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Découverte de ma famille italienne (1952-1953)

Dans le texte intitulé “Le Goût des Voyages”, j’ai évoqué l’importance des 2 voyages en Italie en 52 et 53.

C’étaient mes premiers grands voyages, à l’étranger de surcroît, dans un pays, où l’on parlait une autre langue.

A 8 ans, c’est une vraie découverte, une première immersion dans un monde différent, mais avec la présence des parents, dont une mère qui parlait italien.

L’enjeu familial était important : il s’agissait pour ma mère, de présenter à ses cousins italiens, son mari et ses enfants, et de montrer sa nouvelle situation sociale, avec un mari qui n’était pas paysan.

Les cousins avaient gardé d’elle le souvenir d’une gamine de 8 ans, suivant ses parents émigrant à l’étranger, pratiquement sans bagages.

Mon grand père Umberto Lui était parti en 1931 avec pour actif ses bras et sa force physique, et pour passif une famille à charge, sa femme et sa fille.

Deux raisons à son départ, fuir le fascisme et nourrir sa famille en recherchant du travail en France.

La découverte de la famiglia italiana devait se faire selon 2 étapes,

-d’une part la famille de ma grand-mère, les Rossignoli, Cugola,Passigato et Perina  plutôt installée dans la région de Vérone, et à Ostiglia

– et d’autre part celle de mon grand père Lui, regroupée à Schivenoglia, près de Mantoue, au bord du fleuve Pô.

D’où mes origines mantovano/veroneses.

Mes souvenirs tournent autour de 3 lieux :

– Corte Bollina, la propriété Lui de Schivenoglia

– la ferme Cugola à Ostiglia

– la propriété de Casa Rossa près de Villafranca dans la banlieue ouest de Vérone

 

1 – Corte Bollina : la propriété Lui de Schivenoglia (province de Mantoue) 

Devant la porte Maria Lui, puis Emma, Amelia, Rosa, Davina, Remo, devant Roger, Bernard, et 2 petites voisines

C’était le fief de la famille Lui, qui l’occupait dans sa totalité.

Ma mère y vécut les 8 premières années de son enfance avant d’émigrer en France.

C’est là que la famille Lui vint se loger à son retour du Brésil en 1913.

Ma mère en fait la description, et en donne le plan dans un document qu’elle a elle même rédigé (voir ses écrits, hélas trop succincts).

Dans mon souvenir, c’est une ferme agréable donnant sur une grande place ouverte en terre battue, qui la sépare de la rue principale.

Sur les photos, on voit une bâtisse assez massive, aux petites fenêtres fermées. La façade aurait pu être mieux entretenue.

Dans mon souvenir, l’oncle Giovani, doté d’un solide embonpoint, qui doit l’empêcher de travailler, dort sur un sac de foin à droite de la porte d’entrée. Apparemment, sa mission est de garder des cochons, qui se gardent tout seuls!

Tout le monde riait de le voir avachi au soleil. Il ne nous aura pas laissé un souvenir glorieux.

Mon meilleur souvenir de Schivenoglia restera l’achat d’une glace au chocolat au marchand à bicyclette! “Un gelato per favore!”

L’ambiance semble un peu tendue chez les Lui. Notre charmante cousine, Davina, souffrait d’une maladie pulmonaire, expliquant son teint diaphane. Les fenêtres restaient fermées. C’était une maison de vieux, de malades….

Remo aurait pu apporter une touche de jeunesse, mais avec Davina, ils semblaient perdus parmi tous ces anciens!

Corte Bollina  1952 – Giovani, à l’extrème gauche, gardant le cochon dans la cour devant la propriété

On ressentait dans cette famille une atmosphère un peu étrange, les non-dits se faisant pesants, il ne fallait pas trop en dire à ma mère, les questions financières rodaient dans la pénombre.  Notre mère étant alors jeune et naïve, il leur était facile de lui raconter des histoires….

Je n’ai pas eu le souvenir d’une famille épanouie et transparente, la suite des relations de la famille Lui avec mon grand père Umberto devait hélas valider ce sentiment.  Il n’y avait pas beaucoup d’argent, mais le peu disponible suffisait à susciter rancœurs et jalousies.

J’ai compris plus tard que les italiens ne voulaient pas donner sa part d’héritage à mon grand-père, sous prétexte qu’il avait émigré. C’est pour la même raison, qu’ils avaient coupé les ponts avec les cousins brésiliens.

Il y régnait une atmosphère à la Mauriac, c’est du moins ce que je percevais.

2  –  La Ferme Cugola à Ostiglia

Il suffisait de traverser le Pô du nord au sud sur un pont métallique érigé par l’armée US en 1943, pour arriver à Ostiglia.

Et là l’ambiance était complètement différente, la “Jeunesse” était en train de prendre le pouvoir.

En effet, comme dans toutes les familles paysannes italiennes de l’époque, c’est le “pater familias” qui détenait tout les pouvoirs et les moyens financiers.

