Résumé
Officiellement au service de la même cause qu’est l’intérêt public, la presse et les pouvoirs publics ne font pas bon ménage en Afrique francophone Noire. Et pour cause, d’autres enjeux les préoccupent qui foulent aux pieds cet intérêt public qu’ils sont censés servir. Le cas du Cameroun ici évoqué remet à l’ordre du jour l’incapacité des dirigeants africains actuels à manœuvrer efficacement face à des questions graves de paix et de souveraineté nationales. Comment peut-on dans un contexte où la stabilité nationale est en péril du fait de quelques forces occultes et vraisemblablement étrangères, tenter de museler le seul organe de presse qui s’investit à instruire les masses dans la défense de leurs intérêts ?
Prolégomènes
Divertir, informer et former ; telles sont, il me semble, les trois missions essentielles de la télévision et de la presse en général. Si une hiérarchisation de ces missions en termes d’apport au développement d’une société est peu probable, il convient cependant de reconnaitre que leur mise en musique va se complexifiant d’une mission à l’autre et que suivant le contexte social, une mission peut primer sur d’autres. Certes, je suis étranger au domaine de la presse. Je veux dire par là que je n’ai jamais ni pratiqué du journalisme, ni été à aucune écoles pour parler d’autorité de la chose. Mais en qualité d’observateur/consommateur de la presse et au nom de cette liberté qui me confère le droit d’émettre mon opinion sur une question quelle qu’en soit la nature, permettez que je partage avec vous cette analyse dont la pertinence peut justement émaner des faiblesses énoncées précédemment : nous le savons tous, certaines choses n’apparaissent que sur le regard du profane. Trop familier du fait, on s’en trouve aveuglé.
Cette mise au point faite, revenons à notre sujet. En effet, pris point par point, on réalise bien que le degré de complexité qui entoure l’accomplissement de chacune des missions de la télévision n’est pas le même. Les émissions de divertissement ayant pour vocation de faire passer le temps agréablement, détournent subtilement les téléspectateurs de leurs occupations et de leurs soucis quotidiens c’est-à-dire des sujets qui fâchent, pour susciter et entretenir chez eux de belles sensations qui leur procurent un sentiment de bien-être. La mission de divertissement semble à cet effet relativement aisée dans son exécution parce qu’elle expose moins le média à des attaques, acharnements ou tentatives de musèlement, et que par conséquent elle en exige moins de précautions. Il n’en est pas de même pour les deux autres missions qui, elles, mettent très souvent rudement le téléspectateur à l’épreuve de la réalité dont elles dévoilent les dessous plutôt peu agréables. Former dans le jargon audiovisuel, c’est développer au même titre que l’école les facultés mentales de l’homme ; c’est le doter d’un certain nombre d’outils qui orientent sa perception du monde et guident la défense de ses intérêts (individuels et collectifs) dans cette jungle que constitue l’humanité.
Dérivé de former par préfixation, informer c’est faire accéder à la connaissance des faits, c’est donner des renseignements à un public donné. On voit bien que l’une et l’autre de ces deux missions fonctionnent comme l’endroit et l’envers d’une même médaille : peut-on en effet former sans informer, sans révéler ? Certainement que non, et l’inverse est tout aussi vrai. Mais là n’est pas la question. Revenons à la complexité des missions de la télévision pour remarquer que former et surtout informer, parce qu’il s’agit de révéler, de lever le voile sur…, confèrent à la pratique de la télévision une complexité qui explique la propension de certains médias audiovisuels à privilégier le divertissement même dans un contexte où le peuple a besoin qu’on éclaire davantage sa lanterne. La complexité de ces missions naît du conflit d’intérêts que leur exécution génère inéluctablement : maintenu dans l’ignorance, le peuple est facilement malléable par une poignée d’individus qui, de par leurs positions de pouvoir, use et abuse de lui en toute quiétude. Éclairé, il défend ses intérêts face à ces prédateurs et l’affrontement est permanent. On comprend ici toute la pertinence de la réputation de quatrième pouvoir reconnue à la presse en général et à la télévision en particulier, reine des médias si on en juge par la domination de son audience. En fait, c’est à ses missions de formation et d’information que la presse doit cette réputation.
