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La pêche à la ligne et les sorties du dimanche

Anirem toutis à Pinsaguel,
pesca la carpo et lè barbel*
Chanté sur l’air du Chœur des Soldats du Faust de Gounod

Dans les gènes des toulousains on trouve tout d’abord celui de la pêche à la ligne.

C’est le sport national, que tout natif de la région, pratique, a pratiqué ou pratiquera un jour, hommes, femmes et enfants réunis.

C’était du moins le cas pendant mon enfance.

C’est un “sport” populaire, ouvert à toutes les bourses, et offrant des types de pêche adaptables aux goûts et aux possibilités de chacun, du solitaire sportif, au père de famille plus tranquille, de l’enfant malin au grand père plus sage…

Tout le monde connait la pêche à la ligne, qui constituait un sujet royal et plutôt consensuel.  La tendance à l’exagération des prises était admise, et cela faisait partie du jeu, certains poussant le bouchon plus loin que d’autres, dans le monde des “pescofis”.

Pêcher à la ligne était aussi une formidable occasion de sortir de chez soi et d’aller explorer la région toulousaine, qui offre des sites très variés, notamment dans les départements de la Haute Garonne, de l’Ariège, du Tarn et du Tarn et Garonne, tous situés à quelques dizaines de kilomètres de Jolimont.

Comme mes parents étaient des gens raisonnables, qui ne voulaient pas faire prendre de risque à leurs enfants, ils évitaient la Garonne, profonde et dangereuse, sauf l’été aux basses eaux, les rivières à fort courant, et privilégiaient les petites rivières d’accès facile, comme la Lèze ou l’Arize, qui descendant des Pyrénées, venaient confluer avec l’Ariège ou la Garonne à proximité de Toulouse. Nous aimions aussi, près de Revel, les lacs de St Férréol et du Lampy, et le Tarn à St Sulpice.

Un dimanche à la pêche, c’était l’assurance d’une belle journée en plein air, dans un site agréable, avec l’espoir de prendre beaucoup de poisson. Une vraie coupure avec la vie citadine et scolaire !

A 50 kilomètres, on trouvait des sites accueillant au bord de l’eau, où toute la famille pouvait s’installer en pleine nature, manger sur l’herbe, pêcher facilement des poissons pas trop gros, avec du matériel simple et peu coûteux.

Eté 1943 mes parents, Emma et André, à la pêche au bord du Tarn à St Sulpice. Je vais naître en juin 44

 Tant que nous n’avons pas possédé de voiture, mon père se débrouillait pour disposer le dimanche d’un véhicule emprunté à la Sncf : d’abord un fourgon 1000 kg Renault, puis le Tube, un fourgon tôlé Citroën. Tout le monde s’installait sur les sièges situés à l’avant à côté du chauffeur, et on disposait d’une vision panoramique sur le paysage. A cette époque, où peu de Français possédaient une voiture, c’était déjà un privilège!

La taille du véhicule permettait de transporter tous les impedimenta pour la pêche et le repas.

Il fallait du matériel, les cannes à pêche démontables en roseau ou en bambou, l’épuisette, le panier en osier contenant les bouchons (ou flotteurs) en liège et les plumes, les hameçons, le crin, les plombs pour lester le bas de ligne, et les appâts, essentiellement asticots ou vers rouges.

En arrivant sur le lieu de pêche, mon père “appâtait”, c’est-à-dire qu’il jetait dans l’eau, en amont de l’endroit choisi pour poser les gaules, un mélange de pâte à base de farine de blé agrémentée de diverses mixtures plus ou moins secrètes destinées à attirer le poisson, il y mettait parfois de l’anis. L’effet en était très variable, et plutôt faible si l’on se réfère aux bas niveau des prises…

Un des grands enseignements retirés de cette pratique, c’est l’apprentissage de la patience. Quand on pêche au “coup”, c’est-à-dire que l’on laisse le bouchon dériver au fil de l’eau, selon le courant, il peut se passer de longues minutes avant de sentir une touche. Et si l’eau n’est pas transparente, on ne sait pas si un quelconque poisson s’intéresse au vers ou à l’asticot accroché à l’hameçon. C’est une vraie école de patience. Quand l’eau est translucide, on peut voir le poisson s’intéresser à l’appât, et il est possible d’aller le lui mettre sous le nez, si l’on peut dire! Mais si on le voit, il peut aussi nous voir.

Tout change quand une touche se produit, la tension monte, le pouls accélère, l’instinct du chasseur/pêcheur resurgit. Il ne faut pas ferrer trop tôt, avant que le poisson n’ait mordu à l’hameçon, ni trop tard, car le poisson “suceur” a pu relâcher sa prise, ou le poisson vorace tout avaler, ce qui va entraîner une difficile opération pour extirper l’hameçon englouti profondément. Cela arrivait fréquemment avec les perches japonaises ou les poissons chat, poissons éminemment voraces.

