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Thaïs de Massenet au Capitole de Toulouse – Comment faire un Spectacle Somptueux à partir d’une Histoire Ringarde

THAÏS DE MASSENET AU CAPITOLE DE TOULOUSE

COMMENT FAIRE UN SPECTACLE SOMPTUEUX À PARTIR D’UNE HISTOIRE RINGARDE

C’est le challenge réussi par Stéphano Poda, véritable homme-orchestre, qui réalise à la fois la mise en scène, les décors, les costumes, les lumières et la scénographie.

Il s’appuie sur des chanteurs exceptionnels, un chef d’orchestre au niveau, des chœurs et un orchestre au sommet.

Reprenons successivement toutes les composantes de ce succès.

L’Histoire

Le livret de Louis Gallet d’après un roman d’Anatole France, raconte une histoire tout à fait démodée : le conflit entre des amours sacré et profane, un moine cénobite cherchant à convertir une hétaïre vouée au culte de Vénus.

En résumé, « un prêcheur cherche à repêcher une pécheresse dans le péché » …

(formule utilisable dans les écoles de diction).

On suit l’évolution psychologique opposée des deux protagonistes, le moine Athanaël parvenant à convertir la courtisane Thaïs, dont il tombe finalement amoureux, doutant alors de sa propre foi.

Pour une jeune personne du XXIème siècle, c’est une histoire difficile à comprendre, la création de l’opéra remontant à 1894.

Elle n’est pas faite pour séduire les foules.

Il fallait donc beaucoup de mérite et d’inventivité pour imaginer et réussir un spectacle de très haut niveau, capable de vous scotcher à votre siège pendant plus de 3 heures.

C’est au Teatro Regio de Turin que Stephano Poda a créé cette mise en scène de Thaïs en 2008.

La musique de Massenet revenant quelque peu en grâce, elle a été reprise en ouverture de la saison 2025/2026 de l’Opéra national du Capitole de Toulouse.

C’est à la dernière représentation du 5 octobre en matinée, que nous avons eu le plaisir d’assister.

Une Mise en Scène « Magique »

D’après Emmanuel Gaillard : « elle est d’une cohérence dramaturgique et d’une perfection visuelle à couper le souffle. Par sa somptueuse beauté plastique intemporelle et raffinée, la scénographie contribue puissamment à la magie de ce spectacle ».

C’est le mot de magie qui caractérise l’impression ressentie par le spectateur, à cent lieues des mises en scène minimalistes et revisitées que l’on s’attend à subir, d’autant plus que le sujet s’y prêterait bien.

« Au sein d’un grandiose décor blanc, les protagonistes évoluent dans une gestuelle stylisée avec des entrées et sorties d’une inexorable et puissante lenteur qui nous plonge dans une fascination quasi hypnotique. Le ton est donné dès la première image, poignante : un Christ en croix est hissé depuis le sol jusqu’à la verticale, avec à ses pieds une quinzaine de personnes implorantes et quasiment nues. Tel un chœur antique muet, ce groupe représente de façon très physique et dans des gestes lents et intenses une humanité aux prises avec des passions contraires.

Cette lenteur poussée presque à l’extrême, vient symboliser la vie des moines dans un monde de méditation, où tout geste, toute parole, sont scrupuleusement pesés et filtrés.

L’acte II s’ouvre sur le boudoir de Thaïs, représenté par un immense mur blanc orné des attributs de sa beauté : yeux, oreilles, seins, fesses, et où se font jour son angoisse devant sa solitude, la perspective du déclin futur de sa splendeur et le désir d’une vie éternelle. L’arrivée d’Athanaël et la force de sa proposition de rédemption par la foi vont la bouleverser, et lors de la célèbre méditation pour violon et orchestre, sa conversion est symbolisée par la descente des cintres d’une vingtaine de statues enserrées dans un filet, métaphore des liens qui enferment. »

 La durée de ce spectacle en 3 actes et 2 entractes est de 3 h 10.

