Chroniques Créations

Le Bar de la plage – épisodes 202, 203 et 204

Episode 202

Douceurs provisoires de la léthargie

Une chaleur torride s’était abattue sur le bar de la plage et ses environs. La planète avait dû s’arrêter en position zénith. L’eau affichait une température de mer tropicale. Aucun oiseau n’osait s’aventurer hors de l’ombre des feuillages des arbres, ou de la fraîcheur d’une grotte préhistorique secrète rescapée des convulsions du globe.

Allez donc dans ces conditions, envisager la moindre action, se laisser aller à la moindre pensée. L’être humain était réduit à ses fonctions primaires. Et disons-le, ce n’était pas tout à fait désagréable : rien à choisir, rien à entreprendre, et même rien à contester. Une sorte de pause dans l’agitation frénétique du temps. Même mieux, les ambitions, les haines, les rivalités étaient comme anesthésiées, une sorte de paix tranquille réunissait les hommes et les femmes… comme dans Imagine

Bref, ce réchauffement climatique de passage avait du bon.

Episode 203

Les promesses de l’aube

La météo marine annonçait une longue période de calme.

L’inattendu se faisait attendre.

Ça tombait bien.

Ici, il ne viendrait à l’idée de personne d’aller encombrer le cerveau de ses semblables avec des théories qui se croiraient importantes, définitives, quasi planétaires. Jean-Paul Sartre n’a jamais mis les pieds au bar de la plage. Georges prétend qu’entre deux concerts, Nina Simone serait venue prendre un verre ou deux et qu’elle était de bonne humeur (forcément, le bar de la plage n’est pas l’Alabama), personne ne l’avait embêtée, personne ne lui avait demandé de chanter Don’t Worry Be Happy, d’ailleurs le piano de l’arrière-salle est légèrement désaccordé, cela ne lui aurait pas plu du tout.

Finalement, pour les temps à venir, on allait faire comme le Colonel l’avait dit l’autre soir :” laissez aller, c’est une valse”.

Louise de V. s’était exclamée “J’adore danser la valse “, c’est son côté Johan Strauss, nouvel an à Vienne, beau Danube bleu, bal à Versailles. Toutefois, Louise de V était toujours à la recherche de son cavalier, troisième du titre. La nuit au Phare n’avait guère fait progresser l’enquête.

Les filles, Caro, Leslie, Line étaient sublimes. De grandes histoires commencent parfois comme ça et finissent dans une superproduction à Hollywood. Demandez à Ava Gardner.

Personne ne fut saoul ; je veux dire complètement saoul, vous savez bien sûr où se situe la nuance.

Jim ne s’est pas cassé la figure en dansant un boogie-woogie acrobatique avec une jolie inconnue qu’il voulait épater et qui dansait dix fois mieux que lui.

Comme toujours, Leslie s’est prise pour l’héroïne de la chanson de Gainsbourg, Jane Birkin “Ex-fan de Sixties/ Petite baby doll / comme tu dansais bien / le rock’n’roll” et a fait un truc spectaculaire à la Mike Jaegger. Bon, le public, le personnel et Jules ne s’en lassent pas. Effet du (des) gin-tonic : elle ne savait plus très bien si son amoureux de surfer l’attendait toujours dans son van à déco psychédélique à l’autre bout de la plage ou s’il était parti en quête de nouvelles vagues…

Le Colonel naviguait dans les méandres d’un long fleuve d’Asie ; tout à l’heure il retrouverait Lan Sue dans un de ces dancings à toit de palmes qui parsèment les berges

Jim embrassa sa jolie inconnue. Louise de V, encore elle, un peu béate, écoutait un bellâtre équipé d’un baratin à faire passe une citrouille pour un carrosse…. Versailles en vue !

Line dit :

– Alex, tu as l’air songeur…

Qu’est-ce que tu veux… On n’a pas toujours un accouchement princier sous la main ou une explosion nucléaire à raconter…les belles ambassadrices ne se noient plus dans la piscine de leur hôtel, la dernière du genre avait été Pamela Harriman au Ritz, il en avait été question dans les tout premiers instants du bar de la plage… maintenant Marion Cotillard prédit le destin de la planète…

La nuit allait fermer…

le DJ lança Louis Prima et son hyper dansant Just A Gigolo…

On fit les choeurs…

I’am Just A Gigolo / And everywhere I go / People know the part I’am playing / Paid for every Dance / Selling each Romance…

Lumières du matin sur la plage.

La mer était là, les mouettes se taisaient.

On allait…sans hâte…

Episode 204 (203 suite)

C’était mieux que la Dolce Vita à la fin

Ça me revient :

Une villa, architecture géométrique froide, volumes hautains ; les lumières de la fête s’éteignent, la bande de noceurs s’éloignent vers le rivage… C’est l’aube, le ciel est gris, le sable est gris, l’eau est grise…. sur ce fond monochrome (nuances subtiles de la pellicule 35) se dessinent les silhouettes noires des smokings et des robes du soir des femmes qui donnent à la procession des oscillations de vagues hésitantes… Une sorte de monstre marin est échoué, son œil immense, glauque, mort, les fixe sans les voir… Qu’est-ce qu’il peut bien leur dire… la vanité de leurs vies parées des élégances de l’inutile… la beauté des femmes, offertes, le cœur vide… l’oubli trompeur puisé dans les alcools… et au bout le néant… ils sont déjà condamnés… Ils s’en vont, vaincus…vers le jour… vers une autre nuit…

Peut-on les imaginer heureux…

La via Veneto ne menait pas jusqu’au bar de la plage.