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Chroniques confinées (II)

Avoir 20 ans en 2020 (19 avril)

Pardon pour les vieux, ce qui leur arrive, dans les EHPAD français ou les homes belges est un scandale. Ce ne sont plus des mouroirs mais des centres d’extermination. Confiner dans des clusters des personnes fragiles, sans protection digne, ce n’est pas de la non-assistance à personnes en danger, ce des coups et blessures viraux entrainant la mort avec plus que probablement l’intention de la donner.

Pardon pour les vieux, mais là je vais parler des jeunes : Foutez-leur la paix ! Je viens de recevoir un mail de notre direction envoyé à tous les profs. Il y est rappelé que nous ne pouvons pas donner de nouvelle matière, que nous faisons de la remédiation, que le but est surtout de garder un lien avec les élèves de manière bienveillante. Nous ne sommes pas en France où l’obsession est de ne surtout pas foutre la paix aux enfants, en plus du stress, ils doivent travailler huit heures par jour plus les devoirs. En Belgique, les consignes sont beaucoup plus cool et empathiques. Et voilà que des profs se sont plaints du manque de retour des élèves, obligeant la direction à rappeler que nous et donc eux aussi, vivons une situation particulière.

Vous ne croyez pas que ce doit être déjà assez dur comme ça pour eux ?!

Moi j’ai eu 20 ans en 1989, du bon côté. Je suis allé à Berlin pour casser des bouts de mur et prendre quelques jolies photos. Quelques temps plus tard, j’ai visité Moscou, Zagorsk (Sergueï posad) et St Pétersbourg. Au Bolchoï, je me suis gavé de caviar à l’entracte, ça ne coûtait rien…avoir 20 ans en 1989. A Leningrad j’ai acheté un service en argent à un vieux monsieur qui le vendait dans la rue, j’ai bien marchandé, je l’ai eu pour vraiment rien. D’ailleurs je ne sais plus où je l’ai mis, j’ai un autre service en argent, de ma liste de mariage, plus à mon goût…la roue tourne, qui me garantit que je ne le vendrai pas dans la rue ou sur eBay d’ici peu ? Que le mur semble loin ! Qu’est-ce qu’il nous protégeait au fond !

J’avais 20 ans en 1989, j’étais un jeune con occidental (pléonasme). J’étais un vainqueur d’une histoire destinée à se finir et à se figer dans un capitalisme heureux et triomphant. Les perspectives étaient joyeuses, la vie allait devenir meilleure, la vie allait devenir plus belle !

Avoir 20 ans en 2020, confiné, emmuré chez ses parents, montrés du doigt comme potentiel criminel si on ne respecte pas le confinement, montré du doigt par tous les autres, tous ceux qui ont plus de 45 ans…lutte des classes d’âge.

A l’âge où on a le cœur plus gros que les yeux, il faut se confiner, à l’âge où on n’est pas sérieux, il faut prendre soin des autres. A l’âge de l’insouciance joyeuse et égoïste, de l’enivrante liberté, à l’âge où il faut quitter le nid, voler de ses propres ailes il faut partager les angoisses de parents devenus des vieillards en puissance face au virus qui rode.

A l’âge de l’envol, on fait tout (devoirs, cours à distance par power point chronophage etc.) pour les enchainer à leur PC et mettre en cage leurs rêves.

Qui comptabilisera les victimes de ces envols arrêtés ?

 

Le principe de précaution et le Haïku

Nos sociétés occidentales modernes sont-elles confinées ou confites ? Confites de conformisme, de confort et de peur de la mort. La crise actuelle, l’effacement du politique au profit des experts scientifiques, la volonté contreproductive de protéger tout le monde, ne marquent-ils pas la limite du principe de précaution ?

Un haïku est une intuition poétique japonaise. En voici un :

Ta vie te tuera
Par principe de précaution
Evite de naître

 

Tout est nombre (22 avril).

Il paraît qu’un philosophe grec aurait dit ça[i]. La philosophe Ana Arendt a écrit : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez ».

Nous y sommes, nous ne croyons plus à rien, le n’importe quoi atteint même les nombres. Nous sommes tous comme Winston face à O’Brien dans le roman « 1984 ». Nous voyons danser les doigts de la mort devant nos yeux et ne sommes plus si sûrs que 2+2=4.

Plus 700 morts en une journée, mais la courbe se tasse, c’est un pic, que dis-je c’est un pic ? C’est un plateau, c’est une deuxième vague ! Le nombre de morts augmente, mais moins vite. Ici on ne compte que les hospitalisés, là on teste à tour de bras, là encore on tend vers zéro, on ne teste personne. Nous sommes tous devenus des algébros-géomètres, nous jonglons avec le zéro et l’infini, relativisons les chiffres.  J’ai mille morts ici, oui mais j’ai un enfant de cinq ans là !  Poker indécent.

On ne sait plus que penser, qui croire, tout est mouvant, comme un mur de Facebook en feed perpétuel.

On essaie pourtant, on choisit son camp comme on s’accroche aux branches, Dr Raoult versus version officielle. Mais la chute est à peine ralentie.

Le problème n’est plus que nous sommes désormais prêts à croire n’importe qui, mais que la moindre certitude glisse comme du sable entre nos poings crispés.

 

 

 

 

[i] Pythagore