Il va sans dire que la presse est, de par ses missions fondamentales, une entité essentiellement dérangeante. A tel point qu’il n’est pas exagéré de dire qu’une presse qui ne dérange personne n’en n’est pas une. On comprend par ailleurs pourquoi les systèmes gouvernants sont systématiquement en guerre contre la presse dans ces sociétés où la prédation régit encore fortement les mœurs des gouvernants. Il n’est pas étonnant ni rare de voir des entreprises de presse se faire sanctionner dans de tels contextes, sous de faux prétextes généralement. Toutefois, si museler une presse pour maintenir le peuple dans l’ignorance des conspirations de ses gouvernants peut permettre à ces derniers de préserver leur trône, le faire dans un contexte où un ennemi commun et cagoulé frappe à la porte de la République et où on a besoin de la mobilisation de tous pour lui faire face, c’est se tirer soit même une balle sur son propre pied. C’est pourtant ce à quoi l’État du Cameroun s’est livré en suspendant Afrique Média.
Afrique Média : une télévision qui dérange
Si on ne peut jusqu’ici mettre un visage précis sur les activistes de Boko Haram au Cameroun, il va de soi que ce sont des batailles de succession à la tête de l’État qui se jouent. Certains assoiffés du pouvoir et adversaires du régime en place ayant jugé bon de le renverser autrement que par la voie/voix des urnes. Heureusement pour ce régime, le peuple dans son écrasante majorité, pour ne pas dire dans sa totalité, ne partage pas cette logique même s’il en a certainement assez d’être gouverné par un système vraisemblablement atteint de cleptomanie et qui, depuis plus de trente ans déjà, a largement fait la preuve de son inaptitude à le conduire vers des lendemains qui chantent. Dans un contexte international en crise où, suivant la logique même de la jungle, les grandes puissances s’arrangent à déstabiliser les plus faibles pour préserver leur équilibre national chancelant, il n’est pas à exclure que l’ennemi véritable du Cameroun, la force exogène pour reprendre l’autre, soit une de ces puissances menacée dans son équilibre interne.
La démarche déstabilisatrice est bien connue : on commence par diaboliser le chef d’État en place afin de lui mettre à dos son peuple ; on orchestre ensuite une rébellion interne qu’on met au petit soin; ce qui prépare l’État cible à cet embrasement qui justifiera par la suite une intervention étrangère sous la bannière d’une prétendue communauté internationale agissant en véritable cheval de Troie. C’est alors l’occasion d’évincer ce gouvernant et de mettre à sa place un autre qui, même quand il aurait reçu le consentement populaire, se sentira à jamais redevable envers ceux qui ont manigancé son élection et dont il est conscient que sa chute peut également venir. C’est ainsi que nombre de dirigeants africains et certainement d’ailleurs gouvernent dans le chantage : ils doivent satisfaire des attentes extérieures, quitte à mettre en péril les intérêts de leurs propres pays. Leur pouvoir en dépend. Et la duperie dure jusqu’au jour où quelques velléités d’émancipation lui traversent l’esprit et se matérialisent dans ses actes. Le cycle reprend à zéro et on l’évince à son tour.
La position actuelle du peuple camerounais, il me semble, c’est qu’il vaut mieux rester éternellement sur la gouvernance d’un régime qui peu à peu consolide sa souveraineté plutôt que de faire l’expérience d’un nouveau chef dont on n’aura pas contrôlé l’ascension politique. C’est une philosophie de sage qui consiste à ne pas lâcher la proie pour l’ombre, à préférer le moindre mal au pire. C’est la marque d’une certaine maturité de ce peuple. Et cette maturité, le peuple camerounais le doit en grande partie à ces médias qui ont su remplir leurs missions de formation et d’information ces dernières années en dévoilant les dessous de l’instabilité en Afrique comme ailleurs.
