Des expositions, des colloques se sont succédé, cette année, autour de Roland Barthes. Ils se poursuivent, ces derniers mois. Beaucoup d’ouvrages ont été publiés. C’est dire qu’on n’est pas près d’en finir avec une œuvre dont la force et l’ampleur nous apparaissent aujourd’hui avec plus d’évidence encore, suite aux multiples manifestations suscitées par la célébration du centenaire de la naissance de l’écrivain. Celles-ci nous permettent aussi de mieux saisir les raisons de la violence avec laquelle cette œuvre a été reçue à ses débuts et les résistances du milieu universitaire à son encontre.
Pour mémoire, rappelons l’exposition de la Bibliothèque nationale de France, les Écritures de Roland Barthes, Panorama, exposition dont on peut regretter, qu’elle n’ait pas eu une plus grande visibilité ; la biographie de Tiphaine Samoyault ; l’album Roland Barthes, paru en mai sous la direction d’Éric Marty, où ont été réunis inédits, images, documents, archives, lettres (on y trouve des correspondances avec Robbe-Grillet, Butor, Blanchot, Michel Leiris, Foucault, Claude Simon, et avec de jeunes écrivains d’alors, dont Pierre Guyotat, pour lequel Barthes préfacera en 1970 son livre Eden Eden Eden).
De nouvelles parutions sont prévues, des colloques vont suivre celui qui s’est tenu au Centre Georges Pompidou en septembre et ont pour objet un aspect de l’œuvre jusqu’alors peu commenté, à savoir le rapport de Barthes au cinéma. Il était entendu jusqu’alors, notamment à partir de la publication de la Chambre claire, que Barthes aimait la photo et détestait le cinéma. Pas si simple. En témoignent le passionnant livre de Jean Narboni, La Nuit Sera Blanche et Noire, dont Pierre Eugène a rendu compte dans le précédent Art Press, et un autre texte paru dans Trafic, “Roland Barthes : Bref Lexique du Spectateur”, de Jacques Bontemps, lequel confirme le diagnostic de Narboni. À partir des relations positives que Barthes a entretenues avec certaines œuvres cinématographiques, Bontemps établit un possible lexique qu’après Barthes peut se constituer son lecteur. Il en fait la recension : la pose, le punctum, le sens obtus et la signifiance, la figuration, l’écoute, l’histoire, et l’impératif « coupez ! ». Un autre essai, Roland Barthes ou L’image Advenue, de Guillaume Cassegrain, s’attache à éclairer plus précisément les liens de l’image et du texte, notamment quand écrit sur des peintres.
Barthes fut un « maître », il eut des « élèves », ces jeunes gens, garçons et filles, qui suivirent pendant plusieurs années ses cours, ses conférences, ses séminaires. Quel bonheur eurent ces élèves d’avoir un tel maître ! Quelle chance eut ce maître d’avoir de pareils élèves ! Chantal Thomas et Antoine Compagnon furent de ceux-ci. On sait quelle romancière est devenue Chantal Thomas, quel brillant essayiste Antoine Compagnon. Tous deux rendent un émouvant hommage à celui qui leur communiqua l’amour de la langue et, qui sait, le désir d’écrire. Chantal Thomas dans son Pour Roland Barthes, qu’elle présente comme un « exercice d’admiration et de reconnaissance » ; Antoine Compagnon en revenant, trente-cinq ans après la mort de Barthes, sur leur longue amitié.
Philippe Sollers eut un autre type de relation à Barthes. Quand il le rencontre, il est déjà un écrivain renommé (Mauriac et Aragon n’y sont pas pour rien). Il ne fut pas son élève mais son éditeur et son ami. Dès 1965 que Barthes écrit sur Sollers, un très beau texte sur son roman Drame, qui sera suivi de six autres, jusqu’à ce Sollers écrivain paru en 1979, et réédité aujourd’hui, qui valut à Barthes l’hostilité de ceux qui avaient, pour reprendre son expression, « l’arrogance des paumés ». Paumés de la critique et paumés de la mauvaise littérature d’alors. Dans L’amitié de Roland Barthes, cette lettre datée du 25 août adressée à Sollers où Barthes écrit: « Cher Philippe (…) vous êtes vraiment celui qui aide à travailler, une sorte de grande Drogue facilitante ».
Jacques Henric