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Le Ravissement de la rectrice – (IV) l’hallali

Où l’on apprend quelque chose de plus sur le commissaire

GIGNLes journalistes n’eurent pas grand-chose à glaner lors de la conférence de presse du lendemain. On ne pouvait même pas affirmer catégoriquement que la rectrice était bien détenue sur l’île, même si c’était de loin l’hypothèse la plus probable et si c’était là où se concentraient les investigations sur le terrain. Quant à l’identité des ravisseurs, elle était toujours inconnue. Pour tenter d’en apprendre davantage, les journalistes eurent la même réaction que Latrouille : ils firent le siège du rectorat, attendant que quelqu’un entre ou sorte pour l’assaillir de questions. Sans obtenir davantage de précisions, car quelles réponses aurait-on pu leur donner ? Alors, que ce soit dans leurs articles ou sur leurs antennes, ils brodèrent sur le « mystère de X », quand ce n’était pas sur la « mystérieuse disparue de X ».

Pourtant l’enquête était en train de décoller. À force d’affiner les mots-clés et de croiser les fichiers, les informaticiens de la police sont tombés sur quelques twitts ou courriels susceptibles d’être en rapport avec l’affaire, dont un émanant d’un habitant de l’île, un certain Dupontel. Il avait écrit quelques heures avant l’enlèvement : « la guerre est déclenchée », et peu de temps après : « première bataille gagnée ». C’était vraiment peu de chose mais si différent de ce qu’il twittait habituellement que cela semblait bien désigner un événement exceptionnel. En tout état de cause, aucun indice ne devait être négligé. À partir de ce moment, l’auteur, un professeur métro, célibataire, installé sur X depuis trois ans, allait donc faire l’objet d’une surveillance constante dans l’espoir qu’il conduirait les policiers au repère où se trouvait la rectrice… s’il était vraiment mêlé à l’enlèvement. Toute l’équipe de Latrouille est mobilisée pour la circonstance. Le téléphone de Dupontel est déjà sur écoute. Enfin, Marjolaine est chargée d’établir un contact avec lui sous un prétexte anodin, sans dévoiler son appartenance à la police, évidemment. Elle sera couverte à distance par Frédéric : ils sont entraînés pour cela. Aucune enquête de voisinage n’est prévue car il est impératif de ne pas éveiller l’attention du suspect, au moins tant qu’on n’est pas certain qu’il n’a rien à voir dans cette affaire.

Pour une fois, si Latrouille rentre très tard chez lui, cette nuit-là, vers trois heures du matin, c’est vraiment pour un motif professionnel. L’organisation de la filature s’est révélée plus complexe que prévue. Dupontel habitant dans un lotissement, il est impossible de laisser des policiers en planque près de sa villa sans se faire immédiatement remarquer. Il fallut donc reporter la surveillance visuelle sur la route, à l’extérieur du lotissement, au risque de le perdre s’il se déplace sans sa propre voiture, si quelqu’un vient le chercher, par exemple. Une coordination étroite avec l’équipe chargée de la surveillance téléphonique, en Métropole, est donc impérative pour suivre ses déplacements. Encore faut-il qu’il prenne son téléphone avec lui quand il se déplace…

Quoi qu’il en soit, lorsque Latrouille retourna chez lui, cette nuit-là, Gladys n’est pas là, ce qui le surprit car si elle sort souvent le soir sans lui – originaire de l’île, elle a une nombreuse famille et des amis non moins nombreux qui n’ont pas spécialement envie de la voir et/ou qui n’intéressent pas le commissaire outre mesure – elle n’a pas l’habitude de rentrer après minuit (on se lève tôt sous les tropiques). Néanmoins, comme il avait toujours été entendu (tacitement) entre eux qu’ils s’accordaient une mutuelle liberté, et qu’il se sentait pas mal fatigué, il se mit au lit sans réfléchir davantage. Les hommes sont naïfs : il fut entièrement rassuré lorsque Gladys, vers les cinq heures, le réveilla pour lui faire l’amour. Il ne savait pas en effet, lui qui croyait si bien connaître les femmes, que rien ne les excite davantage que de passer immédiatement des bras d’un amant dans ceux d’un autre. Il avait été le premier avec Marjolaine, maintenant le second avec Gladys et les deux fois dans la même parfaite inconscience ! Heureusement, il n’est pas jaloux, comme il n’aurait d’ailleurs pas voulu s’encombrer d’une femme jalouse. Eût-il su que « sa » Gladys venait de s’envoyer en l’air avec un ex petit copain du lycée en rupture conjugale provisoire, que ses transports n’en eussent sans doute été ni moins agréables ni moins passionnés.

