Créations

Conversations paysagères (suite)

JOUR ET NUIT

Le jour place ses pions
A la mesure de sa lumière
La nuit avance ses tours

Sur l’autre moitié du temps

Pour une pièce perdue
D’autres pièces se mobilisent
Libèrent les ressources ignorées

Sur l’horizon à reboiser

Seule à seule
Toute une moitié de ma vie
Reste dans la nuit.

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J’écris tout,
C’est un atout me direz-vous
Pourtant « je  est un autre »
Et  l’Autre n’écrit pas

Nous sommes le jour et la nuit sous le même toit
Nous sommes deux  dans la maison

Au territoire de la nuit
Le « je qui n’écrit pas » travaille seul en Mémoire

Au territoire du jour
Ce  matin de clair- obscur,  une porte claque
Quelque chose gronde,

Une ombre se déplace
Un bruit de pas s’empare de l’atmosphère
Le monde invisible  prend des forces.

Alors le « moi qui écrit tout »
Veut sortir de cette maison trop bruyante

Mais comment quitter son ombre
Cet autre moi, cet inconnu « qui n’écrit pas »

il y a quelqu’un dans la maison, qui déambule  sans raison
Avec ce double jeu de l’intérieur,

Tôt ou tard,
L’un risque de tuer l’autre.

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Par la fenêtre de l’oubli,
Je prends la fuite

Diner en ville
Je parle de tout et de rien

Quelqu’un me répond
On parle de tout et de rien

On se trouve intéressants
Dans nos costumes qui nous vont si bien

Costumes de ville, paillettes et spectacle
Cachant  les failles,  les déchirures, les ombres

Avec des morceaux d’illusion
Chacun  se construit un nouveau visage

Nouveaux décors
Les chemins de fuite se multiplient

D’une fenêtre à l’autre,
Parfois, je me demande où j’ai la tête

D’un salon à un autre
Ma vie voyage sans moi.

J’ai hâte de retrouver  mon terrier
Sauvage  qui craque et se disloque sous les vents

Avec le rire de la lumière.

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Famille de nuages
Peuplements des forêts
Forêts  d’oiseaux
Tourbillons des voix

En fermant les yeux, l’enfant est de retour

Il entend le clignement des paupières  de  la  forêt
la danse des couleurs, les nuances
Les poussières de lumière
A son oreille le vent et la fourmi  se répondent
Ce qui dort et se réveille agite le monde

Mais quand la montagne ne parle plus
Aucun  mot ne peut dire ce qui est perdu

La nuit de l’inquiétude  envahit la plaine

Aucun langage
Aucun signe
C’est peut-être cela l’enfer ?

Vivre avec ce qui ne peut être nommé.

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«  N’y eût-il dans le désert
«  qu’une seule goutte d’eau qui rêve tout bas
«  qu’une seule graine volante qui rêve tout haut
«     … Désert, désert, J’endure ton défi… »
Aimé Césaire

DESERT

Ce qui nous tient en éveil
C’est le voile opaque au- dessus de nos têtes

Nous marchons au bord du vide
Et nous ne le voyons  pas
Nos enfants respirent aveuglement

La poussière de nos illusions d’autrefois
En peu de temps,  on peut vieillir d’un siècle

Nous marchons vers  l’avenir
Le désert avance vers nous.

Ce qui nous tient en éveil
C’est le voile opaque  au-dessus des  horizons

Ce qui interroge, ce qui tremble
Ce qui circule entre nous

Cafouillage et confusion
Que devient le langage ?

Ce qui nous tient en éveil
C’est le voile opaque
Qui recouvre notre bulle d’ignorance

Ce qui nous fait rêver
C’est la voix du poète
Lorsqu’il vient s’asseoir avec nous

Avec lui, chacun est  « une goutte d’eau, qui rêve tout bas »
« une  graine volante qui rêve tout haut »

Ce qui nous tient en éveil
Ce qui nous tient ensemble

 ******

CENDRES

Ce jour- là
Ton regard s’est posé sur mes cendres
Avec ce vêtement de cendres et de mémoire

Léger sur mes épaules
Je sors de la nuit,
Anonyme parmi les vivants

Heureuse solitude
la peur tassée au fond des poches
L’insouciance refleurit

A nouveau
S’abandonner à l’appel

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Sur la route qui danse
Enfant de poussière

Je marche d’un pas sautillant
Tout droit vers la montagne

Plein ciel
Pollens au fil du vent
Les pensées s’envolent, j’oublie ce que je suis

Voyage de l’âme
Suspendue  à rien

Je marche sans marcher, je regarde sans voir
Je rêve sans rêver,  plein sud vers la montagne,

Insouciante,  car je sais
De l’autre coté

Un nuage blanc sera mon père
Le lotus des îles sera ma mère.

 

MATINS INCERTAINS

Au premier matin
La ligne d’horizon a traversé le paysage
Séparant  la terre et  le ciel  –

Au deuxième matin,
la nuit  est restée  agrippée aux branches
l’horizon  est resté noyé  dans le brouillard,

Je te cherche,
La mémoire me donne une ligne imaginaire
Où je trouve appui

L’horizon retrouvé
l’œil s’y attache

Il peut voir  au- dessus
L’immensité  lumineuse  où  il se découvre tout petit

Parmi les constellations, les peuplements  d’étoiles
et leurs signes

Il peut voir au- dessous de l’horizon
Tout un monde  de l’ombre

Il peut s’inventer des couches d’hypothèses
superposées,
dans les sols, et les sous-sols

L’immensité sombre,  où il se découvre  tout petit.
Dans l’avenir incertain

Au troisième matin
les appuis pourraient s’effondrer,

Lui, au fond, il le sait depuis toujours
Dans l’instant, Sa force, c’est sa ferveur.

 

ACCUEIL  

Ce n’est pas un mot comme les autres,
Un que l’on pourrait  remplacer, ou contourner

Je m’habitue à ses visites
Il vient sans prévenir à la nuit tombée

Je le regarde s’installer dans ma maison
Dans l’espoir qu’il abrège sa visite, je ne bouge pas.

Je fais silence pour l’écouter
Ses monologues ne me disent rien.

J’aimerais qu’il m’éclaire sur le pourquoi de ses visites
D’où il vient, ce qu’il attend.

Quand je lui parle, il m’ignore
Je n’existe pas.

Alors j’interroge ma mémoire
Elle fouille ses archives
Elle retrouve  sa trace,
Quelques  signes indéchiffrables

Ce n’est pas un mot  comme les autres
La mémoire le connaît.
Avec elle, je vois double,

Ma vision ne m’appartient plus
Vraiment
C’est un mot pas comme les autres

Je le reçois
Je le refuse
Ai-je le choix ?