Créations

« Une vie à l’imparfait » d’Irène Dumont

Au pays de la mémoire, l’auteur nous invite à visiter  ce qui est resté en sommeil.

«  Le livre de la nuit, un chant, un adieu
Traversons cette nuit, traversons vite, mon ami
l’azur s’emplit de rêves  et de papillons légers.
J’ouvre la porte des songes, un oiseau,
un enfant vert,                                                                                                                                                            une fée, la source dorée, un regard.
Un ange pleure…   il a neigé sur ma mémoire … il est une attente. »

Au premier abord, l’écriture semble en désordre, par une succession d’instants pris au vol, de fragments décousus.

«  Eclatement, déchirure
Un papillon bleu se brûle les ailes, il est des soirs … il est des pluies … il est des rires
Il est des appels
…  j’ai brisé la vitre bleue des nuages »

Au fil de l’errance,  une certaine  organisation  se révèle, autour des  dimanches, la présence d’un Dieu énigmatique,  la présence de la Nature,  comme  la  Base fondatrice d’un royaume. Parfois, la voix devient prière.

« Laissez-moi chanter, rêver.
Un ange doucement ouvre les ailes.
Bleu, l’éclatement du premier soleil
Un paysage danse, un ruisseau court.
Je bois à la source du ciel.
Une tendresse descend des nuages …
Chantez, dansez, passeurs de mémoire  …
Viendrez-vous, soleils chauds ?  …
Je te parle, je t’appelle, je te crie, je te cherche. …
Une lumière, une soirée, des pas, une approche, une erreur. »

Entre les lignes, on perçoit une douleur, une présence qui se dérobe, une réalité qui blesse. Les forces vives de l’auteur se puisent dans la nature, chaque détail magnifié semble pouvoir combler l’Absence. Ce qui a existé,  continue à exister quelque part, ailleurs, autrement peut-être.

« Il est des cieux clairs, il est des jours de nacre, il est des arcs-en-ciel.
L’ombre d’une paupière, un air de guitare, un frisson, ma vie, mon ciel, mon attente.
Ce paysage, ce soir, ma vie
Il y avait tant de ciel, le mur était couvert de roses.
Il y avait une couleur, un espoir
Il y avait un soleil, il y avait ton parfum
Il y a ce silence.
Il y a …
Il n’y a plus rien. »

L’écriture, tantôt  désorientée,  tantôt victorieuse,  nous tient sur un fil.
« Il y a …  Il y a cet oiseau sur la branche, il y a une chanson …
Il y a la feuille du matin, il y a la fleur
L’oiseau, le pétale, le souvenir
Le nuage, le paysage
Il y a ma prière. »

L’univers d’ « une vie à l’imparfait », c’est parfois un voyage qui tourne sur lui-même. Les images  passent les unes après les autres, elles apparaissent, passent et reviennent. Une chanson prisonnière de la roue qui tourne, une chanson et ses refrains. Puis, vient le temps où  la parole doute d’elle-même.

« Il y a le cri plaintif de l’hirondelle
Le ciel monte, il y a mon appel, il y a ces mots qui ne disent rien
…  Un silence, une joie, le bonheur sans doute
Le bruit du matin, le murmure de la source, le chant du vent dans l’arbre
… Il y a celui qui  parle, il y a ces mots qui ne veulent plus rien dire. L’écho de ma voix, une erreur, une distance
l’écho seul qui répond et répète
Et redit ce bavardage, tous ces mots … »

Fragments décousus, un monde qui part en miettes,  … et demeure lumineux. Un monde aspiré vers le haut,  une joie aérienne.  Au fond de la désolation d’une vie imparfaite,  il y a une façon d’être, unique. »

« Puisque le soleil se lève le matin, je crie vers toi, lumière.
Je ne demande ni grâce, ni paradis
Je vous demande de garder mon frère
J’en appelle à la bonté.  Que brille cette lueur d’espoir.  Gardez-moi la caresse de la parole. Gardez-moi la confiance
Si vous existez mon Dieu, s’il est un paradis
Ecoutez ma prière. Je crie et j’appelle
…  je vois chanter l’arbre, j’écoute la rivière.
J’en appelle à l’espoir, je ne suis pas seule, il y a quelqu’un.
S’il est un chemin dans la nuit, si du rocher sort le ruisseau, je crie vers vous
j’en appelle à la bonté. Gardez-moi la tendresse, la confiance
j’en appelle au ciel.
J’en appelle à la vie.
Je ne suis pas seule, il y a quelqu’un. »

La nuit, l’errance. La voix creuse son sillon, en terre inconnue, malgré ce qui est perdu.

