* Dans les années 50, au XXème siècle, les grandes vacances duraient 3 mois.
Les écoles étaient closes du 1er juillet au 30 septembre.
Une longue période de « liberté » s’ouvrait alors pour tous les élèves.
Certaines familles avaient les moyens de prendre des vacances. D’autres envoyaient leurs enfants dans la famille, à la campagne, ou en colonies de vacances.
Ce n’était pas le cas dans la famille Séguéla, où, faute de moyens et de relations familiales ou amicales, on passait l’été à Jolimont, dans notre petite maison du 27 bis rue Dessalles.
Ennuyeuses ces vacances ?
Pas le moins du monde…
J’ai le souvenir de vacances enchantées, où ce temps long dans un espace limité, permettait de se livrer à des occupations diverses et variées, loin de toute discipline scolaire, sans devoirs à faire, ni leçons à apprendre, dans une bulle protectrice, avec une mère, jeune et dynamique, à notre disposition.
Je ne pense pas avoir bénéficié dans ma vie d’une autre période d’aussi grande liberté, sans la moindre responsabilité, l’essentiel du temps étant consacré au loisir, au sport et à la culture.
Ce temps libéré, sans contrainte majeure, ouvrait le champ libre à de multiples activités, et malgré le manque de moyens, ou mieux grâce à cette absence, je pouvais développer toute ma créativité servie par une imagination fertile.
La maison n’était pas grande.
Avec mon petit frère nous disposions d’une belle chambre ensoleillée, avec en son milieu un tapis de jeu qui nous paraissait immense.
Mais il y avait tout autour le quartier de Jolimont, et un peu plus loin toute la ville de Toulouse, qui était à portée de vélo.
Il n’y avait pas alors la moindre discipline familiale, nos parents nous faisaient confiance, et on pouvait « sortir » à notre guise.
Les Occupations Culturelles :
Rappelons d’abord aux plus jeunes générations, qu’à l’époque, il n’y avait ni téléphone, ni télévision, ni internet, pas de tablettes et ordinateurs, qui permettent de jouer sur les réseaux. L’environnement d’alors est pour elles inimaginable…
Lecture et Bibliothèque
J’ai commencé très tôt à lire des livres, dès le cours préparatoire, à partir de l’apprentissage de la lecture, qui se révéla un fabuleux moyen de découverte du monde.
Dans une famille modeste, mais cultivée, la lecture bénéficiait d’une aura, et l’achat de livres d’occasion était prioritaire, ce que mon père faisait avec succès. En affaire avec deux brocanteurs, situés rue du Taur, il négociait les livres de la Bibliothèque Verte, qu’il nous ramenait fièrement. C’est ainsi que j’ai découvert les œuvres de Jack London, James Oliver Curwood, Alexandre Dumas, Jules Verne, Mark Twain et de tous les grands écrivains édités dans cette collection.
Autre source de lecture, la proximité de la bibliothèque de la SNCF, où je pouvais emprunter tous les livres pour la jeunesse disponibles, notamment les premières bandes dessinées : il fallait se battre pour pouvoir emprunter les Tintin’s et autres Lucky Luke, dès leur arrivée.
Une grande partie des vacances était consacrée à la lecture, couchés dans nos divans, nos chattes Félicie et Aspasie endormies au bout des lits.
Ce temps d’inaction physique permettait de récupérer entre deux activités sportives.
L’écoute de la Radio
Comme nous n’avons jamais eu la télévision pendant notre enfance, nous écoutions la radio, et la seule chaîne captable localement, Radio-Toulouse qui retransmettait les émissions de France-Inter.
A 13 h, pendant le repas de midi, on écoutait religieusement le jeu des cent mille francs, chacun des membres de la famille s’efforçant de répondre le premier aux questions. C’était un vrai jeu éducatif, qui amenait à perfectionner sa culture générale.
Le soir, après les informations, on se passionnait pour la pièce radiophonique, très souvent un excellent policier.