Eté  1961  A la pêche à la Lèze. Josiane, mon père André, mon oncle Louis

 

Ces types de poissons se trouvaient surtout dans le canal du midi, on n’en trouvait pas dans les petites rivières pyrénéennes comme l’Arize ou la Lèze, nos préférées.

Qu’y prenait-on ?

Des goujons, des ablettes, des gardons, des vairons, appelés localement rabotes, et plus rarement, parce que plus gros, des sièges (vandoises) et des cabots (chevesnes). Les truites se trouvaient plus haut en montagne, et il était rare d’en attraper. Il fallait alors les rejeter, car elles n’avaient pas la taille minimale requise.

Goujons, ablettes et gardons permettaient de réaliser de belles petites fritures, que notre mère répugnait un peu à préparer au retour…. ce qui fait, que, à l’issue de la journée, les poissons survivants étaient rejetés à la rivière.

Eté 1961  A la pêche au bord de la Lèze, le déjeuner au bord de la rivière. Emma, Denise, Louis de dos, André debout, Bernard, Josiane , Roger, et la célèbre 4CV Renault 509 BY 31

 

La pêche était un sport éminemment familial, et tout le monde pouvait tremper son bout de ligne dans l’eau. Mais l’adresse n’étant pas la qualité la mieux partagée, certains avaient une propension à emmêler leurs crins, à se mélanger avec la ligne du voisin, ou à s’accrocher à une branche d’arbre. On pouvait aussi s’accrocher avec un obstacle gisant au fond de l’eau, et là c’était plus grave, car ne sachant pas de quoi il s’agissait, on finissait par tirer fort et par casser la ligne…

Démêlage des lignes embrouillées, ou reconstitution des bas de ligne cassés, toutes ces opérations prenaient beaucoup de temps, et c’est mon père qui s’y collait… les deux mains occupées par la réparation, et la cigarette navigant entre ses lèvres, ce qui ne l’empêchait pas de ponctuer sa conversation par des “Et bé, couillon” bien sentis….

Malgré tous ces impondérables, c’était lui le meilleur pêcheur de la famille.

Il avait une vraie culture de “pescofi”.

Mais il refusait de se mesurer aux pêcheurs passionnés, qui se levaient très tôt pour aller sur “les bons coups” afin d’attraper du gros : brèmes, cabots, tanches, carpes ou anguilles.

Il ne faisait pas partie de ceux qui “gonflaient” leurs prises, et sa modestie détonait dans ce milieu.

Il privilégiait la pêche en famille et c’était tant mieux pour nous.

La pêche était une fête, comme aurait pu l’écrire Hemingway, à double titre.

Quant à moi, je fus un pêcheur assez moyen, je prenais du poisson, mais sans plus….

Je réalisais ma plus belle prise en m’entraînant à Jouy-en-Josas avec une canne à lancer, tout en révisant un cours de droit avec Michel H. le brochet que je sortis de l’eau faisait la taille règlementaire, et je me souviens que cet exploit, “involontaire”, avait fort étonné le beau-père Fournier, qui lui en vrai pêcheur, consommait ses captures, ce qui a dégoûté à tout jamais Marie-Claire, mon épouse, du poisson de rivière…

En fait, la pêche n’était qu’un prétexte intelligent pour aller s’aérer le dimanche à la campagne, quitter l’appartement de Jolimont et découvrir un joli coin de la région toulousaine, tout en parcourant les belles routes départementales.

Les premiers repas étaient pris sur une simple couverture, assis par terre en tailleur, puis avec le temps, on s’est équipé avec du matériel de camping, tables et chaises pliantes (voir 3ème photo : été 1961).

Tout le monde n’était pas obligé de pêcher, les dames tricotaient, et les enfants pouvaient jouer aux cow-boys et aux indiens avec des figurines en plastique dans le sable au bord de la rivière.

La sieste après le repas, en plein air, était aussi fort agréable…

1955 Labarthe sur Lèze. Mon père André et moi, Roger (11 ans)

 

C’était finalement un loisir peu coûteux, populaire et familial qui a marqué de nombreux dimanches de notre enfance.  Il fallait être actif et débrouillard, patient et adroit, autant de qualités à développer en “jouant”.

Pour les enfants, c’était effectivement un jeu…..un jeu en pleine nature.

Au cours de ces journées champêtres, on avait le temps de découvrir par une observation “in situ”, la faune et la flore, toute cette vie qui se développe au bord des rivières.

Et le plus important, c’était pour nous les enfants de passer beaucoup de temps avec nos parents, dans un échange permanent dû à la pratique de la même activité, tout en bénéficiant d’un enseignement direct père/fils.

*Nous irons tous à Pinsaguel,
pêcher la carte et le barbeau