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Chroniques virales – 16, 17, 18

Chapitre 16

2 avril 2020

Aujourd’hui, je n’écris pas.

Je rêve d’une écriture surréaliste, automatique, dadaïste. Du style, « Dieu est le plus court chemin de zéro à l’infini, dans un sens comme dans l’autre ».

Jouer au cadavre exquis. L’écriture automatique consiste à laisser le champ libre à son cerveau, notant toute pensée spontanée sur du papier avant que la logique ne s’en empare et ne la reformule.

« Le pain blanc secouera le sein oblong qui rit ».

Je vous ennuie ? N’ayez crainte, moi aussi je m’ennuie.

C’est long. Oui. Bien long. Pourtant on s’était dit que si l’on avait du temps…

On l’a. Le temps c’est long, surtout quand il est suspendu.

Je profite de ne rien faire pour écouter le bruit des touches de mon clavier. Normalement quand je vous écris mes textes, ce bruit est là, bien présent, mais je ne l’entends pas.

C’est rigolo le bruit du point ……. De temps en temps il y a le bruit d’un autre intrument. Le clic gauche de ma souris pour venir s’insérer dans la phrase précédente entre le n et le t d’intrument, le premier nt pas le nt qui termine le mot, celui-ci est correct. Non, le son du clic-clac de la souris qui me donne accès au mot intrument mal écrit pour y insérer un s. Sur-le-champ, l’instrument joue juste.

Je regarde mon clavier. La somme des possibilités est presque infinie. 26 lettres doublées par les majuscules, minuscules, et des chiffres de zéro à neuf. Les meilleurs dictionnaires de la langue française possèdent environ 90.000 mots. Avec ces mots nous avons écrit des millions de livres. Pas tous bons certes. Si la possibilité d’inventer des mots est infinie, cela nous laisse de l’espoir pour décrire ce que nous vivrons peut-être demain. Cela ne réglera pas les problèmes. Imaginer l’impensable n’est pas chose aisée.

C’est comme ce pauvre Apollinaire qui, le 17 mars 1916, est blessé à la tête par un éclat d’obus et trépané le 10 mai. Lui qui avec des combinaisons magiques de mots, écrira les plus beaux poèmes de la langue française, imaginant l’inimaginable, ne pourra jamais séduire définitivement sa muse, même avec « Poèmes à Lou ».

Il n’imaginera pas non plus mourir de la grippe espagnole. Saloperie de virus.

Je n’écris rien aujourd’hui et c’est bien de ne rien produire. Improductif. C’était un gros mot avant le confinement.

Je pense. C’est tout.

Je pense à ce Professeur Raoult et dans un demi-sommeil je pense à cette histoire.

Le vinaigre des quatre voleurs, également appelé vinaigre de Marseille fait partie de ces remèdes naturels anciens ayant été élaborés au XVème siècle dans le but de renforcer l’organisme et de lutter contre les maladies.  L’histoire raconte que chacun des quatre voleurs aurait contribué à la recette en choisissant des ingrédients qu’ils ajoutèrent à un pot de vinaigre à l’ail. Ils auraient ensuite bu ce mélange chaque jour, ce qui leur aurait permis de survivre à cette terrible épidémie de peste.

Inscrit au codex, il est encore commercialisé aujourd’hui contre les risques de contagion. Vrai !

Au moins ces quatre voleurs n’avaient pas à se soucier d’expérimentations longues et coûteuses. Ce professeur marseillais ne s’embête pas avec les normes. Avec ce qui a fait la science depuis 75 ans. La Preuve. Mais peut-être sommes-nous à un tournant. Allons-nous changer de paradigme ? Plus rien ne me surprend depuis que l’homme du pays le plus puissant du monde dit qu’il existe des « vérités alternatives ».

Ce qui m’ennuie le plus, chez le docteur Raoult, c’est son anti-parisianisme. Je suis toujours méfiant quand on stigmatise. L’inverse est vrai depuis la première guerre mondiale où les provençaux furent mis à l’index de la nation. Une grande banderole fabriquée par les supporters de l’OM en soutien au professeur me fait mauvaise impression. C’est un sentiment. Je vous l’accorde. Mais les nationalismes commencent de la même manière. La science n’a pas le temps pour ces querelles. Pasteur et Koch ont perdu un temps précieux à cause des rivalités entre la France et l’Allemagne, comme plus tard Einstein et Eddington, cette fois entre l’Angleterre et l’Allemagne. La science se fout des nations et de ses antagonismes. Elle est universelle comme les virus.