Afrique média : une arme redoutable contre Boko Haram
Aussi récent soit-il dans le paysage audio-visuel camerounais et africain, Afrique Média joue largement sa partition dans le processus de maturation des peuples africains. Dans un contexte comme celui que connait le Cameroun, c’est même le média qui joue le mieux le rôle qui doit être celui d’un média dans de telles circonstances : informer, mais surtout former car en temps de guerre, il me semble qu’il n’y a rien de mieux pour un médias qui se veut tel que de préparer, par tous les moyens possibles s’il le faut, son peuple à la défense de ses intérêts. Ce rôle, Afrique Média l’a jusqu’ici joué avec un succès qu’on ne peut lui contester; en témoigne sa forte audience en si peu de temps, une audience si exponentielle qu’elle n’a pas manqué de heurter la fierté de certains médias concurrents… Et son succès auprès des masses populaires, Afrique Médias le doit à plusieurs facteurs : son avant-gardisme, sa ligne éditoriale mêlée à la virulence de son ton et, enfin, sa pleine conscience à la fois de la menace qui plane sur le Cameroun et de sa mission en tant que médias dans un contexte pareil.
Au sujet de son avant-gardisme, Afrique Média a, dit-on, dérogé aux règles comme celles qui régissent la durée d’une émission et la composition d’un panel, des règles auxquelles les autres médias se plient parfois plus par académisme ou par conformisme aux standards occidentaux que par souci d’efficacité. En effet, pour mieux inoculer les germes d’autodéfense aux peuples qui en a besoin dans un contexte de guerre, cette chaine n’a pas hésité à étendre sur quatre heures, voire plus, des émissions de débat qui ailleurs durent à peine une heure et se terminent en queue de poisson sous le courroux à la fois des panélistes et des téléspectateurs insatisfaits. Par ailleurs, le jeu consistant à libérer le modérateur d’un débat de la neutralité et de la mesure qui lui imposent une certaine retenue en en faisant, lors du débat prochain, un simple panéliste plus ou moins libre de toute contrainte déontologique et donc de ses propos, relève d’une stratégie de combat très astucieuse. Des pratiques innovantes et soutenues par un contexte de crise que les puristes, éternels adversaires du changement et finalement du progrès, ne peuvent supporter. Sa ligne éditoriale , axée sur la célébration du panafricanisme et la mise en gardes des forces déstabilisatrices de l’Afrique tapies dans l’ombre, ainsi que sur la déconstruction d’un ordre mondial régi par un capitalisme génocidaire , le tout dans une tonalité on ne peut plus virulente, est tout aussi efficace et fort à propos dans le contexte de guerre que traverse le Cameroun.
Le pouvoir de la communication en temps de guerre n’est plus à démontrer. Et quand des mic mic men, des défenseurs conscients ou non de l’ordre colonial brandissent la menace de suspension de ce média en prétextant son non-respect des codes du métier, c’est qu’ils ignorent ou feignent d’ignorer qu’en temps de guerre le contrôle des idées et donc des masses est essentiel, et qu’à cette fin utile, tous les moyens sont bons ; que la préservation du code moral d’aucune profession ne mérite qu’on laisse massacré ne serait-ce qu’une seule vie humaine. C’est ignorer ou feindre d’ignorer qu’en temps de guerre la presse cesse d’être un simple moyen d’information et de formation pour devenir une arme de guerre redoutable. Il faut dire en effet que dans la presse africaine, comme dans les autres domaines d’ailleurs, la sclérose inhérente à une extraversion morbide des mentalités pousse à appliquer sans jamais daigner les questionner pour les contextualiser des théories importées dès lors que celle-ci portent l’estampille des écoles occidentales.
