Mondes indianocéaniques

Kissa y lé André ROBèR ? / Qui est André ROBERT ?

Un cafre fait un pas dans la poussière et dans le sang
Un pas aigre et hâtif
Frère, il a perdu l’huile noire de ses hanches
Et je l’entends crier :

 – J’ai la faim au ventre
Et la terre meurtrie se tord dans mon corps.

Jeanne Breze, L’ultime cri.

Alé di partou !

Comment parler d’une vie qui n’est pas la sienne et qui, nécessairement, nous échappe ? Comme André Robèr l’a dit : « Mon histoire, elle est à moi et elle m’obsède » (Keller 14). Pour écrire ce petit texte de présentation sur André Robèr, je dois faire ce que, justement, André Robèr n’aime pas : jouer… Je dois jouer à être lui, je dois faire de son histoire, mon histoire obsédante. Je dois reconstituer sa vie qui n’est pas la mienne, je dois jouer à fouiller, à retrouver dans ce qui a été écrit sur lui, par ses amis – mais encore dans ce qui a été écrit par lui (je parle de sa poésie), dans ce qui a été écrit grâce à lui (je parle de son travail d’éditeur) – tout ce qui parle de lui… Sans compter que, pour dresser ce portrait, il faut encore se pencher sur sa peinture, ses sculptures, ses émissions sur l’art qu’il présente à Radio Libertaire, etc. C’est que, pour se faire une idée de qui est André Robèr, il faut en éplucher des livres – sur lui, à lui, par lui -, il faut en regarder des images, il faut en écouter des cédés et des émissions !

Je dois donc jouer à être un autre, jouer à être lui, et me plonger dans la vie d’un homme né André Robert, en 1955, à la Plaine des Palmistes – à La Réunion donc – et arrivé dix-neuf ans plus tard dans la grisaille parisienne. Je joue donc : « j’ai vécu mon enfance dans la pauvreté. Mes parents étaient “colons” chez Carrère, un gros propriétaire de Saint-Benoît. J’ai arrêté l’école à la suite d’une 5e de transition. Après trois ans à l’École de l’Eau et de l’Électricité (EER) au Port, on m’a obligé à passer le concours EDF. J’ai quitté l’île en 1974, à mon corps défendant » (André). Quand commence la vie d’André Robèr ? À sa naissance, le 21 juillet 1955, ou à son départ de l’île, en 1974 ? C’est en effet quelques années après ce départ, après cette rupture, qu’il entame son initiation artistique et sociale… l’art étant la société, l’art étant une manière de s’engager contre une société, pour la société… art et engagement étant dans son parcours, comme dans son œuvre, indissociablement liés : « je » rencontre en 1980 les peintres de Barbizon et je découvre à ce moment-là que Courbet « a sauvé le Louvre pendant la Commune » (Blaine 1994 : 7). C’est donc à ce moment que je comprends que le Louvre (c’est-à-dire la culture) n’appartient pas qu’à eux (« eux », ceux qui m’ont « obligé » à passer le concours EDF et à quitter l’île « à mon corps défendant »), mais qu’elle m’appartient aussi, à moi. Je commence alors, en 1982, des études d’art plastiques qui se termineront par l’obtention, en 1988, d’un D.E.A. sur l’art dans la rue, l’art sur les murs.

Ces années 80 sont riches : il y a la découverte du continent, de sa vie, de sa culture, mais il y a surtout de nombreuses rencontres, qui sont autant de prises de conscience ; ces années marquent le début d’un engagement alter-…, libertaire et anarchiste. C’est donc à la suite de ces rencontres, à la fin des années 80, en 1986 pour être précis, que je crée pour la première fois : une œuvre sans titre, un portrait, une forme ou une ombre peinte sur du papier mâché, dans la porte d’un coffret électrique de l’EDF (ci-dessous)… EDF chez qui je travaille, et qui me mute en 1989 à Marseille. Tournant : « c’est là-bas que j’ai compris l’importance de ma langue, le créole, lorsque j’ai découvert la poésie contemporaine dans toutes les langues. J’ai alors décidé d’aider mon île et d’entretenir ma réunionnité en investissant le champ culturel : exposition, organisation de kabars, poèmes, travaux plastiques autour du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, peintures ayant trait au marronnage, etc. Un désir encore plus prononcé après avoir entendu un soir d’été 1999 de la part de métropolitains que la culture réunionnaise n’existait pas. J’ai alors créé les éditions K’A avec Carpanin Marimoutou comme directeur littéraire » (André).