Autre chose me vient. Comme quoi quand on n’écrit pas, on pense sans mettre de forme. Le désordre s’installe dans ma tête. J’espère que le chaos ne suivra pas.

Comment se fait-il que notre Président ait employé ce vocabulaire guerrier ? N’avons-nous pas d’autres valeurs à mettre en exergue ? Il aurait pu, dû, lui le littéraire, faire appel au civisme, au dévouement du citoyen pour son pays ou pour la collectivité dans laquelle il vit.

Il aurait pu s’appuyer sur le monde associatif dont le PIB représente plus que l’agroalimentaire et l’agriculture réunis. Ce monde associatif qui connaît ce qu’est l’engagement. Souvent bénévole. Pourquoi toujours cet appel aux armes ? Mêmes factices. Nous traversons un moment difficile. Nous avons besoin à défaut de masque, de douceur, d’empathie, de solidarité dans les décisions.

Pourquoi, depuis le temps, n’avons-nous rien trouvé de mieux que de faire défiler des blindés et des avions de combat pour la fête nationale ? Quand ferons-nous défiler des militaires à pied, avec des infirmières, des pompiers, des éducateurs d’enfants trisomiques, des aides-soignantes, tout en faisant voler quelques Canadair au-dessus de Paris. On pourrait mettre aussi quelques chercheurs du CNRS sur des chars où trôneraient des labos, des mises en scènes d’études, d’expériences, ou, rêvons, des imprimantes 3D fabriquant des respirateurs en urgence. Quelques sportifs de renom venant se mêler à des éducateurs sportifs feraient tellement plaisir à tout le monde.  Une sorte de Human Pride. Ça aurait de la gueule. Quand ?

Monsieur le Président – allez on se tutoie – Manu, je suis sûr que ça te démangerait de faire ce changement. Je suis certain que tu t’éclaterais plus qu’avec ces sinistres décorés et galonnés. Vas-y tu peux le faire. Allez, appelle Beyoncé pour mettre l’ambiance dans les gradins du 14 juillet. Franchement que risques-tu ? Ce ne sera pas pire qu’avec Trump.

Ce président pourrait le faire. Lui qui aurait pu, s’il avait insisté, faire son service militaire. Il faisait partie des dernières classes avant la disparition du service militaire. Ressent-il un manque ou bien lui a-t-on donné la panoplie avec costume, les codes secrets et tuto du chef des armées ? Mais nous ne sommes pas en guerre et nous ne sommes pas des militaires. Parlez-nous avec des mots appropriés. Il y a de jolis mots dans notre langue, qui font de jolies phrases.

Paul Ricoeur. Ça vous parle Monsieur le Président ?

La question n’est pas d’accepter de mourir, mais d’accepter d’être né, de dire oui à soi-même“.

La guerre c’est autre chose.

Que c’est bon de ne rien écrire.

Juste avoir une pensée pour ma tante et se souvenir de sa joie de vivre.

 

Chapitre 17

17 mars 2020

Guillaume n’a pas d’internet, pas de télé, pas de téléphone. Il a un des métiers les plus admirés du moment, dans un monde hautement technologique.

Il a une bien belle famille. Sa femme, Jade, trois enfants. Camille, Louis et Piotr. Le soir quand ils se couchent, il ne les embrasse que rarement. Pas besoin de se toucher sans cesse pour savoir qu’un père, un mari, un enfant, une femme vous aime. Ils sont comme ça dans la famille. Des câlins par intermittence. Pas plus. Distanciation sociale.

Guillaume passe sa vie de travail dans un univers fait de chambres reliées par des couloirs éclairés jour et nuit, sans cesse. Parfois un couloir débouche devant une porte complètement sécurisée. Son badge ne lui en donne pas l’accès. C’est dans cette pièce, parait-il, que l’on sécurise notre monde.

Aujourd’hui dimanche ou mardi ? Il ne sait plus bien. Au bout de 68 jours de confinement, le cerveau commence à lui jouer des tours.

