Créations

Traverses – Poèmes III

Sur le chemin

sur la terre écorchée
des chemins de halage
l’enfant abandonné
allait pieds nus
dans la brume égarée
des ailleurs défendus…

le sable blond
qui bouge sur la plage
labourée par des vents
avale les rêves goulus
et les jeux interdits
de l’enfance qui se damne…

le soleil qui brûlait
la peau tendre
des jeunes conquérants
cache honteux
sa face écarlate
dans les eaux fangeuses
des marais cannibales…

sur les pentes moussues
de la forêt des yeuses1
chevelues
l’enfant perdu
sourd à l’appel
des dryades2
se laisse prendre
par les envoûtements…

 

L’autre

Dans la clarté grisée
D’un petit matin d’été
Au détour
D’une sente obligée
M’apparut léger
Comme un nuage d’argent
Soulevé par le vent
L’écuyer indompté
Monté sur un cheval
Aux sabots coruscants3
Et aux crins enflammés.

 

Abandon

Il est parti
Très loin d’ici
Celui qui emplissait
La maison de lumière…

Il est parti
Un soir d’été
Vers des rives
Incertaines
Et le bruit de ses pas
Arrive assourdi
Tout au fond de l’oubli…

Où donc es-tu ce soir
Toi qui posais
Un sourire sur nos plaies ?

Où t’en es-tu allé
Toi dont la tendresse
Fraternelle brisait
Le silence douloureux
Des déserts ?

Où est celle aussi,
Qui veillait solitaire
À l’ombre glacée
Des cyprès, inscrivant
Sur la pierre moussue
De ta tombe
Sa révolte et sa peine ?

Pourquoi es-tu parti
Nous laissant seuls,
Désarmés et blessés
Sur le bord du chemin
Au milieu de nos vies ?

 

J’attends…

j’attends le retour des étoiles
je compte les jour
J’écris sur la vitre
qui s’embrume
ce que je n’ose dire
j’attends
que les dernières lueurs
s’épuisent
sous le voile de la nuit
J’attends que mes yeux acceptent
sa couleur
J’attends
l’arrivée du grand paon
aux ocelles profondes
qui emportera l’attente
et l’espoir timide
d’un soir qui promettait…

 

Si j’étais

Si j’étais un oiseau
Si j’étais riche
Si j’étais un bateau
Si j’étais lui
Si j’étais autre
Je serais…

Arrête de dire si j’étais,
Arrête tes plaintes …
Cesse tes jérémiades …
Sois celui qui est
Sans te soucier
De ce que tu pourrais être…

Alors tu seras l’oiseau
Qui se désaltère
Aux eaux bleues
Du ciel…

Alors tu seras le vent
Qui guide le voilier
Sur l’immensité océane…

Alors tu seras libre
Alors tu seras riche
D’être ce que tu es…

 

Les relations d’incertitude

Des relations d’incertitude
Nouées sur les ables mouvants
Aux confins des extases
Et de l’errance
Que reste-t-il ?

Il n’y a que le vent
Qui se souvienne
Des caresses anciennes et furtives
Dispersées
Dans la froideur
De nuits pleines de peurs
Et de regrets…

Que sont ces lémures
Obsédants et cruels
Qui brûlent les mémoires
Lorsque les soleils noirs
consument les attentes
Des timides espérances ?

Ce ne sont que souvenirs
Brûlants et fugitifs
D’amours passagères :
Tendresses éphémères,
Baisers volés
Qui refusent l’oubli…

 

VIEILLESSE

Les déesses vacillantes
sous l’arme blanche
des déserts d’obsidienne
offrent au vent d’orient
leur chair paradoxale…

L’air chaud
du sable noir
comble l’occiput
et les creux de la face…

Les soleils assassins
de l’arrière-saison
et des étés indiens
parcheminent la peau grêlée
des vieilles
qui se souviennent…

Sous l’arme blanche
des déserts d’obsidienne
les grands rapace
les ailes sombres
et le bec affamé
le corps usé
des déesses sans nom…

 

DÉCHIREMENT

à l’heure volatile
où se dissout la nuit
l’orient en feu mûrit
de ses pourpres matinales
les fruits verts
des amours périssables…

l’orbe arborescent
de l’astre qui se cherche
inscrit dans son cercle infernal
la sinople4 des promesses trahies

le jour sans voix
d’une pâleur de limbes
continue sa marche  nonchalante
vers la nuit qui attend…

 

PORTRAIT CHINOIS

Si j’étais une fleur, je serais myosotis et je saurais vous dire en relevant ma tête bleue : surtout « forget me not ».