L’absence d’image stimulait notre imaginaire en nous forçant à inventer les décors et les personnages dans notre esprit.
Mon père nous faisait aussi écouter des concerts, une excellente initiation à la musique classique.
Les Cahiers de Vacances
Tradition estivale, c’était la seule entorse « scolaire » au régime de totale liberté. Le côté fastidieux était contrebalancé par l’enjeu, gagner un prix au concours national des cahiers de vacances Magnard.
J’avais eu la malencontreuse idée d’obtenir un joli prix après le cours élémentaire 1ère année, un beau dictionnaire Larousse sur « La Montagne », avec citation dans le journal local, « La Dépêche du Midi ».
Devant la joie manifestée par mes parents, j’étais contraint tous les étés de chercher à réitérer cet exploit, ce qui ne fut jamais réalisé, et me fit perdre quelques heures de totale liberté, mais avec un certain profit culturel !
Les Activités Sportives :
Les Échappées en Vélo
Heureux propriétaire d’un magnifique petit vélo bleu, je disposais d’un instrument extraordinaire de liberté.
Dans les années 50, il y avait peu de circulation, donc peu de danger sur une voirie urbaine en bon état.
Ayant la faculté de sortir mon vélo à ma guise, j’en profitais pour aller rendre visite aux copains présents dans le quartier de Jolimont, jouer avec eux, échanger des bouquins et des objets divers destinés à compléter nos collections.
Je pouvais aussi partir à la découverte de nouvelles rues, explorant la ville par cercles concentriques à partir de la base de départ.
Jolimont étant construit sur une colline, je m’entraînais à monter les côtes de plus en plus vite, devenant un bon grimpeur, ce qui me permettait de gagner les courses, en montée, notamment l’ascension de la très pentue « côte Dessalles », caractérisée par un fort pourcentage.
Plus tard, j’irais au lycée en vélo, (un plus grand modèle), réalisant le parcours de 8 kilomètres en ville en un quart d’heure.
Piscines et Tennis
C’est plus tardivement, lors de l’adolescence, que je pus fréquenter les piscines toulousaines et jouer au tennis.
Pendant l’été toulousain, particulièrement chaud et ensoleillé, aller à la piscine était un privilège et un vrai plaisir.
La grande piscine municipale Alfred Nakache avec ses deux bassins adaptés au niveau des nageurs offrait de vastes possibilités. C’est en plongeant sous la cascade que j’appris à nager, et en utilisant les plongeoirs du bassin olympique à plonger.
Plus tard, j’utiliserai avec bonheur la piscine de l’EAT, à la Juncasse, à 10 minutes de la maison, pour améliorer mon endurance (brevet des 1000 mètres) et jouer au tennis sur les courts du club privé.
Les Copains, les Cousins
J’étais un enfant sociable, et j’adorais jouer avec les enfants de mon âge.
Dans le quartier populaire de Jolimont, tout le monde ne partait pas en vacances pendant 3 mois, il y avait toujours quelqu’un, ou quelqu’une, à aller voir ou à inviter pour jouer. Mes parents étaient ravis que je les invite.
Je me rendais souvent chez Pierre Séguier, un ami fidèle, mon second en classe, à l’école primaire, un rival qui savait me challenger. Il avait un petit jardin près de l’observatoire, et nous pratiquions ensemble des jeux d’eau, notamment dans un demi tonneau où nous jouions à provoquer des tourbillons.
Bernard et moi 1952
Il y avait aussi les frères Bentaberry, Jean et Marc, avec qui je jouais avec plaisir quand ils n’étaient pas en vacances à La Franqui Plage, près de Leucate.
Avec eux on pratiquait les sports les plus « virils », courses de vélo, football, et petite guerre avec des armes en bois faites sur mesure par un voisin menuisier…
Été 1952, mon père avec notre chien Pipo, ma mère avec mon frère Bernard sur les genoux, moi, et mon cousin Colpic, devant la maison des grands-parents au 27 rue Dessalles. Je viens d’avoir 8 ans.
