Créations

Et les filles

Oh les filles, oh les filles,
Elles me rendent marteau,
Oh les filles, oh les filles,
Moi je les aime trop.
Paroles de la chanson Oh les Filles par Au Bonheur des Dames

 Comment évoquer son enfance, sans parler des filles, peut être le sujet d’intérêt et de préoccupation le plus important ?

Comment la raconter sans traiter de cette interrogation permanente ?

Et comment passer sous silence cette longue succession d’amours diverses et platoniques?

Dans la rigueur morale des années 50, s’il était un sujet tabou, c’est bien celui-là. Il ne fallait pas en parler, et pourtant on y pensait tout le temps.

Quelques images de l’époque :

La mixité n’avait pas le droit de cité.

Les écoles étaient séparées, filles d’un côté, garçons de l’autre. C’était valable à l’école primaire, au collège et au lycée. Seules les maternelles échappaient à cette règle.

On ne parlait pas de sexe aux enfants. Au mieux on leur glissait un manuel lors de l’adolescence. Les parents ne savaient pas comment s’y prendre.

Ma mère, rouge comme une pivoine, a tenté d’aborder le sujet alors que j’avais déjà 19 ans, avant mon départ pour Londres. Je l’ai gentiment renvoyée dans ses 22, en lui expliquant qu’elle avait peut être une chance d’apprendre quelque chose à mon frère de 14 ans….

Certains avaient la chance d’avoir des sœurs, ce qui facilitait les choses. Je n’avais qu’un petit frère.

J’avais bien une cousine, mais on se voyait rarement, et elle avait reçu une éducation religieuse. Rien à espérer de ce côté là, je m’y suis cassé les dents.

Il y avait bien une voisine de mon âge plutôt sympa, mais ses parents montaient une garde vigilante.

Alors comment faire pour percer ce grand mystère ?

J’ai déjà évoqué le franc parler des mères de famille entre elles. Réunies, elles oubliaient vite notre présence, et se lançaient dans une évocation comparative de leurs problèmes spécifiquement féminins. Avec un peu d’imagination, et au risque de quelques erreurs de compréhension, on pouvait saisir  assez vite comment ça fonctionnait.

Il y avait les jeux puérils, pas si puérils que ça, et, quand on avait la chance d’avoir une fille sous la main, on adorait jouer au docteur…. Mais les occasions étaient rares.

Je passerai sous silence, toutes les histoires que se racontaient les garçons entre eux, la plupart ne volaient pas haut (histoires de Toto), et n’apportaient pas de vraies connaissances.

 

Le Larousse Illustré en 4 volumes

Il y avait cependant une vraie ouverture qualitative, le Larousse Illustré en 4 volumes,( le modèle acheté par mes parents).

Ce dictionnaire offrait une grande richesse d’informations de valeur, notamment au travers de planches artistiques, malheureusement le plus souvent en noir et blanc.

Heureusement que les artistes, peintres et sculpteurs, s’étaient intéressés à la femme, et qu’ils avaient su représenter des nus, d’une beauté à couper le souffle. Courbet n’y avait pas encore sa place, “La naissance du monde” n’y figurait pas, mais ses prédécesseurs avaient déjà réalisé des œuvres représentatives.

Antonio Canova, statue de Pauline Borghèse, sœur de Bonaparte

Grâce soit rendue à tous les grands sculpteurs grecs, romains, et italiens de le Renaissance aux temps modernes: ils ont laissé une belle image du corps de la femme! De L’Aphrodite de Praxitèle, qui fut le premier à représenter le nu féminin à Antonio Canova, et sa magnifique statue de Pauline Bonaparte, nous étions à l’école de la beauté.

 

 

Rien à voir avec la tristesse des corps féminins que nos jeunes découvrent aujourd’hui sur les réseaux sociaux.

Et dans ces dicos, il n’y avait pas que des images, il y avait aussi des textes….

Les parents s’étonnaient parfois de nous voir plongés dans ces gros bouquins, et ils ne pouvaient qu’apprécier notre soif de culture….

A l’époque, il n’y avait pas internet, et les livres étaient l’un des seuls recours, avec le cinéma.

 

L’Interdiction aux moins de 16 ans au cinéma

BB dans la Parisienne de Michel Boisrond en 1957

Mais une grande barrière se dressait devant nous, l’interdiction aux moins de 16 ans. C’est fou, ce que ce règlement administratif, a pu nous faire fantasmer, jusqu’à ce que nous puissions, ayant atteint l’âge, ou munis de cartes d’identité maquillées, franchir cet obstacle.