Il pense que l’on est dimanche. En se rasant il a senti une bonne odeur de croissant.

Jade a sorti les croissants du congélateur. On ne va pas chez le boulanger par ces temps. Un passage au four et la maisonnée est descendue se mettre autour du petit-déjeuner.  Les enfants sont heureux. Le confinement ne les éprouve pas trop.

Guillaume salue tout le monde d’un signe de tête, se sert un café court, et avale avec délicatesse ce croissant chaud, croustillant.

Il ne s’attarde pas et se lève pour rejoindre son travail.

Il est infirmier, il doit aujourd’hui recevoir des camarades de travail et faire des prélèvements sanguins. Il met son masque, son tablier, sa charlotte, ses sur-chaussures, ses gants et ses lunettes. Pas question de transmettre quoi que ce soit. L’étude en serait faussée et il faudrait attendre des jours pour pouvoir la refaire.

La journée sera longue et stressante. Ils sont deux avec sa collègue de travail Sylvie, qui ne sera pas de trop pour prélever 110 personnes, avec à chaque fois un remplacement complet de l’équipement de protection.

Le soir arrive. Il est 22 heures. Il s’est habillé chaudement pour sortir et rejoindre son chez-lui.

Droit les jambes tendues il sent le sol se cabrer imperceptiblement. Mais il connaît ce moment. Il l’apprécie plus que tout. Maintenant il doit serrer ses abdominaux pour contrecarrer l’inclinaison du sol. Cinq minutes plus tard le sol redevient droit. Le silence se fait.

Il entend le mécanisme de la porte principale s’ouvrir deux étages au-dessus. Un souffle d’air frais envahit les couloirs. Il respire à plein poumons. Il est dans un état de plénitude.

Le Suffren, SNLE, sous-marin nucléaire lanceur d’engins, vient de faire surface après soixante-neuf jours en isolement total.

Axel Roche, le pacha du sous-marin annonce aux cent-dix hommes d’équipage que depuis leur départ le 18 janvier une épidémie ravage la planète et qu’un confinement est imposé à la population. Ils ne pourront donc pas rejoindre leurs familles.

Le confinement se fera dans la caserne de l’Ile Longue pendant un temps indéterminé.

Guillaume remonte le col de son manteau d’officier, glisse la main dans sa poche droite, retire le mode avion de son téléphone, appelle en vidéo sa famille, prie qu’ils soient vivants.

Ils le sont.

 

Chapitre 18

20 mars 2021 (Fête des mots)

Mon père nous appela: « Lolo, Nico, Carmen venez ça va commencer ».

Il avait tout installé. Feuilles, stylos rangés sur la table du salon, comme à la communale.

Nico éclata de rire et refusa le jeu. La compétition, même avec une console de jeux, lui avait déjà coûté plusieurs écrans de télé. Par contre il prit nos téléphones et les glissa dans sa sacoche.

– Pas de triche, déclara-t-il sentencieux.

Nous allions faire la dictée de Pivot.

Chacun s’était inscrit via une application pour 5 euros. Cet argent serait directement reversé aux services de santé du pays.

Mon père était fébrile. Lui qui, durant l’épidémie, avait tenu une chronique qu’il croyait efficace et avisée, se pensait, secrètement, être un littéraire. On ne l’offusquait jamais, mais entre nous, nous l’appelions « toutous » à cause de cette faute répétitive dans ses écrits.

Bernard Pivot apparut, vieilli, mais sa diction était toujours là. Efficace.

Nous étions deux en compétition comme au bon vieux temps de nos matchs de tennis, papa et moi.

Il porta la main à son oreille droite, augmenta le son de ses appareils auditifs tout en me ressortant sa sempiternelle blague :

– La dernière fois à la dictée de Pivot, j’ai fait deux fautes. Une à dictée, l’autre à Pivot.

Elle me faisait toujours rire.

Mon père appela encore une fois Carmen. Elle déclina l’invitation, gardant une rancœur envers Pivot depuis l’affaire Gabriel Matzneff. Elle dit simplement sur un ton sarcastique :

– Le texte, c’est Matzneff ? Faut-il séparer l’homme de l’artiste ?

Et c’était reparti pour un tour. Elle était en mode Frida Kahlo.