Mon cousin Jean-Claude Garres, surnommé Colpic par mes soins, venait souvent passer quelques jours chez mes grands-parents, ses oncle et tante.
Son frère Gérard venait aussi mais moins souvent ainsi que leur sœur Éliane.
Il mangeait et couchait chez eux, sinon il passait tout son temps chez nous.
Un peu plus âgé, il apportait un vent nouveau, et appréciait la liberté de parole de notre famille, différente de la sienne, conservatrice et cléricale. Il se délectait de tous les sujets, notamment politiques et sociétaux, que mon père aimait développer.
Il se plongeait dans la bibliothèque riche de tous les livres interdits dans sa campagne d’Aussonne, notamment les Larousse Illustrés.
Le Tour de France et les Pronostics
Le mois de juillet à la maison, c’était l’assurance de pouvoir suivre le Tour de France à la radio. Nous écoutions religieusement les reportages de Georges Briquet et Jean Quittard, puis ceux passionnants et plus techniques de l’ancien coureur, Robert Chapatte, à partir de 1955.
Ayant du temps et de l’imagination, j’avais créé un système de pronostics sur le Tour de France. Chaque participant choisissait une liste de 15 coureurs, qui marquaient des points à chaque étape en fonction de la place obtenue aux divers classements : maillot jaune, maillot vert, maillot de meilleur grimpeur.
Les participants construisaient leur liste avec des sprinters (mon père), des grimpeurs, des coureurs complets, des baroudeurs.
Je crois que mon père ne prenait pas les meilleurs pour nous laisser gagner.
Et je me retrouvais souvent en compétition avec ma mère qui jouait aussi la gagne.
Tous les amis, parents, copains étaient invités à y participer. Il nous arriva d’être plus d’une douzaine à concourir.
Et bien sûr, je me régalais à calculer les résultats, et à informer chaque jour les participants de leur position au classement de l’étape et au général.
Les Concours de la Dépêche du Midi
On passait aussi beaucoup de temps à chercher les réponses aux questions posées par le journal local, La Dépêche du Midi.
Pour faire acheter le quotidien, une question était posée dans chaque numéro, tous les jours, pendant près de deux mois.
Si l’on finissait par trouver les réponses aux questions souvent alambiquées, il y avait toujours à la fin des questions ouvertes destinées à départager la masse des bons répondeurs, du type : « combien de participants au concours auront bien répondu à la question 15 ? ».
Ce qui rendait les résultats complètement hasardeux, et malgré l’opiniâtreté et l’acharnement de notre mère, nous n’avons jamais rien gagné !
Il nous en restera un certain enrichissement culturel, au gré des sujets abordés dans le concours, et du temps passé à chercher les réponses, sachant qu’à l’époque il n’y avait ni internet, ni Wikipédia. On se contentait des documents écrits, livres, journaux, rapports, etc.
L’échec de l’apprentissage de l’italien
Avec une mère italienne, et du temps libre à profusion, j’avais demandé à apprendre cette langue. D’autant plus que nous avions fait deux voyages en 52 et 53 pour rendre visite aux cousins italiens.
Mais ma mère rechignait pour plusieurs raisons, la principale étant que naturalisée française, elle voulait jouer le jeu à fond et avoir un comportement plus français qu’une française de souche. De là la volonté d’élever ses enfants dans la culture française de son mari et de son pays d’adoption. Elle voulait absolument que l’on ne puisse lui reprocher de faire la part trop belle à ses origines.
Dommage, car avec ma volonté et la facilité d’apprentissage d’une langue à cet âge, je parlerais aujourd’hui un excellent italien, sans être obligé de passer par l’anglais pour réserver des places à la Scala de Milan.
( à suivre…)
*photo titre : je chevauche mon petit vélo vert, mon frère Bernard est au volant de sa voiture de course rouge à pédales