Premier film vu à l’âge de 14  ans, “La Parisienne” avec BB, film de Michel Boisrond, en 57.  Ce film était projeté dans un cinéma de quartier de la banlieue nord de Hambourg.  En 1958, je faisais “plus que mon âge” dans un pays de blonds, et j’étais rentré sans problème dans la salle. Ce fut une immense déception….Tout ça pour ça! Je me suis même demandé si le film n’avait pas été censuré, mais un deuxième film, vu un peu plus tard à Toulouse, m’a démontré que l’interdiction aux moins de 16 ans était surtout un artifice commercial pour attirer les naïfs, tout en donnant bonne conscience aux bien-pensants… Ce film m’a surtout permis de découvrir, “pour de vrai”, Brigitte Bardot, dont nous étions tous tombés amoureux… Que n’avons nous jalousé Jean-Louis Trintignant !

 

La Lecture

Savinien de Cyrano, dit de Bergerac, d’après un tableau de Zacharie Heince

Pour les livres, j’avais exploré la bibliothèque parentale, mais il n’y avait pas grand chose d’intéressant, “Les Chansons de Bylitis” de  Pierre Louÿs et “Les Métamorphoses d’Ovide”, m’ayant laissé sur ma faim. Mais j’avais la chance d’avoir accès à la bibliothèque de la Sncf. Je fréquentais la section enfants/adolescents.  A partir de 14 ans, prétextant des demandes de lectures de profs de français, j’arrivais à pénétrer dans la section adulte, pour dévorer dans un premier temps Zola et Cronin. Instructifs mais pas joyeux, je m’orientais assez vite vers des auteurs plus œcuméniques, comme Stendahl, Diderot, Camus, Sartre, et d’autres comme Pierre Benoît.

En fait, c’est une excellente prof de français, qui en troisième, m’avait conseillé de lire les œuvres de Cyrano et de Théophile de Viau.  Qu’un hommage lui soit rendu !

 

 

 

Les Poètes Maudits : les Symbolistes

Au lycée, nous avons eu la chance d’étudier la poésie, dont le trio des Symbolistes : Rimbaud, Baudelaire, et mon préféré Verlaine, dont j’admire toujours la simple beauté et la pureté des vers.

Le Ciel est par dessus le Toit,

Si beau, si calme

Un arbre, par dessus le toit,

Berce sa palme

(Sagesse 1881)

 

Mais c’est Baudelaire, qui nous fascinait le plus. Un titre comme “Les Fleurs du Mal” ne pouvait que nous attirer et nous nous plongions dans ses sonnets :

Là, tout n’est qu’ordre et beauté,

Luxe, calme et Volupté

Et nous connaissions par cœur la première strophe d'”Harmonie du Soir”:

Voici venir le temps où vibrant sur sa tige,

Chaque fleur s’évapore, ainsi qu’un encensoir;

Les sons et les Parfums tournent dans l’air du soir

Valse mélancolique, et langoureux vertige

                                   

 Les Amours d’Enfance

L’enfance est la période des grandes amours platoniques, et je me souviens d’avoir toujours été amoureux, déjà bien avant la maternelle.

Amoureux de personnes physiques, des filles du voisinage d’abord, où sujet à des amours imaginaires avec des princesses, que je m’empressais de sauver des griffes d’un dragon. Je baignais littéralement dans l’Amour Courtois et m’identifiais à ces héros chevaleresques, qui venaient sauver l’héroïne, et disparaissaient sans recevoir en récompense l’amour de la Belle.

Il y avait du Don Quichotte, mais sans avoir le moindre penchant pour Dulcinée, et aussi du Lucky Lucke, avant l’heure….

Nous étions tous de “poor lonesome cow-boys”!

C’était l’âge où les pulsions se subliment en des actes héroïques imaginaires.

La lecture des Contes et Légendes des Régions de France, n’y étaient pas non plus étrangère.

Eté 46  Peut être mon premier flirt, avec une voisine rue des 36 Pont – J’avais 2 ans. J’ai oublié son prénom.