Elle conclut définitivement ce monologue par un sarcastique :

– Emile Louis était un bon chauffeur de bus! Faut séparer! Faut séparer !

Mon père lâcha prise. La compétition valait bien ce repli stratégique.

Pivot démarra sa lecture dans un silence de cathédrale.

“Tel Fleming découvrant la pénicilline, Iwen jeune ingénieur en biologie moléculaire découvrit grâce à sa sérendipité, non pas un médicament pour sauver le monde, juste un principe actif qui fit oublier le virus.

Appuyé sur sa paillasse, maladroitement il renversa du coude un flacon au liquide capiteux, qu’il n’avoua jamais être une gnôle artisanale de son grand-père irlandais, d’où son prénom celte, qui valût à ce natif de Toulouse désagréments, gausseries, chinages et même sarcasmes.

Plus tard, bien plus tard, on retrouva dans des textes apocryphes un semblant de vérité sur cette découverte qui tenait de la légende. Le style coruscant de ces écrits n’en finissait pas d’éblouir les foules. Tant et si bien que la légende était devenue vérité. Irréfragable.

Heureusement que cette fameuse bouteille d’alcool n’était pas infrangible, sinon la découverte de ce pseudo antiviral serait restée confinée tel le génie de la lampe d’Aladin.

La bouteille se cassa et se déversa dans une boîte de Pétri dans laquelle était disposé de l’ARN; l’idée était d’injecter ces molécules correspondant à des protéines de coronavirus contre lequel on souhaitait immuniser le malade.”

Ici s’arrêtait la dictée pour les amateurs. Bien sûr mon père, se croyant dans l’autre catégorie, me poussa à continuer…  Pivot poursuivit :

“La gnôle et l’ARN se mélangèrent et aussitôt l’alacrité se répandit à tout le personnel du laboratoire, bien que l’odeur dégagée en soit fortement nidoreuse.

L’exhalaison mit tous ces jeunes-gens en extase. Il aurait pu y avoir une dichotomie entre les obséquieux craignant une objurgation de la direction du centre de recherches et les factieux de cet ordre établi. Non, tout le monde riait, se tapait sur les épaules, garçons et filles, sans ressentiment, et l’obduration des plus ténébreux disparue.

Même les pérégrins, d’habitude si discrets en ces temps de migrations contrôlées durement, se faisaient une joie de parler dans leur langue natale et, grâce à cet éther diffus, tous les comprenaient.

Le laboratoire baignait, du fait de cet élixir de forme hydro-alcoolique vaporisé dans toute la pièce, dans une sorte de nirvana holistique.

Iwen ne fît pas une présentation exhaustive devant l’académie des sciences et de fait ne ressentit aucune prévarication qui aurait due l’envahir en temps normal. Il déposa un brevet mondial. Le médicament sous forme de spray nasal ne coûtait que fort peu cher. Il était distribué uniquement par l’OMS lors de grandes épidémies. Les gens périssaient pareillement. Mais le rire et la bonne humeur généralisée faisaient oublier ces moments de désespoir.

Iwen ne pût jamais se marier avec son Isabelle, belle, grande, aux cheveux flavescents. Un obstacle dirimant venant de son ex-futur beau-père en était la cause : il avait perdu l’odorat et ne pouvait se résoudre à partager ces moments de liesse chimériques et, vus de l’extérieur, à vrai dire, sinoques.”

L’épreuve était terminée. Mon père était en nage. Je le retrouvais tel qu’il était vingt ans auparavant.

Le maître des mots nous accorda cinq minutes de relecture.

Puis à l’aide de l’application, nous envoyâmes la photo de nos copies.

Le retour corrigé fut instantané et nous découvrîmes le nombre de nos fautes.

Papa 18.

Moi 10.

Je vis les yeux de mon père pleins d’admiration.

Bien des années plus tard, lisant La gloire de mon père, je compris que des faits, en apparence mineurs, peuvent remplir de joie ceux que nous aimons.

Un dessin, une daube préparée avec amour, une partie d’échecs, une journée de ski avec son père, une séance de cinéma avec sa mère, le montage d’un meuble suédois avec son oncle, une partie de chasse au lièvre partagée, tous ces petits riens, pour nous, peuvent avoir de la valeur pour les autres.

Une sorte de brocante des sentiments.