Les fils, majeurs, et déjà en charge d’une famille, devaient élever en cachette des lapins et des poules pour se faire un peu d’argent de poche. Leurs prénoms, dans l’ordre de naissance : Mario, Bruno, Ernesto et Renzo.

Mais sous l’impulsion de Bice, cinquième enfant et première fille, la préférée du  père Stefano Cugola, d’une beauté sauvage et d’une intelligence  exceptionnelle, un putsch familial venait d’avoir lieu, réussissant à récupérer les biens du père  pour les répartir entre ses enfants.

Nous arrivâmes à Ostiglia dans ce contexte de prise de pouvoir par les Jeunes, c’était électrisant et on ressentait toute cette excitation. La vie était aussi beaucoup plus gaie et dynamique, qu’à Schivenoglia.

C’était l’été et nous passions nos journées à nous baigner dans le Pô, avec la ribambelle de cousins de notre âge.

Quel bel été italien!

Ostiglia, été 1952, Bice, Elvira(?), Bernard, André, Emma, tous les petits cousins et cousines et moi devant ma mère

juin 2013. Lazise, au bord du lac de Garde : Roger, Bice, Laura, William et Bruno, devant la maison de ce dernier

 Nous avons revu Bice récemment, en juin 2013, à Lazise où elle réside, elle a conservé toute sa beauté, a épousé un riche commerçant. Elle a eu la vie et la réussite que l’on pouvait imaginer en 52/53.

3 – Le Domaine de Casa Rossa à Villafranca près de Vérone

Nous voici dans le fief Rossignoli, la famille de Cisella, ma grand mère.

Il n’y a que dans ce lieu que je l’ai vue heureuse, au milieu de sa famille et dans son terroir d’origine.

1952  Casa Rossa  – Debouts : Norina, Guido (Franco dans les bras), Cisella, x,  Vittoria, Gelmino, Assis : Maria, Dario, Gelmina, Emma, Bernard, André, Roger. Couché : le chien Bartali

Les Rossignoli étaient des paysans, gros travailleurs. Dans l’ascendance on retrouve des Tedesco, ce qui signifie “germanique” et on a des grands blonds, comme Cisella.  On appartient à l’Italie du Nord, sérieuse et laborieuse.

Là aussi, comme à Ostiglia, j’ai le souvenir d’une bonne ambiance, de gens ouverts et gais, toujours dynamiques et prêts à bouger. Quelle différence avec les Lui, plus renfermés, plus bourgeois…

Ils étaient ouverts sur le progrès et un soir nous partîmes tous en vélos pour aller voir un film en plein air, peut être “Riz amer”, ou un “Don Camillo et Pepone”. La soirée fut mémorable, car ma mère, qui transportait Bernard sur sa bicyclette, alla au fossé, heureusement sans mal, sauf quelques égratignures. Bernard se souvient encore de ce vol plané, il n’avait alors que 3 ou 4 ans.

Mon père s’intéressait à la pêche, hélas la physionomie des cours d’eau était fort différente : pas de cours d’eau serpentant paresseusement parmi les vallons, mais d’immenses canaux d’irrigation amenant l’eau des Alpes pour abreuver la riche plaine du Pô, avec un courant d’une violence dangereuse.

Pas de pêche au coup possible, mon père était fort déçu de ne pouvoir faire une démonstration de pêche à la ligne aux cousins italiens. Il faut dire que ces derniers, pris par les travaux des champs, n’avaient pas le temps de s’adonner à ce plaisir de fonctionnaire.

Dernier souvenir marquant, le chien “Bartali”, un brave chien loup  attaché par un fil de fer à une longue barre fixée tout le long de toute la façade. Il parcourait ainsi de nombreux kilomètres journaliers en courant de droite à gauche et retour.

4 – Les Suites

Ces deux voyages, en 52 et 53, m’avaient ouvert des horizons nouveaux, très enrichissants pour un enfant de 8/9 ans. J’espérais alors qu’il y aurait une suite, me permettant de revoir cette nouvelle famille et d’apprendre l’italien. Il y avait là des racines à explorer, des contacts à développer…

Et puis, plus rien, on ne parla plus de repartir visiter les cousins italiens, ni de les inviter. Problème financier, lassitude de mon père qui n’aimait pas voyager et qui ne pouvait pas communiquer avec les italiens, pour un problème de langue? Fatigue de ma mère qui devait faire l’interprète en permanence, ce qui était épuisant ? Autres raisons que je n’ai pas comprises ?

Toujours est-il que le contact fut rompu pour moi, ma mère seule entretenant des relations épistolaires en italien.

Une chance était passée… La porte s’était refermée. Je n’apprendrai pas l’italien en vacances dans la famille, et je n’aurai pas le loisir de découvrir mes cousins et cousines italiens… Che  peccato!

Bouillargues le 25 février 2019