« Il y a le silence, la page vide. Il y a ce bavardage
Dieu se tait. L’azur est triste.
…  je suis l’aveugle qui a perdu sa vue et sa raison
Je suis la folle, je suis la boue derrière la charrette qui s’en va.
Je suis venue te chercher ce matin
je ne t’ai pas trouvé.
Il y avait  cette image qui te ressemblait. Il y a mon rêve.
Il y a cette vie, Il y a ce désordre, il y a cette errance. Il y a ce nuage qui court.
Il y a ce dimanche matin. Et ce silence, il y a l’allée vers nulle part
La beauté d’une lumière.
Je rêve que ça existait le bonheur.
Ça existait le bonheur, il y avait quelqu’un. »

L’écriture en terre inconnue, se perd, poursuit sa route dans la nuit. Tôt ou tard, elle  se retrouve au dimanche.

« il y avait un enfant perdu, et une église en larmes.
C’était dimanche, j’étais seule, j’étais assise au bord de l’eau. Je regardais passer les nuages.
C’est un matin. C’est en juin. C’est le dernier matin.
C’est la mort en direct.
La colombe poignardée, le blé tombé, l’épi séché, … la branche morte … l’ange en larmes,
Il y a Dieu qui ne répond pas … il y a moi, et moi seule …
ce jour où tout s’en va,, et tout se meurt, et je meurs.
Il n’y a pas de ciel, il n’y a plus rien. »

Il y a la mort en direct : tout devient mort. Tout ce qui entoure l’enfant est  mort. Le choc tombe !  sur l’auteur, sur le lecteur !  Au cœur de la vie, il y a le poison mortel. Il y a la mort en direct. Il y a  un acte criminel, enfermé dans une métaphore, enterré par l’auteur,  sous  la montagne  des poèmes décousus. Les pages suivantes appartiennent au chagrin, à la tristesse, au vide, au silence. Tout  vole en éclats. Le voyage à Venise est bouleversé.

« …   je  me suis pendue cette nuit au grand mât »

Le sentiment d’abandon s’infiltre partout. Les connexions au monde disparaissent.

«  Pourquoi m’as-tu laissée  … ?  Il n’y a ni Dieu, ni ange. Le ciel est désert ».

Les jours suivants, les pages suivantes, la même scène se rejoue, la même émotion.

« Je me suis pendue à une corde …
Venise en larmes, Venise perdue, un départ, un voyage.
la grande nuit, un océan noir.
Chagrin, tristesse …
Il n’y a ni Dieu, ni ange.
Il n’y a personne.
Le ciel est vide. »

L’auteur déambule au quotidien, parmi les  choses de la vie, avec en secret « sa mort en direct » à moitié écrite, à moitié enterrée. La voix se répète.  Entre soi et soi, elle tourne à l’obsession. Sans doute, il n’y a personne pour l’entendre.

«  Il est un enfant égaré, le troupeau égaré.
Il n’est point de berger.  Il est ma prière. …
Un juillet bleu, mon ange tombé, un toit qui monte.
il est la vague qui roule, le caillou rose
le cri plaintif de l’oiseau prisonnier.
Un océan noir, la peur.
Il est le rire des enfants. »

Sur son parcours, elle poursuit son périple.  L’auteur et sa lucidité qui déchire, nous dit simplement :

« Ce  soir, il y a ce doute,
Il y a ces cercles
Mon acharnement, il y a, tu sais, le silence.
…   et cette horreur, j’ai un trou noir dans ma tête. »

Pourtant, cet acharnement  la garde en mouvement, dans la vie, dans l’ouverture, la marche, le goût des autres, la vie ailleurs, les rencontres.

« Il  est l’odeur de la confiture.
Je me promenais au marché. C’était dimanche…
J’ai bu à la source du ciel, et tu étais là. …
Il y avait un jour entier,  un espoir, un éclair.
Il y avait quelqu’un, des pas, une joie. »

Avec ses mots simples – « Quelqu’un, des pas, une Joie » – un climat paisible est retrouvé. L’écriture  reprend son souffle,  son cours naturel. Elle chemine vers des instants de poésie pure.

« Un marcheur parfois rêve, sur le sentier bleu.
Il est quelque part, une maison à aimer.

Un ange pose son  doigt  léger, sur la fleur du temps.
La source était verte, la prairie marchait sur le ciel.  Il est tant d’or au ciel, une promesse tenue
Un pétale, une lune.
J’écris ton nom sur un nuage en or.
Des dimanches entiers sous les arbres.
Du ciel pleuvait une fleur bleue sur la page des rêves.
L’encrier s’envole, s’en va la plume au large… »

Certes, le climat est apaisé, mais la vie intérieure de l’auteur reste  en ébullition,  le regard reste  décapant, le questionnement, parfois douloureux.