technique papier mâché dans porte de coffret électrique

Sans titre, 50 x 50 cm, technique papier mâché dans porte de coffret électrique
1986 : première œuvre
(Robèr 1994 : 21)

 

Fonn’kozèr

Lorsqu’on se rend chez André Robèr, dans son atelier d’Aubervilliers, on s’aperçoit très vite que, chez lui, tout est… poésie. Avant même de passer le pas de la porte, avant même d’entrer dans son espace de vie, on peut découvrir – sur la porte d’entrée donc – un petit mot qui dit à peu près ceci : « Bien que beaux, mes yeux sont très fragiles. Veuillez ne pas fumer à l’intérieur s’il vous plaît ». Les fumeurs sont prévenus : André Robèr n’aime pas la fumée. Il n’aime pas ce qui est fumeux, ce qui cache derrière un nuage ce qu’il y a à voir, ce qui doit être vu… Et ce qui se donne à voir dans son atelier, ce sont des couleurs, partout : du rouge, du noir et du marron bien sûr, et puis aussi du vert, du jaune, etc. sur des toiles de jute, des gonis, des planches, des cartons, du papier, petit ou grand format, des tickets de trains, etc. Il n’y a pas de blanc : que de la couleur, partout, sur toutes les surfaces, sur tous les murs, dans tous les trous, dans tous les tiroirs et toutes les étagères.

En revanche, dans l’une des pièces de l’atelier, la plus sombre, la plus intime aussi, il y a moins de couleur, moins de lumière. Juste une petite ampoule qui sert à éclairer une étagère remplie de livres : ceux de sa maison d’édition, les éditions K’A – ceux de ses auteurs, mais les siens aussi. En visiteur impoli, on peut se permettre de piocher au hasard dans cette bibliothèque composée de livres neufs, destinés à d’autres. On se laisse alors happer par les mots, on découvre au hasard des pages « une volonté farouche / de rester debout / d’homme debout / d’homme loin des compromis / d’homme libre / d’homme de culture / d’homme cultivé » (Robèr 2002 : 31). Dans cette pièce soudainement éclairée d’une autre lumière, j’ai lu quelques lignes des Carnets d’un retour au pays natal, j’y ai aussi lu Lékritir lot koté la mèr… et maintenant, à chaque fois que j’ouvre l’un des recueils d’André Robèr, j’ai l’impression de me retrouver là, dans cette salle à Aubervilliers, qui contient le trésor des éditions K’A. Je suis libre, debout, face à l’étagère, et je découvre d’autres maux, toujours au hasard des pages ; André Robèr écrit : « Pour que mes lecteurs comprennent / L’état du pays natal / là quoi dort dans l’océan indien / plaque d’Afrique / tes enfants ont mal / ils regardent / impuissants / ce paradis artificiel » (Robèr 1998 : 39). La poésie d’André Robèr regarde en face la « soufrans » : celle de ne plus être dans le ventre du pays-mer, du « pays natal », celle de devoir écrire de l’autre côté de la mère, mais aussi celle de devoir voir, impuissant, d’ici, les déchirures de là-bas : « M » comme « MISèR », « K » comme « KORUPTiON », « R » comme « RELiZION » (36-37), tous les maux qui dénaturent l’île… Pourquoi André Robèr écrit-il ? Parce que, avoue-t-il encore, « L’appel du pays natal en cette fin de décennie est là / nécessaire il gueule en moi […] / pour dire merde à toutes les morales de bazard » (44), pour crier « Argard » (45), regarde !, « sak i rèv minm pa », « sak i gingn pi révé », « sak i rèv minm pi », « sak i oubli révé », « Mé / argard / osi / domoun / lé dobout / domoun / lé dobout / ek lespwar » (52-53).

