Chroniques Mondes sud-américains

A la Recherche des Cousins Italiens émigrés au Brésil – Le Combat de ma Mère Emma Lui

  Les Faits :  Le 09 novembre 1891, le vapeur “Solferino” accoste au port de Santos, état de Sao Paulo, Brésil. En descendent Andrea LUI, 46 ans, son épouse Teresa 40 ans, née Redolfi, et leurs 6 enfants, l’aîné Luigi 18 ans, Emma 16, Giovanni 11, Giuseppe 9, Zanaïde 6 et Zeffiro 4.

Ils viennent tous de Schivenoglia, petite commune située au bord du Pô, entre Mantova et Verona. Comme beaucoup d’Italiens à cette époque, et poussés par la pression démographique et le manque de travail, ils ont cédé aux sirènes publicitaires qui leur promettaient le paradis au Mato Grosso. Ils y arrivent plein d’illusions, et découvrent rapidement la dureté da la vie des immigrés qui sont venus remplacer les esclaves noirs, suite à l’abolition récente de l’esclavage au Brésil en 1888.

Mon grand père Umberto naît vraisemblablement en septembre 1893, 7ème enfant de Andrea et Teresa LUI. Il ne sera déclaré à la ville la plus proche, Araraquara, que le 4 janvier 1894. On n’allait pas à la ville tous les jours…

Il me racontait que, avant d’aller se coucher, dans les cabanes qui leur étaient affectées, ils devaient battre les draps de lit avec des bâtons pour en chasser les serpents…

La vie était dure, et après avoir honoré son contrat, mon arrière grand père décide en 1913 de retourner en Italie. Il est alors âgé de 68 ans, il veut être enterré dans sa terre natale, ce qui adviendra le 29 juillet 1916.

Mais tous les enfants ne les accompagnent pas. Les 2 aînés Luigi et Emma se sont mariés, ils ont épousé un frère et une sœur Lelio et Dertulla Gorni, natifs de Revere, commune proche de Schivenoglia. Zanaïde reste aussi au brésil.

Luigi et Emma ont des enfants nés au Brésil. Emma en a eu 2 avant de décéder en 1909. Son mari Lelio va se remarier et aura 5 autres enfants.

Teresa Lui née Redolfi, mon arrière grand-mère

Umberto ne reverra plus jamais son frère aîné Luigi ni les enfants et descendants de Luigi et Emma.

C’est ainsi que mon grand père Umberto, de retour en Italie, va être engagé dans la première guerre mondiale, où il sera gravement blessé à la bataille de la Piave en 1917.

LE XX éme SIECLE

La famille Lui est une famille de paysans. Avec l’argent économisé au Brésil, elle acquiert une maison à Schivenoglia, maison que je découvrirai en 1953 lors d’un premier voyage en Italie. J’aurai l’occasion de rencontrer 2 des frères de mon grand-père, Giuseppe et Giovanni.

1952/1953 Corte Bollina à Schivenoglia, la propriété Lui. Au fond à gauche Giuseppe Lui

On s’écrit peu ou pas, peu à peu les liens se distendent, et les relations cessent entre les « Italiens » et les « Brésiliens ».

En 1931, poussé par des raisons politiques et économiques, mon grand père Umberto, son épouse Gisela, et leur fille Emma née en 1923, s’expatrient et rejoignent à Toulouse des cousins Lui qui s’y sont déjà établis.

Umberto Lui, à son arrivée en Italie, mon grand-père

Violemment antifasciste, il avait coutume de dire que sa patrie était le pays qui lui permettait de travailler et de nourrir sa famille. Il avait aussi compris que l’instruction était un élément essentiel pour réussir dans la vie et ne pas rester « humble »…

C’est ainsi qu’il poussera sa fille Emma, ma mère, déjà douée pour les études, à acquérir un maximum de connaissances grâce à l’excellence du système éducatif français dans les années 30.

Arrivée en France en 1931, à l’âge de 8 ans, et ne parlant pas un mot de français, ma mère obtiendra le prix d’excellence un an plus tard dans sa classe d’âge.

Et les Brésiliens ? Umberto en parle quelque fois à sa fille, à qui il a donné le nom de sa sœur aînée, Emma, tout comme il appellera Luigi son fils né en 1932 à Toulouse. Il évoque leur souvenir, sait qu’il ne les reverra jamais, mais fait promettre à sa fille de tout faire pour les retrouver.

Umberto disparaît en 1966.

En 1976, mon père, André Séguéla prend sa retraite, il se lance dans les recherches généalogiques, ma mère lui emboîte le pas et part à la recherche des « Brésiliens »

24 ANNEES DE RECHERCHES

Si la France est un pays bien organisé où depuis l’Edit de Villers Cotteret en 1539, pris par François 1er, il est possible de remonter jusqu’à cette époque pour les gens du peuple, l’Italie est plus difficile d’accès, d’autant plus que toutes les archives concernant ma famille ont été détruites lors des guerres de libération de l’Italie contre l’Autriche.

Aborder le Brésil est encore plus complexe, ma mère va vite s’en rendre compte…

Dans un premier temps elle envoie un dossier au Consulat d’Italie à Toulouse.

Echec ! Le sujet n’est pas jugé prioritaire

Puis elle écrit à l’ambassade d’Italie. Deuxième échec.

Elle tente ensuite l’ambassade d’Italie à Sao Paulo….Troisième échec….