Le lendemain, tandis que certains journalistes n’ayant rien à se mettre sous la dent s’apprêtent déjà à reprendre le premier avion pour Paris, la surveillance de Dupontel n’apporte rien non plus pendant la plus grande partie de la journée : collège le matin, déjeuner avec des collègues, re-collège l’après-midi, puis supermarché. Ce n’est qu’en sortant, chargé des courses qu’il vient de faire, qu’il donne un coup de fil suspect – « J’arrive » – qui est transmis aux policiers sur le terrain. De fait, ces derniers qui l’ont immédiatement pris en chasse le suivent jusqu’au moment où il oblique dans un chemin de campagne. Pour éviter de se faire remarquer, les policiers doivent alors interrompre leur filature. Arrêtés à proximité de l’intersection, ils n’ont pas beaucoup à attendre pour voir arriver une autre voiture qui débouche du chemin. Démarrant derrière elle, ils sont conduits jusqu’à une autre villa qui doit être logiquement le domicile du second conducteur, selon toute vraisemblance un complice de Dupontel, si celui-ci est bien toutefois l’un des ravisseurs. Il résulte de ces nouveaux développements de l’enquête qu’il n’est plus nécessaire que Marjolaine tente de l’approcher ; elle peut regagner Paris avec Frédéric… Paris où chacun retrouvera son partenaire habituel…

Le second conducteur est rapidement identifié grâce à la plaque d’immatriculation de sa voiture. Il s’agit d’un autre professeur, Valsin, originaire de l’île, marié, enseignant dans le même établissement que Dupontel. Et c’est bien lui qui a reçu le coup de fil de son collègue à la sortie du supermarché. Entretemps, le drone de la gendarmerie, prêt à intervenir à tout instant sur cette affaire qui bénéficie d’une priorité absolue, a survolé le chemin. La voiture de Dupontel a été repérée près d’une masure perdue au milieu de quelques champs cultivés. Le cadastre indique qu’elle est la propriété de Valsin, lequel semble donc profiter des loisirs que lui laisse son métier pour se livrer à quelques travaux agricoles. Quoi qu’il en soit, sa cabane semble l’endroit parfait pour maintenir quelqu’un en captivité.

Dupontel ne quittera la cabane que le lendemain dans l’après-midi, relayé par Valsin. Sa présence, la nuit, dans un tel lieu accrédite de plus en plus l’hypothèse suivant laquelle c’est là où la rectrice est gardée prisonnière. Informé de ce tournant de l’enquête, le ministère de l’Intérieur donne des consignes très précises : ne pas intervenir, ne pas se montrer, s’assurer simplement qu’il n’y a pas d’autres complices, ce que semble indiquer l’étude des téléphones de Dupontel et de Valsin, en attendant l’arrivée d’une équipe du GIGN. Laquelle débarque dès le lendemain d’un avion de la flotte interministérielle : une dizaine de gars, plus précisément neuf gars et une fille, tous baraqués et capables, quand ils se baladent en groupe, même non armés et en civil, de faire peur à n’importe qui. Une éventualité impossible en l’occurrence puisqu’on les a immédiatement conduits dans la caserne de l’armée de terre avec interdiction de sortie jusqu’à l’opération, afin de ne pas éveiller l’attention des ravisseurs (présumés).

Toute règle a des exceptions (sinon les humains ne seraient pas des humains mais des machines), si bien que, ce soir-là, l’officier à la tête de l’équipe d’intervention est convié à dîner chez le commandant de gendarmerie de X. Ce dernier a une règle (qui celle-là ne souffre pas d’exception) quand il invite chez lui : il veut autant de femmes que d’hommes. Lorsqu’il a convié le commissaire Latrouille, il lui a demandé de venir accompagné. De même pour l’officier du GIGN. Ils sont donc six à table : le commandant et son épouse, Latrouille et Gladys, l’officier du GIGN accompagné de Thérèse, la seule femme de son équipe, … qui ne risque pas de passer inaperçue. Grande et forte et pourtant intensément féminine avec sa taille étranglée, toutes les rondeurs qu’il faut là où il faut et surtout un visage de poupée qui dérange néanmoins sans qu’on comprenne pourquoi jusqu’à ce qu’on ait remarqué les deux yeux vairons. En outre la gendarme n’a pas la langue dans sa poche ni ne se croit tenue de marquer à ses supérieurs plus de déférence qu’il leur est dû (elle se comporte à leur égard un peu comme une fille un peu taquine mais néanmoins respectueuse) si bien que, sans l’avoir cherché, elle devient le centre de l’attention générale. Elle, cependant, n’a d’yeux que pour Gladys. Qu’est-ce qui la fascine tant chez la jeune créole ? La teinte et le velouté de la peau dorée, les yeux incroyablement verts, les cheveux ultra-courts en casque d’aviateur, le décolleté à la limite de l’indécence, les jambes interminables sortant d’un short mi-long, lointaine évocation de la période coloniale, les pieds délicats sertis dans des sandales à lanière ? Tout cela à la fois sans doute, le mélange de douceur tropicale et d’élégance raffinée. Quant à Gladys, elle est comme tout le monde sous le charme atypique de Thérèse.

Après le repas, les deux jeunes femmes se sont assises dans un coin à l’écart. De quoi parlent-elles ? De tout et de rien. Sans doute se livrent-elles à quelques confidences sur elles-mêmes, comme deux étrangères que la vie séparera bientôt et qui se sentent, de ce fait, plus libres de se livrer. Elles semblent en tout cas très absorbées et il serait malséant d’interrompre leur tête-à-tête.