 L’entrée au lycée pilote de Bellevue, enfin un établissement  mixte, allait permettre de rêver à des êtres  plus réels. Bien qu’elles dussent porter un tablier, certaines des filles de la classe avaient un certain pouvoir de séduction, et je me souviens d’avoir été en permanence amoureux de l’une d’elles, mais toujours en secret : je m’étais vite aperçu, que mes camarades, qui flirtaient avec des filles du lycée, allaient au devant de graves ennuis, les ruptures étant particulièrement difficiles à gérer. Je me suis donc toujours abstenu de dépasser le stade des relations amicales avec mes collègues féminines du lycée, ce qui m’arrangeait car j’étais d’une grande timidité, et incapable de déclarer ma flamme. C’était peut être mieux : ça m’obligeait à faire un transfert  sur les études et le sport.

Et je me rends compte aujourd’hui, que la beauté n’était pas forcément l’attrait principal, il y avait aussi l’empathie, et la gentillesse.

Parmi les figures qui nous attiraient, il y avait bien sûr les stars du cinéma.

Dans un premier temps, nous fûmes attirés par les actrices à fort développement mammaire, surtout les Jayne Mansfield, Gina Lollobrigida et d’autres belles italiennes. Il  s’agissait vraisemblablement d’un transfert de l’amour maternel sur la femme plutôt mûre.

 

Une Adolescence Compliquée

Passé le cap de la puberté, les choses devenaient plus compliquées.

Malgré le silence des parents et de tout l’environnement sociétal, nous avions vite compris qu’il y avait des risques et des barrières dangereuses à franchir.

Avant 68, il n’y avait pas de contraception, et l’avortement était illégal.

La seule méthode anti-conception était la méthode Ogino, du nom du célèbre docteur qui l’avait inventée. Elle avait le feu vert des autorités civiles et cléricales. Très peu fiable, son application a largement contribué à l’essor démographique de l’après-guerre…..Nombreux furent les enfants “Ogino”.

Le risque de faire un enfant par maladresse était grand. Beaucoup de mes camarades étaient tombés dans le panneau. Les conséquences étaient plus ou moins graves.

Dans le cas de mon collègue de seconde, fils du procureur de la république, et qui avait engrossé la bonne, papa avait arrangé l’affaire, comme au bon vieux temps de la bourgeoisie toute puissante, et ça le faisait beaucoup rire.

Dans d’autres cas, la seule solution était “la réparation”. Le “fautif” était tenu d’épouser sa “victime”….Combien de mariages malheureux ont été construits sur ce principe, et autant de vies gâchées….

Et puis il y avait les malins (et/ou malines), qui en se faisant faire(ou en faisant) un enfant, provoquaient le mariage.

Mais même cette solution était mal vue. Deux lycéens de la bourgeoisie entrepreneuriale, qui s’étaient mariés en 1ère après avoir eu un enfant, avaient été néanmoins exclus du lycée Bellevue, ce soi-disant lycée pilote.

Autant dire que pour les jeunes, les choses étaient compliquées.

Il ne faut pas chercher ailleurs les causes de mai 68. Il n’y avait rien de politique : nous voulions tout simplement la liberté sexuelle, la liberté pour les femmes de disposer de leur corps, et de choisir la date de la procréation.

 

La Presse Spécialisée et les Policiers

Adolescent, on arrive vite à apprécier des canons plus classiques, aidés en cela par la parution de revues nouvelles, comme Play-boy et Lui (La Revue de l’Homme Moderne ).

Lui va commencer à paraître en 1963, j’ai déjà 19 ans. Lui est devenu rapidement une lecture de base, que mon père venait me piquer en cachette.  J’y appréciais particulièrement les pin up dessinées par Aslan, et les articles sérieux et branchés.

C’était une revue de qualité.

Il y avait aussi une presse “vulgaire”, qui circulait sous les manteaux au lycée, et quelques livres soi-disant érotiques qui se lisaient en cachette. Mais nous préférions les bons romans policiers, avec une bonne dose d’érotisme, comme les œuvres de Jean Bruce. Nous nous identifions à son héros, Hubert Bonisseur de la Bath, alias OSS 117, à qui aucune espionne ne résistait….

Mais notre préférence allait au Commissaire San Antonio, de Frédéric Dard, qui alliait un humour basé sur les jeux de mot et une verve rabelaisienne.

Lire un San Antonio, en un peu plus d’une heure, c’était le meilleur dérivatif, pendant les périodes scolaires de forte intensité. Et j’avoue qu’il m’arrive parfois de tomber sur un San Antonio…..et de le lire, ce qui me fait rajeunir. J’ai à nouveau 16 ans.