Et le temps passe…

Elle a enfin l’idée d’écrire à la mairie d’Araraquara, ville où la naissance de mon grand père a été déclarée, nouvel échec.

Un voisin intelligent, professeur d’histoire, et surtout lusophone, lui propose de traduire son dossier en portugais.

Un premier courrier est envoyé à la mairie d’Araraquara. Nous sommes en 1999. Pas de réponse.

On arrive en 2000, en désespoir de cause, ma mère renvoie un 2 éme dossier à la même mairie. Cette obstination va finir par payer, et, oh miracle, elle reçoit début 2000 une grosse enveloppe recouverte de timbres brésiliens :

Eder Sidival Gorni, cousin brésilien, vient de renouer le contact, après quasiment un siècle de silence.

L’ETINCELLE D’ARARAQUARA

Que s’est-il passé à la mairie d’Araraquara (ville de 650 000 habitants en 2000) ? Une fonctionnaire brillante de la mairie a regardé le dossier, reconnu le nom de Gorni, qui ne lui était pas inconnu, et l’a transmis  à un membre de cette famille Gorni, un cousin, qui n’avait pas jugé bon de donner suite….Quand le 2ème dossier est arrivé, comprenant le sort du premier, elle l’a transmis à un autre Gorni,  Eder Sidival , avocat de son état, qui fut ravi de découvrir qu’il avait des cousins français, et qui envoya à ma mère, avec une lettre touchante, des photos et des arbres généalogiques, ce qui nous ouvrait de nouveaux horizons….

Eder Sidival Gorni est le petit fils de Lelio Gorni et de Emma Lui, et le fils de Amerigo Gorni et Ema Falco : c’est mon petit cousin.

Inutile de vous décrire la joie de ma mère, aussitôt suivie par une crise de larmes, « je suis trop vieille, je ne les verrai jamais ».

Fort heureusement, mon épouse Marie-Claire se trouvait à Toulouse le jour de l’arrivée du fameux courrier. Avec l’esprit de décision qui la caractérise, elle lui fit la promesse de l’accompagner le plus vite possible à la découverte des cousins brésiliens. Ma mère avait alors 76 ans.

LE VOYAGE AU BRESIL – LA RENCONTRE

Nous passâmes alors à l’organisation du voyage, qui devait avoir lieu en janvier 2001.

Nous partîmes à cinq : ma mère, mon fils Raphaël et son épouse Virginie, enceinte de leur premier fils, Charles, ma femme et moi.

Qui allions nous découvrir à l’arrivée ? Nous avions bien quelques photos de la famille, et quelques textes en portugais, mais surtout beaucoup de questions latentes…Mais quand on descend de grands voyageurs, on dépasse ce genre de question et on se jette à l’eau…

Eder Sidival Gorni et sa proche famille habitent à Sao Carlos, petite ville de 300 000 habitants, à 250 kilomètres de Sao Paulo, sur un plateau à 800 mètres d’altitude, ce qui atténue légèrement la chaleur.

Nous débarquons enfin à l’aéroport de Sao Paulo, et là, nous découvrons une grande banderole : « Bienvenue à nos Cousins Français » portée par une vingtaine de personnes : nos cousins brésiliens !

Grandes Embrassades, beaucoup de mots de sympathie échangés, eux en portugais et en anglais pour les plus jeunes. Ma mère essaie l’italien, mais à part Ivany la femme d’Eder, personne ne le parle plus. La langue, ce sera un de nos problèmes, que nous surmonterons grâce à la bonne volonté de tous, mais qui provoquera parfois quelques malentendus !

Bien sûr on s’observe, tu as le menton de l’oncle Luigi, toi le nez de Luizim, etc

C’est fou les ressemblances, réelles, que nous découvrons : nous sommes bien de la même famille, c’est un peu comme si nous nous retrouvions après une séparation de quelques mois !

Pour cette première visite, nous passerons une semaine à Sao Carlos, dans la villa enchanteresse de nos cousins, entourée d’un jardin rempli d’orchidées cultivées par Eder, dénommée la Chacara.

Et coup de chance inespéré, le weekend suivant sont organisées les noces d’or d’un autre cousin, qui a invité toute la famille Gorni, soit 400 personnes venues de tout le Brésil, sous une halle surchauffée à Dobrada. Une aubaine qui va me permettre de remplir tout un cahier de renseignements généalogiques, en questionnant bien sûr les plus vieux.

Six mois plus tard nos cousins brésiliens débarquaient en France, pour visiter Paris, Bouillargues et Toulouse. Depuis nous nous voyons aussi souvent que possible, ce qui nous a donné l’occasion de découvrir le Brésil accompagnés par nos cousins.

Ma mère y est revenue avec nous en 2004, pour visiter le Minas Geraïs, les Chutes d’Igaçu et Sao Paulo, à l’âge de 81ans. Elle aura fait 2 voyages au Brésil avant de s’éteindre en 2008. Elle aura tenu sa promesse et retrouvé les cousins. La ténacité n’était pas la moindre de ses qualités….

Araraquara janvier 2001 de droite à gauche : Eder, Roger, Ivany, Marie-Claire, la cousine Tour de France, Raphaël, Emma, Virginie, l’autre Ivany et son mari, devant leur maison.

La Chacara janvier 2001 Eder, Emma, Ivany et Marie-Claire.