Le poète (le fonn’kozèr, l’écrivain de fonnkèr), nous invite donc à regarder autour de nous, partout où il y à voir, au-delà des nuages de fumée, pour nous montrer ce qu’il met à nu : lui-même et les autres, dévoilant parfois outrageusement l’intimité des corps (je pense par exemple aux poèmes érotiques de Fonnkèr pou la po et de La fès an lèr), et surtout son île natale, la déshabillant de ses maux. Les titres de ses deux premiers recueils semblent donner les clés de son œuvre : Lékritir lot koté la mèr et les Carnets de retour au pays natal illustrent son obsession, celle de ne pas vouloir être, à cause de la distance, un spectateur impuissant de ce qui se passe là-bas ; celle de vouloir être, grâce à cette distance, un acteur singulier de la vie culturelle d’ici, pour là-bas.

Dans une performance, l’un de ses amis, le POETE affirmé Julien Blaine (2001 : 6), se demandait : « Comment sortir les mots de ma bouche ? » (7). Je ne suis pas sûr qu’André Robèr se pose cette question en ces termes… je crois que sa poésie ne veut pas seulement sortir de sa bouche, mais qu’elle veut sortir de son corps, tout entier, suinter de ses ports, pour aller s’amarrer aux rives d’un autre corps, celui de son île natale, où il retourne toujours par l’écriture, bien sûr, mais aussi par la sculpture, la peinture…

Tricopo si mon kor
kom lanrobaz si la tèr
lèr po ékri la pasé
vi vé mon k/yé
mi ékri ankor
pou la mémwar
rod amwin dosou la rak
la min lé la
li sava si papié
i fé rèv a mwin
konm papang kan li mazine in tang dann son bek

(Robèr 1998 : 11)

Homme(s) déchiré(s)

« Robèr ne sait pas peindre, c’est lui-même qui le dit ». Pourtant Robèr est peintre… André Robèr dit aussi : « Je peins des poissons quand j’en ai marre de peindre des hommes ! » (Znorko). C’est qu’il en peint des hommes ! Non pas des hommes bien portants, peints de pieds en tête, avec tous leurs muscles, leurs os, leurs membres, leurs cheveux et leurs poils. Mais des hommes différents, habités d’une vie autre que celle des trop bien formés des trop beaux arts. Je ne dirai pas qu’André Robèr peint des monstres. Non. Il peint, simplement, les hommes avec leurs faiblesses, leurs défauts, leurs manques. Il peint, pour reprendre une formule à Carpanin Marimoutou, « cela qui manque » (Marimoutou 1996) : un bras, une jambe, un œil, parfois les deux, comme pour les oreilles, une joie, une assurance, une confiance, un espoir. Ses hommes ne sont pas valides – pas plus que les poissons, morts, qui les accompagnent parfois – mais ils sont « amputés » (ci-dessous), défigurés, atrophiés… ou peut-être que non… Peut-être qu’ils ne sont pas atrophiés, mais différents. Oui, c’est cela, différent. Et ce bras, cette jambe, cet œil ou cette oreille, cette joie ou cet espoir qui manque ne sont, en fait, que la révélation d’une réalité autre, différente de celle qui se montre avec trop de complaisance sur les écrans plats de nos médias contemporains. Rien à voir donc avec le bien léché de la tévé, de la pub ou des magasines pipeules, mais tout à voir avec l’homme, sa chair, son corps, ses ambitions et ses désillusions. Les médias d’André Robèr – ses supports de communications – se trouvent partout où une vie a lâchement été abandonnée : dans des matériaux de récup’, des bouts de tissus, des bouts de bois, des bouts de papier, des bouts ou même des dos d’affiches, etc. Il est par ailleurs intéressant de constater que cette multiplication des supports que nous pouvons remarquer pour sa peinture, vaut pour ses fonnkèrs ; ils se donnent à voir dans des livres, bien sûr (je pense par exemple à Fonnkèr pou lo zié), mais aussi sur des t-shirts, des cartes postales, etc.