Par l’adaptation de ses programmes et de ses pratiques aux circonstances actuelles, Afrique Média démontre qu’il prend non seulement la pleine mesure de la menace de déstabilisation qui pèse sur le Cameroun, mais aussi des enjeux et de sa mission en tant que médias. Il ne me semble pas qu’on puisse en dire autant des autres médias. Comme s’il n’y avait rien de nouveau sous le soleil, ils n’ont apporté aucun aménagement à leurs programmes habituels. Cela dit, autant le discours et le ton qu’utilisent Afrique Médias peuvent être inappropriés dans certaines circonstances, autant ils se justifient pleinement et sont même salutaires pour le Cameroun en ce temps de crise où il faut maintenir le peuple en alerte maximale, en l’instruisant notamment sur les dessous de la gouvernance mondiale. Nul doute que cette chaine, par ses méthodes « peu orthodoxes », aura déjoué certains complots qui se tramaient contre le Cameroun dans l’ombre. Nul doute que son existence quelques années plus tôt aurait permis aux État africains comme la Côte d’Ivoire, le Mali, la Libye… de résister et même d’échapper à la déstabilisation extérieure déguisée en rébellion interne. Nul doute que cette chaine constitue pour les ennemis du Cameroun un obstacle majeur. A ce titre, la menace de sa fermeture par le Cameroun est une grossière erreur.
Maintenir le peuple dans l’ignorance des batailles souterraines de sa gouvernance à un moment aussi critique n’est pas qu’une erreur de stratégie, c’est un suicide. A telle enseigne qu’on peut se demander si ceux qui tentent de museler cette chaine jouent pour le Cameroun ou pour l’ennemi. Suspendu du paysage médiatique camerounais, Afrique Média continue fort heureusement d’émettre au Cameroun depuis le Tchad où la chaine se serait installée. Aussi les Camerounais continuent-ils de s’abreuver à bonne source. Pour combien de temps encore ? Difficile de le savoir. Et même si cette chaine venait à disparaitre totalement, elle aura le mérite d’avoir réussi, en quelques années seulement, à secouer les consciences des masses populaires africaines en s’attaquant avec virulence à des sujets essentiels mais jusque-là plus ou moins tabous de sa gouvernance tels que le franc CFA, les accords de partenariat franco-africain, la longévité des dirigeants africains au pouvoir, la supercherie de l’ordre mondial actuel, la démission des Africains face à leur destin…
Sur le plan professionnel, elle a le mérite de susciter des débats sur la pratique traditionnelle de la télévision dont elle transgresse volontiers certaines règles : quel modèle de télévision pour une société en crise ? Peut-on continuer à faire la télévision comme avant dans un contexte de déstabilisation par un ennemi invisible de surcroît ? La « rigueur déontologique » a-t-elle encore sa place lorsqu’il s’agit de préserver des vies humaines? L’Afrique est-elle condamnée à suivre les canons occidentaux même dans la pratique de la télévision ?
Notes:
1– Même si dans le cas d’espèce il faut reconnaitre que le régime en place a depuis fort longtemps perdu le soutien réel du peuple et que son maintien à la tête de la république est tout sauf mérité. Face à une opposition qu’il a su décrédibilisée par des mécanismes qui parfois heurtent les règles politiques, il s’est vu reconduire aux affaires depuis plus de trente ans sans jamais réellement réunir les arguments de cette reconduction. A l’image du système scolaire de la république dont la médiocrité fait qu’un apprenant peut être le premier de sa classe avec moins de 10/20, on peut dire que l’arène politique camerounaise a généralement offert au régime en place le moyen de se faire élire sans avoir les compétence nécessaire pour gouverner le Cameroun. 2– C’est à juste titre qu’Henriette Ekwe estime que « la ligne éditoriale d’Afrique média est celle de l’avenir de l’Afrique », et que Banda Kani affirme qu’« humaniser les relations entre les peuples » en est le projet.
3– Notamment dans le domaine de l’industrie du médicament. 4– Rappelons qu’une déclaration de la troisième personnalité de la République faisait état de ce que l’ennemi a infiltré le système en place.