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Pantouns et pantoums

Georges Voisset, professeur émérite de littérature comparée à l’Université des Antilles et de la Guyane, a consacré plusieurs ouvrages au pantoun. La publication d’un nouveau recueil de pantouns traduit par ses soins (avec le texte original en regard) dans la toute jeune « Collection du banian », initiée par l’association franco-indonésienne Pasar Malam[i], est l’occasion de signaler à l’attention des amateurs de poésie francophones ce genre traditionnel en langue malais-indonésienne.

 

Occasion d’autant plus opportune que des poètes français éminents ont eux-mêmes illustré le genre – ou plus précisément une variante qu’ils ont imaginée – sous le nom de pantouM. À tout seigneur, tout honneur, c’est Victor Hugo qui a fait connaître le pantoum dans les Orientales[ii].

  

Le pantoum à la française est construit selon un principe de quatrains liés, de telle sorte que le vers 2 du quatrain 1 devienne le vers 1 du quatrain 2, le vers 4 du quatrain 1 le vers 3 du quatrain 2, et ainsi de suite. Soit aBcD / BeDf / etc. Ce procédé, complété par des rimes masculines et féminines embrassées ou croisées, produit des ritournelles agréables qui, dans certains cas, peuvent confiner au sublime.

 

Voici venir le temps où vibrant sur sa tige

Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;

Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;

Valse mélancolique et langoureux vertige !

 

Chaque fleur s’évapore ainsi qu’un encensoir ;

Le violon frémit comme un cœur qu’on afflige ;

Valse mélancolique et langoureux vertige !

Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir…[iii]

 

On peine à imaginer, aujourd’hui, combien le pantoum fut présent dans la poésie française du XIXe siècle, y compris chez les plus grands. Chez Verlaine, par exemple qui donne un pantoum volontairement « négligé », lequel se termine ainsi :

 

… Trois petits pâtés, un point et virgule ;

Dodo l’enfant do, chantez, doux fuseaux,

La libellule erre enmi les roseaux.

Monsieur le curé, ma chemise brûle ![iv]

 

Leconte de Lisle a honoré le genre dans d’interminables poèmes amoureux. Celui, par exemple, qui commence par ces deux quatrains :

 

Voici des perles de Mascate

Pour ton beau col, ô mon amour !

Un sang frais ruisselle, écarlate,

Sur le pont du blême Giaour.

 

Pour ton beau col, ô mon amour,

Pour ta peau ferme, lisse et brune !

Sur le pont du blême Giaour

Des yeux morts regardent la lune…[v]

 

Aux Antilles, un autre parnassien talentueux, Daniel Thaly, a sacrifié lui aussi au genre :

 

… Les serpents quittent la ravine

Parmi les bambous ténébreux.

Tita, ma brunette divine,

Referme tes longs cils ombreux.

 

Parmi les bambous ténébreux

Des yeux brillent dans la nuit brune.

Referme tes longs cils ombreux

Sous les clairs rayons de la lune…[vi]

 

L’ouvrage que G. Voisset a consacré naguère à l’Histoire du genre pantoun donne bien d’autres illustrations de cet engouement des poètes français (et francophones) pour le pantoum[vii]. Le pantouN original est néanmoins très différent. Il se résume typiquement à un seul quatrain, soit deux distiques enchaînés. Le premier, platement prosaïque sur le fond (mais non par la forme), le second émotionnel, voire, le plus souvent, sentimental.

 

Où le faisan va-t-il se nicher ?

Sur une cascade au creux de la roche.

Où ton amant veut-il se reposer ?

Sur une poitrine au creux de deux seins.[viii]

 

Il peut arriver néanmoins qu’un poème se développe en plusieurs quatrains, comme dans le pantoun du riz :

 

Si c’est du riz dis que c’est du riz

Que je ne vanne pas en vain

Si c’est oui, dis que c’est oui

Que je n’attende pas sans fin

 

Pour accompagner du riz nouveau

Je sacrifierai un coq de combat

Le chemin de ta porte m’est clos ?

Je grimperai pour passer par le toit…[ix]

 

Traduire la poésie est une gageure. Seuls les poètes authentiques peuvent se tirer sans dommage de ce piège. Les exemples ci-dessus démontrent que G. Voisset possède toutes les qualités requises pour relever le défi. Les lecteurs attentifs noteront d’ailleurs qu’il a disséminé çà et là dans ses livres des pantouns joliment réussis signés d’un poète inconnu, au nom à consonance bretonne. On est tenté de se demander si ce poète et G. Voisset ne feraient pas qu’une seule et même personne…[x] 

 

 


[i] Georges Voisset, Le Chant à quatre mains – Pantouns et autres poèmes d’amour, Paris, Pasar Malam, coll. du Banian, 2010, 217 p. A signaler la qualité (et l’inventivité) de la typographie.

[ii] Hugo reprend en note un pantoun malais traduit initialement par C.P.J. Elout (1824), traduction corrigée par Ernest Fouinet (1929) et enfin par lui-même. Sur la généalogie du « Pantoum malais » des Orientales voir, de Georges Voisset, Histoire du genre pantoun, chap. 2 (Paris, L’Harmattan, coll. « Lettres asiatiques », 1997, 338 p.).

[iii] Charles Baudelaire, « Harmonie du soir », Les Fleurs du mal (1857), cité in Voisset (1997), p. 114.

iv Paul Verlaine, « Pantoum négligé », Album zutique (1871), cité in Voisset (1997), p. 156.

v Charles Marie Leconte de Lisle, « Pantouns malais », Poèmes tragiques (éd. 1886), cité in Voisset (1997), p. 163.

vi Daniel Thaly, « Pantoum bleu. Les diablesses. (Berceuse des mornes) », Lucioles et Cantharides (1900), cité in Voisset (1997), p. 192-3.

vii Ou parfois « pantoun ». Par exemple chez René Ghil dont on n’aurait garde d’oublier Le Pantoun des pantoun, poème fleuve, inachevé malgré ses 1100 vers, « étrange mixture de termes javanais, malais et français », un exemple particulièrement remarquable de « l’exaspération exotiste », selon Voisset (1997), p. 207. 

viii Extrait d’un petit recueil de 42 pantouns malais traduits également par G. Voisset (toujours avec la version originale en regard et une typographie soignée), idéal pour une première approche du pantoun. (Pantouns malais, Bécherel, Les Perséides, coll. « Artbref », 2009, 94 p., p. 37).

ix  « Le riz » in Voisset (2010), p. 152.

x A signaler, pour les amateurs d’exotisme curieux du monde malais, l’ouvrage écrit à deux mains par Georges Voisset et son épouse Renuga Devi-Naidu, Malaisie, le pays d’entre-mondes (Bécherel, Les Perséides, 2010, 241 p.), récit d’un périple récent dans un pays où ils vécurent tous les deux et dont elle est originaire.