d’inquiétantes négations (Canadiens _ Français : Canadiens pas Français.) C’est d’ailleurs pour en finir avec cette identité troublante que le fameux Rapport Durham conclut, en 1839, à la nécessité de l’assimilation complète des Canadiens français – décrits, entre autres, comme n’étant que le “résidu d’une colonisation ancienne” (8) – à la culture impériale anglaise. (9) Pour ces “Français qui ne ressemblent pas du tout à ceux de France” (10) ou, pour dire comme Bhabha, ces “hybrid signifiers(11) qui dérangent le discours colonial par leur “non-sense(12) à la fois historique et linguistique, quoi de mieux donc que de proposer d’“effacer” (13) à jamais le confondant espace pour les transformer, une fois pour toutes, en simples “Canadians?”

Les recommandations de Lord Durham ne se sont par chance jamais réalisées, mais la diffusion et l’implantation du mépris de leur identité et plus particulièrement, de leur langue maternelle par les Anglais ont eu un effet considérable sur les Canadiens français. Très tôt, l’appréciation péjorative du français parlé au Québec est assimilée ou encore intériorisée par ces derniers qui en font vite un élément central à leurs considérations linguistiques. Mais si le sentiment d’une certaine abjection linguistique traverse un grand nombre de discours sur la langue au Québec, la façon de réagir face à cette prétendue abjection a été appelée, elle, à se transformer avec le temps. De même, la rhétorique déployée par les Canadiens français pour traiter de la langue française “dégradée” du Canada n’a pas toujours engagé, au fil du temps, les mêmes éléments discursifs. Comme l’a noté Guy Bouthillier, il y a de ce point de vue une coupure très nette entre les discours qui se tiennent sur la langue au Québec au cours du 19e siècle et au début du 20e siècle, et ceux de la seconde moitié du 20e siècle. (14) Donc, avant et après la Révolution Tranquille, “parler mal” au Québec renvoie à des modèles tout à fait différents.

Ce qui va caractériser le discours des Canadiens français sur leur langue avant la Révolution Tranquille, c’est ce que l’historien Michel Brunet a appelé un “état permanent de défensive.” (15) Jusqu’au début du 20e siècle, cette “défensive” prendra plus particulièrement la forme – étonnante à première vue – d’une véritable glorification du français canadien. (16) Ainsi, en réponse à tous ceux qui les accusent de ne parler qu’un misérable patois, les Canadiens français entreprennent de prouver qu’au contraire, le français parlé au Canada constitue la “seule vraie langue française.” (17) Les Canadiens français ne parleraient donc ni bien ni mal le français : ils le parleraient, en vérité, mieux que quiconque.

Pour soutenir cette affirmation, le discours sur la langue au Québec met en place un système d’argumentation qui se révélera, du moins pendant un moment, particulièrement efficace. La supériorité de la “race” canadienne-française – comme on le dit à l’époque – passe d’abord par la création de ce que l’on pourrait appeler un mythe fondateur dont la fonction est précisément de venir justifier l’argument de supériorité invoqué. Pour servir de défense et illustration de la langue canadienne française, par exemple, Napoléon Legendre se met, en 1884, à réécrire l’histoire du Canada à partir de cet homo canadiensus qui “après la grande bataille qui a placé le drapeau britannique sur nos murs… n’avait pour vivre que sa hache et son mousquet ; mais [dont le] cœur était aussi grand et aussi fort que l’immense et vigoureuse forêt à laquelle il allait livrer bataille.” (18) Ce Canadien, poursuit Legendre, était entouré de nombreux ennemis dont les “sauvages” et les “bêtes farouches” n’étaient cependant pas les plus redoutables ; le plus grand danger qui le menaçait étant plutôt celui “des mœurs, des coutumes et de la langue d’un étranger.” (19) À ceux qui demandent comment ce (bon) Canadien a réussi à traverser tant d’épreuves, Legendre répond avec fierté que ce qui l’a toujours soutenu dans son combat, c’est “sa foi, ses coutumes et sa langue” qu’il a en outre su conserver “intactes comme au premier jour.” (20)

En divisant ainsi le monde en deux catégories bien distinctes avec d’un côté les bêtes farouches, les sauvages et les Anglais et de l’autre, la nature apprivoisée, le vrai Dieu et les Français du Canada, il est clair que Legendre, comme bien d’autres Canadiens français de ce temps, conçoit le problème de la langue au Québec en termes essentiellement épiques. (21) Aussi nul ne devrait trop s’étonner de voir le journaliste et historien Thomas Chapais affirmer, en 1912, que la mission véritable des Canadiens français leur a été révélée par Dieu après la Conquête anglaise, à savoir qu’ils devaient désormais “écrire dans l’histoire de l’Amérique du Nord les Gesta Dei per Francos.” (22) Héritiers de la France qui a été “par le fond même de son être un pays de croisades,” écrit cette fois l’abbé Lionel Groulx, les pionniers canadiens-français se sont donc transformés, après la Conquête, en “chevaliers de l’idée” (23). Cet “esprit de croisade”, poursuit-il, n’a jamais cessé depuis lors de faire partie inhérente de “notre” identité “nous” poussant à “nous engager comme dans la France ancienne, et comme elle sans consulter nos intérêts, [dans] de grandes causes vaincues, et l’épée de nos officiers presque adolescents [à faire] briller jusqu’à Rome un éclair d’épopée.” (24) On aura compris que l’éclatante “épée” courageusement brandie par tous les Roland et Olivier du Canada correspond, bien sûr, à la foi catholique et à la langue qui la véhicule ; plus précisément, cette langue “conquérante, apostolique et civilisatrice” qu’est la langue canadienne-française. (25)

