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Cisella, ma grand-mère maternelle (la nonna)

Ma Grand Mère maternelle, Cisella, surnommée « la Baronne » par mon père fut une personne d’une discrétion étonnante, toujours en retrait, et toujours prête à rendre service.

Vêtue en sombre, à l’italienne, elle aura passé sa vie au service des autres, mari brutal, enfants, famille italienne qui en abusait, sans jamais s’accorder le moindre plaisir. Elle nous aimait en silence, n’avait jamais réussi à apprendre le français, parlait un mélange de patois italiens (mantovan et veronese), d’italien et de français, ce qui la rendait difficilement compréhensible en France comme en Italie. Avec mon frère nous expérimentions le « Baronnien », son langage qui nous amusait, et qui la faisait rire quand on l’utilisait (« A fat gnouls » pour « il y a de l’orage »). Mon père l’estimait et la protégeait, son rapport avec ma mère était assez conflictuel, personne d’autorité, ma mère avait du mal à accepter sa faiblesse et sa fuite devant les problèmes : « Ma… non so pa… (Mais… je ne sais pas…).

Elle nous adorait, mon frère Bernard et moi, et nous le lui rendions bien.

Nous n’avons jamais su les circonstances de sa rencontre avec Umberto, mariage arrangé après une déception amoureuse de ce dernier ? C’est ce que nous avons cru comprendre, car il n’y avait aucune trace du moindre sentiment entre eux. *

Un souvenir parmi d’autres, un jour elle arrive à Jolimont et nous raconte que quelqu’un lui avait offert une « tourtou » et qu’elle l’avait mise dans une cage… gros questionnement et vaste interrogation, nous avions du mal à concevoir une tortue dans une cage, mais connaissant le « baronnien » il fallait interpréter son vocabulaire approximatif sinon poétique. Il nous fallut pas mal de temps pour comprendre qu’il s’agissait en fait d’une tourterelle.

Cette anecdote montre la difficulté d’insertion de personnes immigrées à faible niveau scolaire. C’est pour cela qu’elle n’a pu que faire des ménages dans la famille italienne qui en profitait allègrement et qui la traitait de haut…..d’où les mauvaises relations de ma mère avec une partie des cousins italiens toulousains.

Janvier 1945 au 27 rue dessalles. Cisella Lui avec son petit fils Roger dans les bras

         Une fois séparée de son mari, elle vécut à mi-temps entre la France et l’Italie, elle se sentait mieux en Italie, mais ne pouvait y rester longtemps car les cousins lui demandaient de payer pour son logement et sa nourriture, et ils la renvoyaient en France quand elle avait dépensé ses maigres économies. En fait, à force d’exil, elle n’était plus chez elle nulle part.

1953 Les 3 sœurs Rossignoli : Cisella, née en 1900, Rosina, en 1911 et Elvira, en 1897

         Elle est morte à 92 ans dans une maison de retraite, où ma mère venait de la placer. Ce fut un drame, car ma mère ne pouvait plus s’en occuper, et elle a culpabilisé de s’en être « débarrassée »

S’il faut imaginer Sisyphe heureux, il faut beaucoup d’imagination pour imaginer, que ma grand-mère ait pu être heureuse, et pourtant, quand elle était avec nous, ses petits-enfants, elle était toujours souriante, toujours d’accord avec mon père, d’un fatalisme à toute épreuve, malgré les brusqueries de sa fille qui n’hésitait pas à la secouer pour la sortir de sa passivité.

Comment était-elle dans sa jeunesse ?  Je n’ai même pas de photos, où elle ait moins de 40 ans, et elle porte toujours le « fichu » des italiennes du temps. On peut imaginer une grande et belle jeune fille, au vu d’une photo de sa sœur Elvira jeune, avant qu’elle ne rentre dans l’enfer d’un mariage malheureux.

Elvira,  la sœur aînée de Cisella, jeune fille


*j’ai voulu approfondir la question et j’ai cherché l’acte de mariage entre Umberto et Cisella (orthographe initiale italienne).

Bien m’en a pris, car aucune date ne figurait sur l’arbre généalogique réalisé par ma mère, qui ne pouvait l’ignorer, ayant toujours eu pour mission de s’occuper des papiers de la famille. Et il y en eut beaucoup s’agissant d’une famille immigrée, l’administration française s’étant souvent montrée tâtillonne.

Les papiers étant chez Bernard, j’ai donc demandé à mon frère le rechercher ce fameux document, qu’il m’a envoyé aujourd’hui, 26 avril 17.

Et on y découvre que le mariage fut prononcé le 10 juin 1923, notre mère étant née le 19 août de la même année. Et pourtant les bans avaient été affichés fin janvier et début février. Connaissant le caractère obstiné de Umberto, et dans le contexte religieux de l’époque, on peut supposer qu’il y eut de l’eau dans le gaz, et beaucoup de difficultés à le conduire devant le

« monsignore » de Schivenoglia….D’autant plus que j’ai ouï dire que ses préférences allaient ailleurs….mais à l’époque, il fallait « réparer », ce qui a contribué à gâcher des millions de vies, dont celles de mes grands-parents.

On pourrait être tenté de faire un parallèle avec mes parents, mariés en janvier 1944, alors que je suis né le 29 juin de la même année. (J’ai toujours été fier de m’être invité au mariage de mes parents…). Mais la comparaison s’arrête là, car j’ai découvert dans les vieux papiers soigneusement classés, les échanges épistolaires entre André et Emma. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y avait entre eux un amour profond. Peut-être faut-il y voir une des raisons de mon caractère plutôt optimiste ?


Quelques exemples de langage “Baronnien”:

On va avoir dé la “mélèta sta soir”  (lettre de Bernard  30 /01 /66)

T’ago pas mal a la genciva? (lettre de Roger mai 65)

A fat temporal, variante :  A  fat gniouls… signifie “le temps est orageux”

On a ouna tourtou dans la cagea… il s’agit d’une tourterelle