À partir de tous ces matériaux délaissés, André Robèr fabrique la vie, sa vie et celle des autres. Il est un démiurge, travaillant sur tout la singularité et la diversité de nos corps ; il est un démiurge, en ce sens où l’entend Césaire dans « maillon de la cadène » : c’est « avec des bouts de ficelle / avec des rognures de bois / avec tous les morceaux bas / avec tous les coups bas » (410) que Robèr fabrique la vie, qu’il bâtit un monde. Dans ce monde, ce qui est précieux, ce n’est pas la surface sur laquelle prend la vie, mais la vie elle-même. Ce qui est précieux, c’est le corps déchiré, abîmé, troué par ses propres orifices, bouches et sexes… Ce qui est précieux, ce n’est pas la misère de ces vies, mais c’est la vie qui se poursuit, qui s’affirme, malgré cette misère, malgré les manques. Ce qui est précieux, dit sa peinture, c’est de savoir se (re)trouver, se (re)construire, sur les ruines de ce qui a été abîmé…

Quand on regarde le travail pictural d’André Robèr, on peut penser à Munch, à ce cri qui déchire le visage d’un homme qui, lui-même, déchire l’espace de la toile où il se trouve, la faisant vibrer, raisonner au dehors du cadre. Les bouches sont toujours grandes ouvertes, les orifices aussi ; il y a des trous, des puits partout. Le spectateur ne sait plus très bien s’il est l’un de ses hommes, à qui il manque quelque chose, où s’il est l’un de ces poissons, qui se noie au côté des hommes…

André Robèr dit qu’il ne sait pas peindre, pourtant il est peintre… Il n’a pas recours à une technique précise, arrêtée, affinée, mais il a recourt à une pluralité de techniques – des techniques mixtes – qui donnent corps à une seule et même image : celle d’une forêt peuplée d’ombres, au milieu de laquelle, devenu acteur, le spectateur erre terrifié… Ses ombres étranges, ses formes jetées au pinceau, d’un geste vif, ou bien violemment lacérées au couteau, nous invitent à nous perdre : nous perdre au milieu de leurs cris, dans les gouffres qui sont creusés dans leurs visages et leurs ventres… Je me souviens m’être perdu, dans l’atelier d’Aubervilliers, dans une de ses séries, une de ses « tribus »… Sur une centaine de pages blanches, étaient lancés dans l’urgence, parfois en couleur, souvent en noir, autant de corps que de visages abîmés… J’eus alors l’impression de faire un étrange retour en arrière : d’entrer dans l’un de ces ventres, celui d’une mère, pour commencer une non moins étrange cohabitation. Autour de moi (devant moi, derrière moi, au dessus et au dessous de moi, à mes côtés), se dressait chacune de ces figures pour m’observer comme je les avais observées. À force de les courtiser, je me suis aperçu que, si elles étaient comme ça ces figures, c’était peut-être parce que, moi aussi, j’étais comme ça… Silencieusement, bien sûr, je me suis alors demandé ce qui pouvait bien me manquer, à moi… Si j’habite au milieu d’elles et qui leur manque à toutes quelque chose, c’est peut-être – ou même sans doute – parce qu’il me manque, à moi aussi, quelque chose… quoi ?

C’est là, je crois, toute la force des hommes déchirés d’André Robèr : à force de les observer et de les interroger, on finit par comprendre que ce qui nous y intrigue, en fait, ce ne sont pas leurs formes, mais le regard que l’on porte sur ces formes…

L’amputé

L’amputé, 30 x 48 cm, huile sur bois, 1998
(Marimoutou 1999 :17)

« Pou larg langaz »

André Robèr édite des livres, il édite des auteurs réunionnais, jeunes et moins jeunes, il édite avec le cœur ceux qu’il aime : un autre Robert, Robert Jean-Louis avec un « t », poète et romancier (je pense à Tramayaz et à Creuse ta tombe). Il édite des romanciers (je pense à Vativien de Daniel Honoré), mais surtout, il édite des poètes, tous contemporains, tous engagés pour une culture qui veut vivre, qui veut être lue et entendue : Axel Gauvin, Alain Armand, Patrice Treuthardt, Mikael Kourto, Babou B’Jalah, Carpanin Marimoutou, etc. Il édite des livres donc, pour que nous puissions lire nos maux, mais il édite aussi des albums, de la poésie lue, pour que nous puissions entendre les mots : ceux des mêmes écrivains précédemment cités, mais aussi ceux de Riel Debars, de Claire Karm, de Francky Lauret, de Louis Hery, etc. Et c’est sans compter la musique et ces albums faits de mots chantés : je pense à Kabarka de Antre-deux et Pagot, ou encore à l’album anniversaire fait pour les vingt ans de Ziskakan.