Il est intéressant ici de noter que le pôle opposé de ce discours épique – le côté du tort réservé aux “païens” dans La Chanson de Roland (26)– n’est pas uniquement occupé par les Anglais, mais bien aussi par les Français de France. S’il est vrai que la “langue anglaise est la langue de l’erreur, de l’hérésie, de la révolte, de la division, de l’anarchie dogmatique et morale,” comme le proclame Henri Bourassa, la langue française parlée en France (jadis “la fille aînée de l’Église de Dieu”) n’est guère plus recommandable, n’ayant été “que trop souvent, depuis deux siècles, la langue du mal, la langue de l’enfer et de Satan. Corruptio optimi pessima.” (27)

Ce qui fait que la France moderne constitue un péril non moins grand que l’Angleterre protestante, c’est bien son adhésion aveugle aux “forces de l’esprit laïque, à la pensée nouvelle [et] aux principes détestés de la Révolution.” (28) “Égarée [depuis 1789] dans l’inextricable dédale de l’impiété,” (29) corrompue par ce “cynique vieillard” (30) qu’est Voltaire et productrice d’une “littérature fangeuse et libertine,” (31) la France post-révolutionnaire représente alors, pour plusieurs Canadiens français catholiques, l’anti-modèle par excellence. (32)

Dans cette critique virulente – et marquée d’ambivalence — de la France moderne, il est facile de reconnaître l’autre pendant de ce mythe fondateur dont il a été question plus haut. En condamnant la France, certains Canadiens français en viennent en effet à considérer comme ayant été « providentielle » la séparation entre le Canada et la mère patrie – transformant, du coup, un évènement traumatique en « roman familial. » (33) La Conquête anglaise n’a donc pas été pour eux un « malheur » mais bien, au contraire, un « bonheur » qui leur a permis de prendre le relais de la France désormais compromise en propageant, en Amérique et par le monde, les grandes vérités catholiques. (34) C’est donc avec un énorme soupir de soulagement que le fondateur du journal Le Devoir, Henri Bourassa, affirme en 1918 ne pas parler dans son pays le Parisian French tant prisé des Canadiens anglais :

Aux lettrés de Toronto et autres bourgades de la Béotie anglicisante, qui font de si méprisantes comparaisons entre le français parlé à Paris et le patois parlé à Québec – ils ne comprennent ni l’un ni l’autre –, répondons sans crainte et sans colère : Non, Dieu merci ! Nous ne parlons pas le « français de Paris, » ni le Parisian French de Toronto. Nous parlons la bonne, vieille et saine langue de France qui soutenait l’Église, de la France qui faisait plus d’enfants, pour Dieu, pour l’Église et pour la patrie. (35)

         Mais ce n’est pas uniquement le fait qu’elle soit morale et catholique qui rend cette langue exemplaire, mais aussi le fait qu’elle soit restée authentique. L’une des façons de glorifier la langue canadienne-française sera encore d’en exalter les archaïsmes. Tous ces « vieux mots » qui sont restés en usage au Québec serviront à prouver, à tous ceux qui en doutent, « la richesse inouïe » et la « merveilleuse vitalité » de « notre belle langue. » (36) Ainsi, Narcisse-Henri Édouard Faucher de Saint-Maurice – ce nom servant peut-être à illustrer cette « merveilleuse vitalité » canadienne… – n’hésitera pas à lui donner une généalogie pour le moins fantaisiste en la liant, par exemple, à la langue qu’on trouve dans « la chronique de Saint-Denis, les gestes du roi Pépin, la vie du pape Étienne II, les gestes de Charlemagne, la chronique du moine de Saint-Gall, la chronographie de Théophane, les capitulaires et les lettres de Charlemagne, les annales d’Eginhard, les poèmes et les lettres d’Alcuin, et la chronique de Moissac… » (37)

Les origines fantastiques que Faucher de Saint-Maurice attribue à sa langue exemplifient une volonté d’inscrire le débat linguistique au Québec hors du champ du réel. Uniquement engagé sur le terrain théologique et traditionaliste, le débat sur la langue canadienne-française au 19e siècle a comme caractéristique principale d’évacuer de son discours toute dimension réaliste ou encore, politique. Or, pendant qu’on chante les louanges de ce peuple élu, la langue française du Canada, assaillie de toutes parts par l’anglais, continue de se détériorer. À côté de ceux qui glorifient le français canadien, se trouvent donc ceux qui, à l’inverse, ne cessent de sonner l’alarme pour cette langue menacée. Dès 1841, par exemple, l’abbé Thomas Maguire part en guerre contre les anglicismes qui y pullulent en publiant notamment un recueil de « locutions vicieuses » à éviter. (38) De même, dans plusieurs articles parus en 1865 dans le journal libéral Le Pays, Arthur Buies milite à la fois contre les archaïsmes et les anglicismes du français du Canada. (39) En 1902, la Société du Parler Français est fondée dont le but est justement d’épurer et de corriger cette langue que d’aucuns considèrent alors si contaminée par l’anglais qu’elle ne mérite plus guère le nom de français. (40)