« J’entends courir quelqu’un. J’entends au ciel pleurer Dieu.
Le firmament est couvert d’oiseaux blancs et d’étoiles
J’ai usé de toutes les couleurs, j’ai gâché l’or, et l’argent, le bleu, j’ai rêvé seule sous la lune.
Aux langues rougeoyantes, voici l’enfer, le diable ricane. La porte se referme. J’étais là, seule, je pêchais des étoiles, dans mon filet troué.  J’appelais, le ciel était vide. Et là, j’ai crié, j’ai supplié Dieu.  «  Rendez-moi l’étoile du matin, le sentier bleu, le sourire de l’ange ».
Tout se taisait.   Voici des vers, composés ce soir. J’ai écrit  pour qui voudra m’entendre. »

« Une vie à l’imparfait »  poursuit  éternellement  une forme de prière, avec des variantes, des refrains, des recommencements. Dans cet univers, l’ange ne grandit pas. Il manque un interlocuteur. L’écriture  écrit,  tout en s’effaçant. Dans ce qu’elle dit, on peut entendre autre chose.

Par ailleurs, la voix  pose les questions existentielles  que chaque humain se pose.

« La branche en fleurs que vous aviez peinte, s’est envolée comme une prière »

Naturellement,  les questions restent sans réponse, mais dans la manière de les  exprimer, l’auteur rejoint l’Autre, l’ami, le frère, quelqu’un, un voisin, un passant.

Les souvenirs s’envolent dans le soir. L’ange doucement pose son aile sur la terre.

La suite n’échappe pas aux alternances, à la banalité des saisons intérieures, le soleil et l’hiver, la vie, la mort.  Pourtant, rien n’est banal avec Irène Dumont.

« Octobre malade….
Et la peur tu vois, la porte fermée, je voyais s’incliner les ombres, les octobres malades.
Des ponts que l’homme ne traverse pas.
Et que  je n’ai pas traversé.
J’ai trop vu pleurer les nuits.
Les roses fanées. Les dos courbés, les doigts usés.
La main que tu ne m’as pas donnée.
La porte que j’ai fermée.
Le gong le soir qui grince.
Les mots que nous n’avons pas prononcés. »

Quand son univers donne des signaux  d’alarme,  l’auteur reprend son bâton et sa route sauvage, avec l’acharnement qu’on lui connait, elle arpente son territoire, reconstruit ce qui se délabre.

« La lune penche, j’ai peint des cieux lumineux, sur le toit bleu des nuages. »

Ces mots rappellent  Boris Cyrulnic, lorsqu’il  écrit : « La nuit, j’écrirai des soleils » ( * )

« J’ai raconté mon histoire à la fée sous le rocher
J’ai effeuillé des trèfles d’or.
J’ai écrit mon histoire avec la plume verte de l’arbre.
Tant d’or, tant de ciel, la source ne peut s’éteindre
Je l’ai dit à l’oiseau.
J’étais là, seul, raconte le conteur.
Le nuage s’est entr’ouvert.
Des cieux  tombe  une lumière.
C’était un voyage bleu, une barque perdue …

… La branche en fleurs que vous aviez peinte, s’est envolée comme une prière. »

 

Remarque :

La poésie d’Irène Dumont, est-elle mystique ?

Dieu, l’Ange, le Berger,  présences souvent évoquées, ne sont  pas pour autant en lien direct avec les religions traditionnelles, occidentales ou orientales.

L’écriture d’Irène Dumont semble libérée des dogmes, de l’influence des modes, des cadres et des conventions, dépouillée d’artifice, de cliché, d’effet  de style. Il s’agit de son expérience intuitive et poétique,  qui contemple, qui s’émerveille, se révolte parfois, et finalement ouvre une voie vers l’inconnu. Sa poésie est riche de questionnements.

Lisons nous-mêmes, lisons les lignes, et entre les lignes. L’écho suscité, aujourd’hui ou plus tard,  sera  peut-être ce que l’écriture de l’auteur  réveille dans notre nuit.

 

Irène Dumont, Une vie à l’imparfaitPoèmes – Recueil publié en 2018 – 4e trimestre – Grâce aux soins de Claude- Angela Sauvage-Sanna.  L’œuvre d’Irène Dumont a été présentée en lecture, au Théâtre du Carré Trente à Lyon, le 15 décembre 2019.

 

( * ) La nuit, j’écrirai des soleils Boris Cyrulnik – Odile Jacob – Avril 2019