 

La Littérature Erotique de Qualité

Sans que nous en soyons informés, une littérature érotique de qualité, annonciatrice des révolutions sexuelles à venir, avait fait son apparition en France.

Tout d’abord, en 56, c’est la sortie d”Histoire d’Ô” de Pauline Réage, puis en 59, la bombe “Emmanuelle”, d’Emmanuelle Arsan, suivie de “L’Anti-Vierge”.

Interdits à la vente, ces livres ne seront accessibles à un public averti, que quelques années plus tard. Je me souviens les avoir achetés chez Brentano’s, la célèbre librairie franco-anglaise de l’avenue de l’Opéra, en 1968. Il fallait alors les demander au libraire, qui vérifiait votre identité, avant d’aller les chercher dans l’arrière boutique, et de vous les empaqueter soigneusement….

Il faut bien avouer, que ce secret rehaussait énormément l’intérêt de ces livres : on avait le sentiment d’appartenir à un cercle d’initiés!

On était encore très loin de la vente en libre service!

 

La Bande Son

C’est Ben qui me rappelle l’importance de la bande-son, et il a entièrement raison.

La diffusion des vinyles 45, puis 33 tours, s’est rapidement développée au début des années 60, et la chanson allait jouer un rôle important dans le développement du sentiment amoureux, au moment même de notre adolescence.

François Hardy

Chacun de nous, en a conservé un souvenir marquant, et est encore en mesure de fredonner les paroles de ses préférées. Quelques exemples : Pour Jackson et Katia, couple d’amis depuis 1963, la chanson phare reste “Ma Vie” d’Alain Barrière. MC était inconditionnelle de Johnny Halliday, “Retiens la nuit”, accompagné de Sylvie Vartan “La plus Belle pour aller danser”, et de Marie Laforêt, dont elle a écouté des centaines de fois “Les Vendanges de l’Amour”. JJV était aussi un fan de Johnny, je me souviens de son adoration pour “Retiens le Nuit”. Ben cite Françoise Hardy, “Tous les Garçons et les Filles de mon Âge”, “Et j’entends siffler le Train”, de Richard Antony, ainsi que Johnny avec “l’Idole des jeunes”. Vous aurez remarqué la forte empreinte de Johnny, qui aura fortement marqué notre adolescence.

Pour moi, il me reste en mémoire l’un des airs les plus gais de Brassens :

Il suffit de passer le pont,

C’est tout de suite l’aventure,

Laisse moi tenir ton jupon,

J’ t’ emmèn’ visiter la nature.

Et les fantasmes de Nougaro “Sur l’écran noir de mes nuits blanches”, ainsi que  Fugain avec “Une Belle Histoire”

C’est un beau roman, c’est une belle histoire,

C’est une romance d’aujourd’hui.

Il rentrait chez lui, là haut, dans le brouillard.

Elle descendait dans le midi, le midi.

Ils se sont trouvés au bord du chemin

Sur l’autoroute des vacances

C’était sans doute un jour de chance

Ils avaient le ciel à portée de main

Un cadeau de la providence

Alors pourquoi penser au lendemain

Inutile d’écrire, que nous étions profondément marqués par les paroles de toutes ces chansons, qui traduisaient nos sentiments et nous permettaient d’exprimer nos joies et nos tristesses. C’est un âge où l’on est, hélas, plus souvent dans le spleen que dans l’exubérance.

Ces paroles sont en apparence faciles, mais rien n’est plus difficile que d’écrire une bonne chanson. Les compositeurs de chanson sont les vrais poètes du temps présent.  Et leurs paroles, mises en musique, se sont incrustées dans nos mémoires, et sont devenues les marqueurs de notre vie.

Un enfant du 21ème siècle aura sûrement beaucoup de mal à imaginer le contexte des années 50/60, le poids d’une morale étouffante, l’absence délibérée d’une éducation sexuelle minimale.

Il ne peut imaginer toutes les conséquences néfastes, qui en découlaient et ont longtemps pollué la vie de ses grands-parents.

Mais, malgré le poids de tous ces blocages sociétaux, l’époque avait néanmoins un certain charme, à condition de savoir déjouer les pièges, voire d’en jouer…

C’était le temps où nous étions jeunes !