L’accusation de « Lousy French » portée au début du 19e siècle par les Anglais pour des raisons purement idéologiques se met donc ici à correspondre à une réalité profonde et douloureuse qu’il importe de changer. Mais, comme on l’a souvent fait valoir, peu de ceux qui reconnaissent l’assaut subi par la langue française du Canada ne semblent alors s’interroger sur les causes profondes de cette détérioration. Au lieu de se demander pourquoi l’anglais a envahi le français à ce point – ce qui conduirait inévitablement à une réflexion d’ordre politique –, on se limite à constater les dégâts et à essayer, tant bien que mal, d’y remédier. Il est assez intéressant de noter à ce propos qu’un des premiers penseurs à avoir lié la pauvreté du français canadien au contexte politique est Alexis de Tocqueville. En 1831, après avoir entendu deux avocats de la ville de Québec plaider une cause de diffamation, de Tocqueville conclut :

Les avocats que je vis là et qu’on dit les meilleurs de Québec ne firent preuve de talent ni dans le fond des choses ni dans la manière de les dire. Ils manquent particulièrement de distinction, parlent français avec l’accent normand des classes moyennes. Leur style est vulgaire et mêlé d’étrangetés et de locutions anglaises. Ils disent qu’un homme est « chargé » de dix louis pour dire qu’on lui demande dix louis. « Entrez dans la boîte, » crient-ils au témoin pour lui indiquer de se placer dans le banc où il doit déposer… L’ensemble du tableau a quelque chose de bizarre, d’incohérent, de burlesque même. Le fond de l’impression qu’il faisait naître était cependant triste. Je n’ai jamais aussi convaincu qu’en sortant de là que le plus grand et le plus irrémédiable malheur pour un peuple, c’est d’être conquis. (41)

         Avec plus d’un siècle d’avance, Alexis de Tocqueville marque un tournant décisif dans l’articulation du problème linguistique au Québec. À partir des années soixante, au cours de cette période appelée la Révolution Tranquille, la langue « dégradée » des Canadiens français cesse d’être pressentie comme étant un phénomène principalement linguistique (et/ou théologique) pour devenir un problème plus spécifiquement politique. Il ne s’agit plus d’essayer de défendre le français du Canada, mais plutôt d’utiliser le « mauvais français » qu’on y parle comme une arme politique. Signe douloureux de la « colonisation » des Canadiens français, miroir de leur longue aliénation, le joual fait alors son apparition dans le discours. Qu’est-ce que le joual ? Paul Chamberland, qui fut l’un des fondateurs de la revue Parti pris, répond :

Contraction du mot cheval, le terme « joual » désigne par métonymie la « langue » dont c’est l’un des mots. Le « joual » n’est ni un dialecte, ni un patois, ni un argot, ni un jargon. Encore moins une « langue. » Le joual est une « sous-langue » : il est par nature, confusion, appauvrissement, privation, désagrégation. (42)

         Le « joual, » poursuit-il, est le « symptôme d’une société en pleine acculturation ; c’est pourquoi il appelle non une solution linguistique, mais une solution politique : une mutation de réalité. » (43) On notera ici que contrairement à d’autres critiques et poètes séparatistes de l’époque, Chamberland ne cherche pas à faire du joual la langue distinctive des Canadiens français. (44) Plaidoyer pour cette « sous-langue » serait pour lui impensable. Il s’agit plutôt de la montrer telle qu’elle est, à savoir comme l’épouvantable résultat d’une cohabitation imposée entre deux groupes sociaux aux forces inégales, et de proposer les changements politiques qui s’imposent. (45) Dans un article célèbre, Hubert Aquin pousse un peu plus loin l’argument, en dénonçant cette fois tous ceux qui font l’éloge du joual comme une nouvelle langue « révolutionnaire » alors qu’il ne s’agit, écrit-il, que d’un « refuge, » un « maquis linguistique » ou mieux encore, de l’emblème du « conquis humilié, contrarié, irritable, ombrageux » qui, en subvertissant la parole, se donne l’illusion de subvertir l’ordre politique. (46) On a vu plus haut, dans la citation placée en exergue, comment Aquin réagit contre ce qu’il perçoit être un manque dans sa langue maternelle et comment cette réaction « fabuleuse » vise à l’éloigner le plus possible du « parler mal » qu’il lui prête ; nous y reviendrons.