D’aucuns pouvaient s’inquiéter d’une telle longueur, surtout si la mise en scène avait été traditionnelle. Or on se retrouve à la fin du 2ème acte sans avoir vu le temps passer. Tous les heureux auditeurs/ spectateurs restent à leur place dans l’attente du dernier acte, captivés par le déroulement de l’opéra.

Ajoutons que la projection du texte chanté en français au-dessus de la scène, aide à la compréhension et au suivi de l’action.

« A l’acte III, la traversée du désert de Thaïs et Athanaël est accompagné par des mains ouvertes et implorantes, qui crèvent le décor blanc. L’ultime duo de l’ouvrage, où Thaïs va rendre son dernier soupir, est d’autant plus déchirant que les interprètes sont de tout premier ordre. »

Des Interprètes de Premier Ordre :

La salle fit un triomphe à la soprano américaine Rachel Willis-Sorensen, qui s’est affirmée comme une grande Thaïs, grâce à une technique exceptionnelle lui permettant de gérer un ambitus large et des aigus puissants, tout en maîtrisant la prosodie française.

Son physique d’hétaïre mûrissante convient parfaitement au thème de sa méditation sur la fragilité de la beauté et son devenir temporel…

La puissance dramatique de son soprano est peut-être un peu trop généreuse pour un rôle qui nécessite une certaine fragilité.

Enfin, pour Olivia Kahler, la voix de Rachel Willis-Sorensen, est aussi large que longue, aussi digne que sensuelle…

Face à elle, le baryton grec Tassis Christoyannis est tout simplement époustouflant.

« Je ne chante pas Athanaël, je suis Athanaël », comme il le déclare dans un entretien récent. Membre de l’église orthodoxe grecque, il s’identifie à son personnage, à ses tourments humains et spirituels, qu’il nous communique avec un naturel convaincant.

Il maîtrise parfaitement le français, et son timbre de bronze est un régal pour l’oreille.

S’il fallait désigner un vainqueur aux applaudissements, c’est lui que nous aurions désigné pour la séance du 5 octobre…

 

Le reste de la distribution est à l’avenant, il n’y a pas de maillon faible, comme d’habitude, dans la distribution du Capitole de Toulouse.

Il faut citer Nicias, l’ami de Athanaël, chanté par le ténor français Jean-François Borras, Palemon, solide Frédéric Caton, et Albine, au mezzo velouté, par Svetlana Lifar.

L’Orchestre et les Chœurs

C’est Hervé Niquet qui dirige les Chœurs et l’Orchestre National du Capitole de Toulouse.

Spécialiste du baroque et des grands romantiques français de la fin du XIXème et début du XXème, le chef français a réalisé une prestation équilibrée et raffinée, avec une totale maîtrise des passages dramatiques, qui s’accorde parfaitement à la lenteur volontaire de la mise en scène.

L’ensemble Chœur/Orchestre est somptueux de couleur et de poésie, mettant en valeur la magnifique musique de Massenet, qui, ne l’oublions pas, demeure l’un des protagonistes essentiels du drame.

Nous terminerons en citant un grand soliste, Chin-Jan Ying, le premier violon, qui joue avec grâce et brio la célèbre méditation de Thaïs, sommet et symbole de l’œuvre de Massenet.

Au premier rang, de gauche à droite, la distribution de Thaïs le 5 octobre 2025 :

Albine – Svetlana Lifar – soprano

Crobyle – Thaïs Raï-Westphal – soprano

Nicias – Jean-François Borras – ténor

Thaïs – Rachel Willis-Soerensen – soprano

Chef d’Orchestre – Hervé Niquet

Mise en Scène, Décors, Costumes, Lumières, Chorégraphie – Stefano Poda

Athanaël – Tassis Christoyannis – Baryton

Myrtale – Floriane Hasler – mezzo-soprano

La Charmeuse – Marie-Ève Munger – mezzo-soprano

Palemon – Frédéric Caton – basse