Créations

Neige exterminatrice – extraits (II)

BLUES

Oh dans les alcools d’un bar de la rive gauche
Attendre  attendre encor la même voyageuse
Celle au baiser de feu et qui fera tourner
Sa robe de cyclone autour de mes naufrages

Du côté de Shangaï ou alors dans les bruines
D’un soir de Copenhague au large de l’automne
Un violon de mirage emporte la mémoire
Et les chambres d’hôtel ruissellent sur la mer

Quelque part dans le soir la rumeur d’une écluse
Un air de blues et tournent tournent les méduses
Suinte sur le trottoir le sang des anciens crimes
Et ma vie se rallume aux songes  de la brume

Du côté de Shangaï de Prague ou d’Amsterdam

Odeur d’amour malade et de neige tzigane
Quelque part et suivant le hasard des nuages
Attendre attendre encor la même voyageuse
Le cri d’un autorail me barre la mémoire.

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VENT DU NORD

Le vent du Nord allume sa lampe à pétrole
Comme autrefois dans les greniers du crépuscule
Dans l’imagination de l’enfant le plus pauvre
La lanterne magique à peindre sur les murs
Les vagues de la mer les fleurs la toison d’or

Enfant voici la neige et le cri des navires
La neige Épiphanie de rois décapités
Noël rouge au quinquet de baraques foraines
La roulotte aux gitans bourlinguant sur la route
Sa complainte à broyer du noir dans les ornières

Enfant voici la neige et le cri des navires
Le vent du Nord allume sa lampe à pétrole
Rappelle-toi les vieilles histoires policières
Les romans à deux sous achetés dans les gares
Que tu lisais assis dans un fond de cuisine

Comme le testament d’une vie impossible.

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CICATRICE DE LUNE

Pour toi seul mon enfant mon ombre ma mort lente
Cette fête oubliée dans les cendres du vent
Cicatrice de lune écume sur les murs
D’un songe qui s’achève en gerbes d’orties blanches

Mon ombre ma mort lente ainsi vers l’océan
Ce rameau de fumée prolongeant le voyage
Ces graffitis amers cette poussière d’encre
Où retombe en énigmes la vie qui te hante

Ainsi chaque matin la buée sur la vitre
D’une âme qui s’égare à rompre le réel
Ainsi de ce journal effeuillant sur la table
Le réel irréel des souvenirs du monde

Et la dernière page éparse aux quatre vents
Qu’importe la morale il demeure une fable
Pour toi seul mon enfant mon ombre ma mort lente
Ce jour de contrebande aux frontières de temps

Ces châteaux en Islande et ces façades noires
Portant sur leurs fenêtres le deuil des étoiles
Ces images volées sur le front des aveugles
Ce silence d’argent et ces paroles d’or

On se prend d’une tendresse désespérée
Pour un coin d’escalier pour un bord de canal
Car c’est toujours la dernière escale qui compte
Voyageur que poignarde un cri des antipodes

On reconnaît sa vie à l’écho de ses rêves.

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