Mais au cours des années 60 et 70 par ailleurs, « parler mal » ou « parler joual » ne fait pas seulement l’objet de discours théoriques sur la langue au Québec. Pour des raisons politiques ou encore, pour mieux représenter la langue de leurs personnages – c’est le cas de Michel Tremblay notamment – un grand nombre d’écrivains québécois se mettent en effet à écrire « mal » ou écrire « joual. » Dans un livre récent, Lise Gauvin identifie ce « droit de mal écrire » revendiqué par plusieurs auteurs de la francophonie comme correspondant à un besoin profond de manifester une différence par rapport à la « bonne » langue française – ce qui, en retour, constitue une expression importante de la surconscience linguistique qui caractérise la littérature francophone. (47) Cette différence, note-t-elle, implique une série de transgressions grammaticales et lexicographiques, appelées aussi « étrangetés, irrégularité et variances », qui en viennent à servir d’emblèmes pour une spécificité littéraire. (48) Pour les auteurs francophones, choisir d’écrire « mal » est ainsi toujours un « acte de langage, » car dans ce choix se révèle un « procès littéraire plus important encore que les procédés mis en jeu.» (49) En ce sens, la littérature francophone pourrait être rapprochée de ce qu’Alexandre Leupin considère comme étant l’un des traits les plus distinctifs de la littérature médiévale, à savoir une tendance à accentuer la performance langagière en jouant notamment sur des « défauts linguistiques, » des « confusions babéliques » et des infractions grammaticales et rhétoriques appelées au Moyen Age « barbarolexis. » (50)

Pour comprendre ce que les auteurs québécois veulent « faire » avec la langue en choisissant de « mal » écrire, il nous faut toutefois établir une distinction entre ce que la poétesse québécoise Michèle Lalonde identifie comme étant un premier et un second degré de joual. Le joual au premier degré, écrit-elle, est machinal et involontaire. Il représente souvent, pour ceux et celles qui vivent dans un milieu social défavorisé, la seule « langue » d’usage possible. Le joual au second degré, par contre, est volontaire. Il est utilisé par ceux et celles qui peuvent parler ou écrire « bien » au besoin, mais qui choisissent de parler ou écrire « mal » pour accomplir dans le discours un acte spécifique. (51)

         Les Chroniques du Plateau Mont-Royal de Michel Tremblay illustre bien ces distinctions. Le récit en effet y est narré dans un français « standard » tandis que les personnages, eux, s’expriment en joual. La langue pauvre et dégradée – et pourtant hautement poétique – que Michel Tremblay fait parler à ses personnages coïncide avec l’abjection sociale et économique qui est la leur. Le joual n’apparaît donc pas ici de façon arbitraire, mais bien plutôt nécessaire : il sert à exprimer, par et à travers le langage, la misère d’un groupe social francophone vivant dans les quartiers les plus pauvres de la ville de Montréal. (52)

Le passage d’un français « standard » à un « mauvais » français qu’on trouve chez Tremblay correspond d’autre part à un phénomène linguistique bien connu des Québécois, et auquel le sociolinguiste américain William Labov, observant le parler des noirs américains, a donné le nom de style shifting. (53) Dépendant ce qu’ils veulent « faire » avec la langue et du contexte dans lequel ils se trouvent, les Québécois utilisent l’un ou l’autre registre linguistique. Là encore, pour celui ou celle qui peut « bien » parler, se mettre à parler « mal » n’est jamais un acte innocent. « Passer » au joual peut exprimer, entre autres choses, une certaine volonté de rire de soi – entre soi –, un mode de reconnaissance ou encore, une forme de provocation. « Parler mal, » pour un Québécois, c’est aussi se permettre un plaisir défendu – et partant, délicieux –, qui ne va pas par ailleurs sans provoquer chez lui ou elle et chez son auditoire un rire libérateur. (54) L’un des meilleurs exemples littéraires du plaisir transgressif lié au « mal » parler se trouve dans la pièce de Jean Barbeau intitulée Joualez-moi d’amour où un jeune Québécois ne peut réussir à faire l’amour avec une prostituée française (« de France ») que si celle-ci lui parle dans cette langue pour lui terriblement érotique qu’est le joual. (55)

Mais, comme le fait remarquer Labov, le phénomène du style shifting ne manque pas de signaler pour le groupe qui le pratique un certain degré d’insécurité linguistique. (56) Pour un noir américain, par exemple, passer du « parler noir » au « parler blanc » dans une situation donnée, c’est reconnaître intuitivement l’existence d’une norme extérieure de correction. Dans le cas du français parlé au Québec, c’est le français « standard » (ou bien est-ce le Parisian French ?) qui constitue la norme. S’en écarter n’est, en ce sens, jamais « révolutionnaire ; » toute transgression ne faisant, en somme, que confirmer la loi.