Quand vient le moment de se séparer, Thérèse demande à son supérieur l’autorisation de ne pas retourner immédiatement à la base et de passer d’abord chez Gladys ; on la reconduira plus tard à la base. La permission est accordée car on ne refuse pas grand-chose à Thérèse. Arrivé chez lui, Latrouille est prié d’aller se coucher, les deux jeunes femmes ayant décrété qu’elles ont beaucoup de choses à se raconter, n’ayant nul besoin de lui pour ce faire. Elles s’installent dans un sofa sur la terrasse. Cependant la piscine est là, si tentante. Elles ont tôt fait de se déshabiller et de se jeter à l’eau. Elles jouent, d’abord comme deux gamines qui s’éclaboussent en riant, mais leurs corps sont depuis trop longtemps aimantés l’un vers l’autre pour ne pas bientôt se rapprocher, se coller comme se collent leurs bouches dans un baiser passionné. Thérèse n’en est pas à sa première expérience de ce genre, Gladys si, ce qui ne l’empêche pas de se sentir immédiatement au diapason. Bientôt sorties de l’eau, elles rejoignent le sofa qui leur offre un abri plus confortable pour se livrer à des plaisirs que les hommes ignorent.

Le commissaire, quant à lui, ne parvient pas  à trouver le sommeil. Comme tout mâle normalement constitué, il est excité par la présence de deux femelles en rut dans son voisinage. Au bout d’un moment, n’y tenant plus, il décide d’aller se rafraîchir dans sa piscine. N’est-il pas chez lui ? Il plonge, non sans avoir aperçu les deux jeunes femmes enlacées sur le sofa, et fait quelques longueurs autant pour justifier sa présence que pour tenter se calmer. Échec complet, bien sûr. Non seulement les deux belles amantes ont tout de suite compris sa manœuvre mais il se met à bander comme un bouc dès qu’il sort de l’eau. C’est ainsi, arborant son érection comme un trophée, qu’il s’approche du sofa, plein d’une humeur conquérante. Les deux jeunes femmes, cependant, affectent de ne pas le remarquer et se récrient quand il les caresse de ses mains mouillées. Inutile de dire que le commissaire ne se le tient pas pour dit : son état ne le lui permet pas. « Latrouille n’a pas la trouille, il a des couilles » (comme disent ceux qui le connaissent bien). Comme il sait toucher Gladys là où il faut et comme il faut pour la conduire à récipissence, il ne s’en prive pas, de telle sorte qu’il est bientôt en train de la prendre par derrière tandis que Thérèse continue à s’occuper d’elle par devant. Mais il veut davantage, il veut le contact avec la gendarme à la croupe irrésistible. Enlaçant simultanément les deux femmes, il commence à pétrir l’éminence fessue de Thérèse. Ses mains rencontrent parfois celles de Gladys pareillement occupées. Hélas, contrairement à ce qu’il espérait, la gendarme ne manifeste aucunement l’intention de s’occuper de lui ; il en est réduit à conduire Gladys au plaisir, celui qu’il peut lui donner, avant de jouir à son tour. À en juger par son râle anormalement rauque et profond, sa maîtresse n’est pas perdante à ce jeu pour elle tout neuf.

Soulagé sinon entièrement satisfait Latrouille réintègre sa chambre, laissant les deux jeunes femmes dans leur gynécée.

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Le jour suivant est celui où s’achève cette histoire. Gladys a reconduit son amante à sa base avant l’aube. Toute l’équipe du groupe d’intervention est déjà sur pied. Suivant les consignes fixées en (très) haut lieu, elle se positionnera autour de la cabane où la rectrice est présumée prisonnière, avec l’interdiction d’intervenir tant que les deux terroristes ne seront pas réunis. Sous aucun prétexte la libération de la rectrice (si elle se trouve bien là) ne devra avoir lieu avant.

Ainsi fut fait. Vers 8 heures les gendarmes virent sortir Valsin et quitter la cabane sans attendre Dupontel. Renseignement pris, ils faisaient cours tous les deux ce matin-là. Valsin est remonté en début d’après-midi et Dupontel est enfin arrivé, toujours chargé de victuailles, vers 19 heures. Les hommes (et la femme) du GIGN, qui ont attendu dans leur harnachement de combat pendant toute la journée sous un soleil de plomb, sont chauffés à blanc. Au signal, ils se précipitent vers la cabane, enfoncent la porte, leur chef vérifie rapidement que la rectrice est bien enfermée là, puis deux rafales de mitraillettes mettent fin à l’opération « Délivrance ». La raison d’État ne voulait pas d’un procès au cours duquel les prévenus auraient pu se faire entendre. Or, depuis la multiplication des attentats djihadistes et l’entrée de la France en « état de guerre », la population s’est habituée à l’élimination brutale des terroristes. Il suffira de prétendre que les deux professeurs étaient armés jusqu’aux dents et qu’ils se sont défendus…

FIN