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« Victoria » de Sebastian Schipper, le film événement de l’été

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Plusieurs fois primé à Berlin, récompensés par six « LOLAS » (les César d’Outre-Rhin), Grand prix au festival policier de Beaune, Victoria fait l’événement des sorties de l’été 2015. Le film étonne par sa durée (2h14) et surtout par le parti pris du cinéaste qui prétend avoir filmé un seul plan séquence correspondant à la durée exacte de l’action du film, les dialogues étant par ailleurs partiellement improvisés. Il avoue avoir éliminé deux tentatives précédentes du même film dont le résultat ne correspondait pas à son attente. On a pourtant du mal à croire à cette histoire d’un tournage ininterrompu du début à la fin mais le fait est que le film est tourné caméra à l’épaule, le caméraman toujours très près des protagonistes, souvent à leur suite. Il y a ainsi beaucoup d’images des cinq lascars marchant, la nuit, dans un Berlin désert. Cinq lascars, c’est-à-dire une héroïne, Victoria donc, et quatre apprentis bandits. Le film commence dans une boite de nuit, sur un fond de musique adéquate, l’image floue au départ se concentre progressivement sur l’héroïne en train de danser. Quand elle quitte la boite, elle tombe sur les quatre lascars qui viennent de se faire refouler, privés qu’ils sont de la thune requise pour payer le droit d’entrer.

VictoriaBien que nous venions juste de voir Victoria s’envoyer un shot de vodka comme une grande, il y a en elle une fragilité apparente qui nous inquiète, aussi ne sommes-nous pas – nous les spectateurs – du tout enthousiastes à l’idée qu’elle accompagne les Pieds Nickelés, passablement allumés, avec lesquels il semble évident qu’elle ne gagnera que des ennuis, même (et surtout) s’il apparaît rapidement qu’elle est elle-même suffisamment allumée pour se sentir en bonne compagnie. On ne racontera pas l’histoire, bien sûr, mais cette inquiétude ne nous quittera pas pendant presque tout le film. Ce n’est que proche de la fin, lorsqu’elle prendra clairement l’ascendant sur ses minables compagnons d’infortune, que nous respirerons un peu mieux.

Le film parvient donc à créer et entretenir le suspense. De là à lui accorder le grand prix à Beaune, il y a peut-être un certain écart. Car les quatre sbires sont tellement nuls, leur échec est tellement programmé que le suspense n’a rien à voir avec leur entreprise criminelle. Seul importe le sort de Victoria. Au demeurant, le film dérape trop dans l’invraisemblable à partir du moment où le mauvais coup démarre et l’on commence alors à trouver le temps long.

Le film séduit néanmoins au moins pendant la première moitié grâce à la peinture des personnages, des marginaux un peu fous mais sympathiques, et surtout grâce à Laia Costa (Victoria). A la fois naïve, expansive, enjouée, tout en préservant une part de mystère, elle illumine le film par sa présence. Son partenaire principal (Frederick Lau) est doté pour sa part d’un beau sourire lumineux.

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On apprend des choses sur le monde des marginaux berlinois : aucun des quatre garçons n’est né à Berlin et l’un d’entre eux est d’origine turque. Ils survivent, semble-t-il, sans travailler. Quant à Victoria, jusqu’à cette rencontre fatidique, elle est payée 4 € de l’heure (4 € !) dans un café bio (le film a été tourné avant l’instauration du salaire minimum en Allemagne).

Enfin la musique électro-acoustique et la photo, de nuit, avec pas ou peu d’éclairage ajouté, restituent une ambiance étrange, presque onirique parfois, parfaitement accordée à l’histoire et à ses étranges personnages.

Dernière précision : le personnage, Victoria, étant espagnol, la langue du film est le plus souvent un anglais simplifié accessible à tous les protagonistes. Une astuce qui devrait aider à la diffusion internationale.