Pour échapper à ce dilemme, plusieurs auteurs québécois ont proposé à un moment ou à un autre la reconnaissance d’une norme de correction plus spécifiquement québécoise. Le français du Canada ne serait donc ni plus vrai, ni plus faux, ni meilleur, ni pire que le français de France : il serait tout simplement autre parce qu’il est parlé dans un pays autre que la France. Il serait pourtant naïf de croire que la notion d’altérité efface comme par magie l’insécurité des Canadiens français face à leur langue. Tout en se réjouissant de la « charge québécoise » véhiculée par son français, (57) par exemple, Hubert Aquin ressent le besoin de s’en distancier en écrivant « fabuleusement. » On notera encore qu’alors qu’il défend hardiment le français canadien, le critique Henri Bélanger ne cesse d’utiliser, en parlant de ce « nous» ethnique et linguistique qu’il veut circonscrire, l’expression ambiguë, courante au Québec : nous-autres. (58)

En ce sens, la fuite du poète québécois Claude Gauvreau dans la glossolalie la plus sauvage – babillante, bégayante et pourtant articulée avec la plus grande rigueur – soulève des problèmes intéressants. (59) Dans la langue radicalement autre de Gauvreau, ne peut-on découvrir en effet une variante extrême de la langue « fabuleuse » revendiquée par Aquin ? Ou encore, incapable de parler une langue qui serait une, Claude Gauvreau, devenu glossolale, aurait-il été poussé à les parler toutes ?

Le même genre de questions se pose à propos du romancier Réjean Ducharme. Dans L’Avalée des avalés, par exemple, le personnage principal, une enfant révoltée nommé Bérénice, invente une nouvelle langue appelée le « bérénicien : »

Frappée de génie, devenue ectoplasme, je criai, mordant chaque syllabe : « Spétermatorinx étanglobe ! » Une nouvelle langue était née : le bérénicien. J’ai fait des emprunts aux langues toutes faites, de rares. (…) Le bérénicien comporte plusieurs synonymes. « Mounonstre béxéroorisiduel » et « spétermatorinx étanglobe » sont synonymes. En bérénicien, le verbe être ne se conjugue pas sans le verbe avoir… (60)

         Le désir d’avoir une langue à soi, totalement libérée du lourd bagage de l’histoire, sous la plume d’un auteur du Québec, n’est évidemment pas dénué de sens. Dans le « bérénicien » — cette langue qui à la fois est et a –, ne faut-il pas voir la réalisation d’un vieux rêve québécois, — rêve dans lequel tous les Québécois, enfin indifférents aux autres, n’auraient plus à justifier leur langue difficile ?

Parmi ceux et celles qui ont tenté de libérer le débat linguistique au Québec de sa charge d’insécurité face à la France et créer, du coup, cette « langue à lui » qu’Octave Crémazie en 1882 disait manquer au Canada français, (61) il nous faut signaler, en terminant, le poète Gaston Miron. En 1957, Miron écrivait :

Il faut que notre poésie trouve son lieu de permanence et de renouvellement : il faut que le poète canadien de langue française résolve ses contradictions intérieures dans la position d’angoisse et d’écartèlement où le place son destin. Pour s’épanouir, une poésie a besoin d’une terre, d’un espace, d’une lumière, d’un climat, d’un milieu où elle plonge ses racines. Sans quoi elle est condamnée à l’artifice ou se condamne elle-même à l’évasion, à l’intellectualisme… La partie qui se joue présentement dépasse de beaucoup le sort de notre poésie ou plutôt, le sort de notre poésie est intimement lié au sort même réservé au fait ethnique qui le porte. (62)

         Pour Miron, la langue québécoise à découvrir n’est pas le joual, mais bien une langue française qui inclut les « maigres mots de nos héritages, « les « mots noueux de nos endurances, » les « épinettes, sapins et autres compères » et les « batèche de vie » lancées par les Canadiens français fatigués, « rabotés » en voie pourtant de se « rapailler. » (63) Parce qu’il est celui qui, le premier, a fait de la langue française parlée au Québec à la fois une langue littéraire et un objet essentiel à la reprise en main de tout un peuple d’« humiliés, » (64) Miron est à juste titre considéré par plusieurs comme étant le premier poète québécois. (65)

En 1974, Michèle Lalonde publiait Défense et illustration de la langue québécoise où elle faisait valoir non sans humour qu’il était amplement temps que les Québécois en finissent avec leur complexe d’infériorité face à la France pour se mettre enfin à parler sans honte leur langue ainsi définie : « Par Langue Québécoyse, je n’entends pas autre chose que la Langue Françoyse elle-mesme, telle qu’elle s’est tout naturellement déterminée en Nouveau-Monde, à cent lieux de la Mère-patrie mais sans horrible complexe d’Œdipe, empruntant au besoin tantôt un mot indien, tantôt un terme anglais mais non cent cinquante mille… » (66) Il est indéniable que le « manifeste ludique » (67) de Lalonde marque un point important dans l’acceptation de leur langue maternelle par les Québécois, mais la nécessité de « défendre et illustrer » le français parlé au Québec quinze après Miron donne toutefois à réfléchir. Sans aller jusqu’à dire, comme le fait Heinz Weinmann, que l’« abjection de soi » est un « catalyseur inconscient de la psyché canadienne-française, » (68) il semble que l’ambivalence des Québécois face à la France et l’intériorisation des jugements péjoratifs portés contre leur langue aient eu la vie longue. Il reste à savoir si, comme plusieurs l’affirment, les auteurs et artistes québécois contemporains ont fait la paix avec ces vieux démons. (69) Mais en tant que critique et romancière québécoise, quelle est donc là-dessus mon opinion ? La relation que j’entretiens avec la langue française parlée au Québec – ma langue – est-elle, oui ou non, problématique ? Le fait que j’hésite à répondre est sans doute ici révélateur…