Si j’étais un animal, je serais un chat lové dans le creux d’un fauteuil cramoisi : un chat angora qui ronronne sous les caresses.

Si j’étais un mot, je serais secret : mot de passe et mot d’encre susurré.

Si j’étais un vêtement je serais le voile qui cache et en même temps dévoile…

Si j’étais un paysage, je serais un paysage dans le brouillard au milieu d’étangs et de marécages.

Si j’étais écrivain, je serais « la bonne dame de Nohant » à l’écoute de ses paysans au cœur mystérieux de la vallée noire.

Si j’étais un pays, je serais un pays sans frontières, perdu dans un coin luxuriant de l’éden.

Si j’étais une époque, je serais une époque à jamais révolue…

Si j’étais une pensée j’aimerais qu’elle hante comme un remords celles de ceux que j’aime… de ceux qui me sont chers… et qui m’ont oubliée.

 

SOLEIL NOIR

sur un fil de soie sauvage
arraché à la robe du temps
l’éphémère impalpable
attend…

seul un filet de sang
se mêle au ciel en déshérence…
l’ombre fugace de l’heure
effacera sa trace
dans les nuages…

sur des fils d’argent
appendus aux branches fragiles
de l’arbre mort
l’araignée crucifiée attend…
attend…

 

SILENCE

Le silence blanc
comme mes peurs
sous l’effet du doute, bleuit et se délie
plaintes d’une vie qui commence ?
pleurs étouffés de la vie qui finit ?

Le silence et le silence encore
gros de signes annonciateurs
d’un temps sans heurts
d’une mort franche
d’un non-retour… au milieu de la nuit
où se brisent les bruits ultimes et les derniers chuchotements…

 

À René CHAR

à une rose il s’était lié…
enivré par son parfum
il ne sentit pas dans sa chair
ses épines se ficher…
Lorsqu’il voulut se reprendre
elles s’étaient dans son corps
transformées en rosiers…

 

L’OISEAU-LYRE

dans la lumière de l’été
qui demeure
je pense à l’oiseau mort
qui cachait sous ses plumes
sa honte et sa douleur …

près de la source dive
l’enfant-lyre
qui jouait du trait
et de l’appeau
regarde, anéanti,
s’allonger sur la mousse
le corps de l’oiseau mort…

 

L’HOMME DU DÉSASTRE

il naissait dans la nuit
et mourait à l’aurore
l’homme qui ne savait
d’où venait la lumière…

Il aimait
le grognement des idiots
le rugissement de la mer
et du vent
celui qui refusait
le ciel et les étoiles…

fidèle aux ténèbres
filles obscures du rien
il écoutait avide
le chant funeste
des sirènes
et le cri des mourants…

il naissait dans la nuit
et mourait à l’aurore
celui qui refusait la vie…

 

SANS TITRE

à l’aube fraîche
d’un petit matin d’été
j’allais près de la source
écouter l’oiseau chanter…

surprise je le vis s’égosiller
lacérant une à une
de ses notes suraigües
les feuilles lancéolées
de l’arbre qui savait…

la dernière étoile filante
attardée dans les prémices du jour
heurta comme un bolide
mon coin de paradis
le réduisant en poudre…

depuis ce matin-là
l’oiseau déplumé,
agrippé à mon dos
j’erre au milieu de l’espace intersidéral
livrée au hasard…
des trous noirs…

 

LE VERT PARADIS

oh, vous enfants,
que l’on pensait heureux ,
perdus dans les jardins
agencés par les dieux,
vous vous heurtiez,
sans comprendre,
à l’arbre qui savait…

blessés, le visage irradié
par l’éclat de l’éclair
vous vous cachiez, inquiets,
à l’ombre des cyprès,

inquiets
et honteux de sentir
sourdre en vous
l’émergence insoumise
des désirs indicibles…

coupables… et innocents…

 

 

 

 

 

 

 

_________

1 Yeuse : chêne qui conserve ses feuilles vertes en toute saison ; encore appelé chêne vert. (Littré)

2 Dryade : divinité gréco-latine qui demeurait dans les bois et qui y présidait. (Littré)

3 coruscant : qui brille d’un éclat étincelant. (Littré)

4 sinople : terme de blason de couleur verte – terme de minéralogie : variété de quartz hyalin. (Littré)