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Avatar, hélas !

Dans un article récent du Monde (27 janvier 2010), Pierre Desjardins, professeur dans un CEGEP québécois, présente une judicieuse analyse de l’idéologie militariste du film événement de ce début d’année, qui a déjà fait onze millions (!) d’entrées en France (chiffre des six premières semaines). Depuis l’effondrement de « l’arbre-maison » qui évoque celui du WTC de New York jusqu’à l’apparition finale d’un dragon volant salvateur, image de l’aigle américain, tout est fait pour convaincre le spectateur que la guerre à outrance est juste pourvu qu’elle soit défensive. La transformation des paisibles Na’vi, qui versaient des larmes de crocodile chaque fois qu’ils devaient tuer un animal à la chasse, en guerriers assoiffés de sang passe ainsi comme une lettre à la poste. Les bons soldats se battent à la loyale, avec des arcs, des flèches et des poignards, tandis que les méchants, loin de se contenter de leurs gros calibres, dévastent les forêts au napalm et vont même jusqu’à tenter d’utiliser des armes chimiques. Heureusement, tout finit bien qui doit bien finir : les bons sont vainqueurs et ils expulsent manu militari les quelques envahisseurs qui ont survécu au carnage.

Le simplisme du film ne se limite pas à une idéologie exaltant les guerres justes. La pauvreté de l’intrigue est consternante. Il est vrai que, avec des personnages taillés d’une seule pièce, bons ou méchants, et quand on sait à l’avance que les premiers finiront par gagner, le suspense est nécessairement limité ! Malgré tout, le réalisateur ne nous épargne pas les scènes de bataille qui deviennent rapidement fastidieuses non seulement parce que l’issue en est toujours prévisible mais encore parce que les joujoux guerriers – qu’il s’agisse des grosses machines style « transformer » ou des monstres en tous genres – ont déjà été vus, à quelques variantes près, évidemment, dans d’autres superproductions américaines.

Le petit vaudeville sentimental ne suscite pas davantage d’intérêt : la princesse extraterrestre et le mercenaire au cœur gros comme ça réincarné dans l’avatar auront beaucoup d’enfants, c’est certain.

On se demande à quel public ce film est destiné : pas aux enfants parce qu’il est trop violent ; pas aux adultes parce qu’il est trop bêta. On ne voit que les adolescents – qui constituent le public habituel des films de ce genre – comme cible évidente. Comment expliquer alors le succès démentiel du film ? Certes, la promotion a été massive mais cela ne suffit pas à expliquer un nombre d’entrées aussi astronomique. La raison déterminante ne peut tenir qu’à deux choses : 1) l’aura dont bénéficie le réalisateur, James Cameron, depuis le succès mondial de Titanic (record absolu au box-office en France avec 21 millions d’entrées) ; et surtout, à notre avis, 2) le fait que le film a été conçu pour être regardé en relief, donc dans une salle de cinéma, ce qui s’avère fortement dissuasif pour les adeptes du téléchargement illégal, friands a priori des « films d’ados ».

Cela étant, les spectateurs qui ne sont pas amateurs de ces films-là ne sortiront pas nécessairement furieux de la projection, d’une part parce que le film n’est jamais vulgaire et, d’autre part, parce qu’il fournit malgré tout un certain plaisir esthétique : cette forêt et ses longilignes habitants sont plutôt agréables à regarder. Quant aux bons sentiments qui dégoulinent : une fois de temps en temps, il n’y a pas de quoi se mettre en colère… Par contre, pour peu qu’on ait eu l’occasion de visionner quelques films démontrant la technique« 3D » – par exemple au Futuroscope de Poitiers ou à la Géode, à Paris – l’usage qui en est fait dans Avatar apparaîtra d’une modestie décevante.