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(1) Lise Gauvin, “D’une langue l’autre. La surconscience linguistique de l’écrivain francophone,” L’écrivain francophone à la croisée des langues. Entretiens (Paris : Editions Kathala, 1997) 7.
(2) Voir aussi à ce sujet, Lise Gauvin, Langagement. L’écrivain et la langue au Québec. Montréal : Boréal, 2000.
(3) Guy Bouthillier et Jean Meynaud, Le Choc des langues au Québec : 1760-1970. Montréal : Les Presses de l’Université du Québec, 1972.
(4) Le Choc des langues, Introd. 21.
(5) Le Choc des langues, Introd. 22
(6) Louis-Arthur Richard, “La langue que nous parlons” (Revue Trimestrielle Canadienne, février 1919), Le Choc des langues 427 : “Nos adversaires, rarement à court de moyens, vont répliquer que nous ne parlons pas le français, mais un misérable patois, sans valeur littéraire comme sans utilité pratique. On n’a pas oublié le cri haineux du député Morphy : Beastly horrible French.” Pour une analyse éclairante sur les rapports entre le “patois” et l’“animalité,” consulter Michel de Certeau, Dominique Julia et Jacques Revel, Une politique de la langue. La Révolution française et les patois : L’enquête de Grégoire (Paris : Gallimard, 1975) 155-169.
(7) Homi K. Bhabha, The Location of Culture (London & New York : 1994) 89.
(8) John George Lambton Durham, Le Rapport Durham, trad. Denis Bertrand et Albert Desbiens (Montréal : L’Hexagone, 1990) 233.
(9) Le Rapport Durham 237 : “On ne peut guère concevoir de nationalité plus dépourvue de tout ce qui peut vivifier et élever un peuple que celle des descendants des Français dans le Bas-Canada, du fait qu’ils ont conservé leur langue et leurs coutumes particulières. C’est un peuple sans histoire et sans littérature. La littérature d’Angleterre est écrite dans une langue qui n’est pas la leur et la seule littérature que leur langue leur rend familière est celle d’une nation dont ils ont été séparés par quatre-vingts ans de domination étrangère, et davantage par ces transformations que la Révolution française et ses suites ont opérées dans tout[e] … la France. (…) C’est de cette littérature entièrement étrangère, qui traitent d’évènements, d’idées et de mœurs tout à fait étrangers et inintelligibles pour eux, qu’ils doivent dépendre…”
(10) Durham 67.
(11) Bhabha 124.
(12) Bhabha 125.
(13) Durham 241.
(14) Introduction Le Choc des langues 18-28.
(15) Michel Brunet, La Présence anglaise et les Canadiens (Montréal : Beauchemin, 1958) 117.
(16) À ce sujet, voir introduction Le Choc des langues 19-25.
(17) Jules-Paul Tardivel, “La Langue française au Canada, conférence lue devant l’Union Catholique de Montréal, le 10 mars 1901”, Le Choc des langues 294-6.
(18) Napoléon Legendre, La langue française au Canada (Québec : Darveau, 1890), Le Choc des langues 221. On lira à ce propos le roman exalté de l’abbé Lionel Groulx intitulé L’Appel de la race dans lequel le fils du héros achève de se “convertir” à la culture française du Canada qu’il avait reniée devant le monument de ce “héros de la Nouvelle-France” qu’est Dollard des Ormeaux. Après avoir entendu son père décrire le combat héroïque de Dollard contre les Iroquois au Long-Sault, le fils s’écrie : “Entre deux [Anglais ou Français], j’avais à choisir. Eh bien, ta parole fut la plus forte parce qu’en moi devant ce Long-Sault, sa résonance était la même que l’histoire. Instinctivement, je me levai ; frémissant, je tendis les bras vers le monument du héros. Là, entends-tu, oui, là, j’ai juré à haute voix : je serai du parti de mon père, français comme lui et comme mes aïeux, intégralement, enthousiastement [sic] français !” Lionel Groulx, L’Appel de la race (Montréal : Fidès, 1922 – réédité 1980) 167.
(19) Legendre, Le Choc des langues 221 : “Non seulement lui fallait-il tirer son existence quotidienne d’une culture sans cesse interrompue ou ruinée par les incursions des sauvages et des bêtes farouches, mais il devait en outre lutter constamment et pied à pied contre un envahissement encore plus redoutable, celui des mœurs, des coutumes et de la langue d’un étranger.”
(20) Legendre, Le Choc des langues 221.
(21) L’importance accordée à l’“épopée” dans l’histoire des Canadiens français est évidente dans la première strophe de l’hymne national du Canada composée par Adolphe-Basile Routhier en 1880 : “Ô Canada ! Terre de nos aïeux,/Ton front est ceint de fleurons glorieux ;/Car ton bras sait porter l’épée./Il sait porter la croix !/Ton histoire est une épopée/Des plus brillants exploits./Et ta valeur, de foi trempée,/Protègera nos foyers et nos droits !” On notera que la version anglaise de l’hymne national canadien ne comporte aucune allusion à une histoire supposée “épique” et que les allusions à la “foi”, à l’”épée” et à la “croix” n’y figurent pas.