André Robèr édite donc avec le cœur, parce qu’il aime, mais il édite aussi – surtout peut-être ? – par nécessité : parce qu’il a entendu un soir d’été de 1999 que la culture réunionnaise n’existait pas. Par le biais des éditions K’A, il apporte des preuves : Kartié troi lète, Zordi & Kasé brizé, Kozman maloya, Kabarèr, Le Jalah, Fazèle, etc. sont autant de preuves de l’existence d’une culture réunionnaise authentique, singulière et originale, vivante et vivace. Et pour que le catalogue soit complet, il édite également des essais et des textes d’analyse qui viennent confirmer non seulement la force de cette production artistique, mais aussi de celle de la pensée contemporaine réunionnaise : Fonder une littérature de Louis Hery, Amarres de Françoise Vergès et Carpanin Marimoutou, les études sur la poésie et les nouvelles formes d’expression créole de Marie Josée Matiti Picard et de Frédérique Hélias, etc.

En somme, André Robèr édite, comme il est rappelé sur chacune des couvertures de ses livres, « pou larg langaz », pour ne pas se taire, pour « kozé » plus et plus fort que ceux qui ne voulaient entendre qu’un murmure là où il y avait, en fait, un grondement culturel. « Pou larg langaz » ne veut donc pas dire créer un langage – puisque ce langage existe déjà – mais signifie davantage le faire entendre, le diffuser, le perpétuer, pour faire vivre la culture qu’il véhicule… pour empêcher l’enlisement et l’oubli, pour faire en sorte que rien ne puisse l’arrêter, et surtout pour que personne ne puisse à nouveau dire que cette culture n’existe pas. Si André Robèr édite pour, il édite donc aussi contre : contre ces a priori négatifs qui voulaient faire croire qu’une chose n’existait pas, sous prétexte qu’elle n’était peut-être pas suffisamment visible. Maintenant elle l’est, et les éditions K’A apportent le témoignage de cette visibilité : la réponse aux propos tenus en 1999 est exemplaire, en ce sens où André Robèr ne s’est pas contenté d’une phrase vague ou évasive pour contredire son accusateur, mais il a multiplié les phrases… Chaque parution des éditions K’A est une réponse. Ce qui fait à ce jour plus d’une soixantaine de textes, écrits ou dits (sans compter ceux à venir…), qui correspondent à autant de preuves concrètes, palpables, qu’il y a effectivement et indéniablement une vie culturelle réunionnaise.

Ce qui est frappant dans ce parcours et dans cette démarche artistique – démarche de vie -, c’est qu’André Robèr ne se contente jamais de constater (que la culture peut, et doit lui appartenir, ou bien qu’« on » dit de la culture réunionnaise qu’elle n’existe pas, etc.), mais, que, en plus de constater, il s’active. Il fait, il crée, il investit tous les champs : la peinture, la poésie, les éditions… l’engagement artistique est social, c’est un engagement artistique et social sous toutes ses formes, et même (je me risque à prononcer ce mot) politique.

Pour tenter de répondre à la question posée plus haut : quand est né André Robert ?, il paraît plausible de dire que l’artiste – ou plutôt l’an-artiste André Robèr, sans « t », avec un accent grave (cf. Znorko) – est né de son départ, de sa rupture, de sa rencontre de deux couleurs, du rouge et du noir, de son arrivée sur le continent, dans cette autre France, celle de l’autre côté de la mer… peut-on parler d’un exil fécond ? Peut-on même parler d’un exil, tant La Réunion est présente dans toutes ses activités d’ici ? En tout cas, pour jouer encore une fois à être lui, je pourrais le citer à nouveau : « La mobilité m’a indirectement conduit à l’art, qui m’a permis d’estomper cette souffrance due au déracinement. La rencontre de l’autre et des autres m’a apporté beaucoup, l’ouverture au monde m’a permis d’avancer et d’apprendre à grandir » (André).