(22) Thomas Chapais, “La langue gardienne de la foi, des traditions, de la nationalité” (Bulletin du parler français au Canada, vol. X, juillet-août 1912), Le Choc des langues 335. Gesta Dei per Francos est un texte écrit au XIIe siècle dans lequel l’auteur, Guibert de Nogent, relate les exploits des Français pendant la 1ere croisade prêchée par le pape Urbain II.
(23) Lionel Groulx, Dix ans d’Action française (Bibliothèque de l’Action française, 1926), Le Choc des langues 342. Mentionnons encore que le nom donné à la revue de la Société du Parler Français, fondée en 1902, est Le Croisé.
(24) Groulx, Dix ans, Le Choc des langues 342.
(25) Chapais, Le Choc des langues 338.
(26) “Paien unt tort e chrestiens unt dreit”. La Chanson de Roland, ed.et trad. Jean Dufournet (Paris : GF-Flammarion, 1993) v.1015.
(27) Henri Bourassa, “La langue gardienne de la foi, discours du 20 novembre 1918,” Le Choc des langues 410.
(28) Jules Fournier, “Réplique à M. ab der Halden” (Revue canadienne, tome LII, 1907), Le Choc des langues 310.
(29) Jean-Paul Tardivel, “La langue française au Canada” (Revue canadienne, 1881, vol. 1), Le Choc des langues 214.
(30) Henri Bourassa, “Le Patriotisme canadien-français. Ce qu’il est, ce qu’il doit être” (Discours prononcé au Monument National le 27 avril 1902), Le Choc des langues 300.
(31) Bourassa, “La langue gardienne”, Le Choc des langues 413.
(32) C’est plutôt le Canada qui serait devenu un modèle pour la France — ce que l’abbé Groulx fait valoir, non sans humour, dans ce commentaire : “Ici, ce soir, à la face des délégués de la France, en présence d’un des Quarante Immortels, je tremble d’articuler ce qui paraîtra sans doute à plusieurs un épouvantable blasphème. (…) Il faut aller à la littérature classique parce que nulle plus que toi, ô littérature de Corneille, de Racine, de Molière, de Boileau, de Pascal, de Bossuet, nulle plus que toi n’est … canadienne !” Groulx, Dix ans, Le Choc des langues 341.
(33) Voir à ce sujet Heinz Weinmann, “Le roman familial canadien,” Du Canada au Québec. Généalogie d’une histoire (Montréal : L’Hexagone, 1987) : 289-311.
(34) Bourassa, “La langue gardienne”, Le Choc des langues 412. On notera que Lionel Groulx ne souscrit pas complètement à cette thèse en grande partie parce qu’elle se prêterait trop selon lui à une glorification du conquérant anglais. À ce propos, voir Lionel Groulx, “La Providence et la conquête anglaise de la Nouvelle-France.” Notre Maître le passé, tome 3 (Québec : 10/10, 1978) 125-164.
(35) Bourassa, “La langue gardienne”, Le Choc des langues 414.
(36) Legendre, Le Choc des langues 223.
(37) Narcisse-Henri Edouard Faucher de Saint-Maurice, “Honni y soit qui mal y pense. Notes sur la formation du franco-normand et de l’anglo-saxon.” (Montréal, Eusèbe Sénéchal et fils, 1892), Le Choc des langues 279. Dans ce même article, l’auteur démontre que les Anglais ont tant puisé dans la vieille langue de France que leur langue n’est, au fond, que du français déguisé : “Cessons donc, mes frères, d’écrire et de répandre le bruit que le Canadien français et l’Acadien parlent mal le français et que notre langue n’est qu’un patois. Contentons-nous de répondre, à ceux qui croient en ces stupidités, en leur affirmant que l’anglais n’est que du français déguisé…”
(38) Thomas Maguire, Manuel des difficultés les plus communes de la langue française adapté au jeune âge et suivi d’un Recueil de locutions vicieuses. Québec : Fréchette & Cie, 1841.
(39) Le Choc des langues 181-187.
(40) Au début des années vingt, une enquête est menée pour déterminer le degré d’infiltration de l’anglais dans le français canadien et pour mener une campagne de francisation. Les conclusions de l’enquête sont fort pessimistes, l’anglais ayant en effet envahi tous les domaines (familial, professionnel, religieux, etc.). Voir à ce sujet Le Choc des langues 429-433.
(41) Alexis de Tocqueville, Voyages en Sicile et aux États-Unis, Le Choc des langues 141.
(42) Paul Chamberland, “Le ‘joual’”. In Un Parti-pris anthropologique (Montréal : Parti-Pris, 1983) 233. Article publié originellement in Lettres nouvelles. (Paris, décembre 1966-janvier 1967) : 117-118.
(43) Chamberland 234.
(44) À ce sujet, consulter Lise Gauvin, “L’épopée du joual,” Parti Pris littéraire (Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 1975) 55-74.
(45) On lira à ce propos les deux beaux textes de Gaston Miron intitulés “Monologues de l’aliénation délirante” et “Notes sur le non-poème et le poème” dans L’Homme rapaillé (Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 1970) 58-60 et 122-130.
(46) Hubert Aquin, “Le joual-refuge,” Blocs erratiques (Montréal : Éditions Quinze, coll. 10/10, 1982) : 140.
(47) Lise Gauvin, La Fabrique de la langue. De François Rabelais à Réjean Ducharme. (Paris : Seuil, 2004) 255-294. Les pages qui suivent avaient été écrites avant la publication de l’excellent livre de Gauvin. Les recoupements étant inévitables, j’ai essayé le plus possible d’en rendre compte soit dans le corps de mon texte soit dans des notes.
(48) Gauvin, La Fabrique 265.
(49) Gauvin, La Fabrique 256.
(50) Alexandre Leupin, Barbarolexis : Medieval Writing and Sexuality, trans. Kate M. Cooper (Cambridge & London : Harvard University Press, 1989) 67 : “The falsigraphic poet, far from deploring his improper (vitiosus) use of language, revels in it : he turns linguistic defect or Babelized confusion into his writing’s endorsement and makes barbarolexis the jubilant fount of his poetics. In other words, he enshrines barbarousness as his only law; license then turns into licentiousness, an absolute vice with no other reference but its own (im)proper and profoundly damnable rule.”
(51) Michèle Lalonde, Défense et illustration de la langue québécoise. (Paris : Seghers, 1979) 28-30.
(52) On lira à ce sujet les propos de Michel Tremblay recueillis par Michel Arsenault dans un article intitulé “Mort le joual ? Pantoute !”, L’Actualité, 1er septembre, 1991.
(53) William Labov, Sociolinguistic Patterns. Philadelphia: University of Philadelphia, 1973.
(54) Pour un témoignage révolté contre ce genre de pratique, lire Roland Lorrain, La Mort de mon joual. Histoire incroyable d’un Canadien français décidé à parler bien. Montréal : Éditions du Jour, 1966.
(55) Jean Barbeau, Manon Lastcall et Joualez-moi d’amour. Montréal : Leméac, 1972.
(56) Gauvin a bien traité de cette question en se référant à un autre article de Labov dans La Fabrique 262-3.
(57) Aquin, “Le joual-refuge” 138 : “Je suis entièrement d’accord avec l’écart linguistique actuel entre la langue pratiquée au Québec et le français de France. Je n’ai jamais rêvé de supprimer cette distance, ni d’abolir la charge québécoise que véhicule notre français ; je me réjouis même que cette distance soit manifeste et que notre identité nationale ait une expression unique, reconnaissable.”
(58) Henri Bélanger, “Place à l’homme !”, Les Écrits du Canada Français #26 (1969) : 88 : “La langue canadienne-française, c’est tout ça. Mais ce n’est pas pour ça qu’il nous faut la parler. S’il nous la faut parler, ce n’est pas parce qu’elle peut être meilleure ou pire qu’une autre forme de français. C’est tout simplement qu’elle est la nôtre. Étant la nôtre, elle est en nous. C’est la forme de notre être. C’est nous-autres.”
(59) À ce sujet, lire Jean-Pierre Denis, “Glossolalie, langue universelle, poésie sonore,” Les Glossolalies, éd. Jean-Jacques Courtine, numéro spécial de Langages (septembre 1991) : 75-104.
(60) Réjean Ducharme, L’Avalée des avalés (Paris : Gallimard, coll. Folio, 1966) 337.
(61) “Ce qui manqué au Canada, c’est d’avoir une langue à lui. Si nous parlions huron ou iroquois, notre littérature vivrait…”. Octave Crémazie, Oeuvres complètes, 1882. Cité par Gauvin, Parti pris 56.
(62) Miron, “Situation de notre poésie,” L’Homme rapaillé 97.
(63) Les expressions entre guillemets sont extraites de divers poèmes qui figurant dans L’Homme rapaillé. On lira à ce sujet, G.-André Vachon, “Gaston Miron, ou l’invention de la substance,” L’Homme rapaillé 133-149.
(64) Miron, “Monologues de l’aliénation délirante,” L’Homme rappaillé 59 : “je refuse un salut personnel et transfuge/je m’identifie depuis ma condition d’humilié/je le jure sur l’obscure respiration commune/je veux que les hommes sachent que nous savons.”
(65) Voir Jacques Brault, Miron le magnifique. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 1966.
(66) Lalonde 19.
(67) Jean-Pierre Faye, introduction, Lalonde 5.
(68) Weinmann 314.
(69) On lira à ce propos Hélène de Billy, “Qui a donc tué le joual ? De Luc Plamondon à Denys Arcand, écrivains, chanteurs et cinéastes réinventent la langue. Chacun à sa manière,” L’Actualité, 1er septembre, 1991. Il serait bon de savoir si une enquête plus récente a été faite à ce sujet ;