Événements

Jean Dufournet in memoriam

 

Jean Dufournet, 1932-2012

Le 5 mai 2012, le grand médiéviste Jean Dufournet nous a quitté. Il fut membre de mon jury de thèse et l’un des premiers à publier mes articles. Je reproduis ici in extenso le discours d’hommage que j’avais envoyé à l’occasion d’une cérémonie l’honorant à l’université de la Sorbonne.

 Cher Jean Dufournet,

je vous adresse ces quelques mots pour témoigner de mon affection et de mon admiration, toujours vivantes après tant d’années; toujours vivantes après notre première rencontre à Paris, et après une mémorable soutenance de thèse où vous montrâtes tant d’équité, d’équanimité, de patience et de profondeur. À la revue Le Moyen-Âge, vous accueillîtes avec enthousiasme et une grande ouverture d’esprit des articles qui étaient parmi mes premières tentatives de médiéviste. Vous soutîntes sans faille ma candidature à des postes outre Atlantique.  En un mot, je vous dois à foison en termes professionnels et surtout intellectuels.

 Mais ce n’est pas cette dette que voudrais aujourd’hui honorer. Ce n’est pas à votre œuvre non plus que je voudrais adresser cet éloge. D’autres l’ont célébrée et la célébreront dans le futur : ils témoigneront de son ampleur, de sa profondeur, de ses innovations, de son ouverture, de son immense érudition, enfin et surtout de son amour vivant pour toutes les cultures, pour tous les écrivains auxquels vous avez apporté vos lumières et une compréhension recommencée ; pour accomplir ce que vous avez achevé, il faut un cœur gai et persévérant, une intelligence tout à la fois aiguë et ouverte, et une curiosité d’esprit insatiable. Au risque d’offenser votre naturelle modestie, je dirai que n’importe quel chercheur pourrait garder la tête haute, n’eût-il publié qu’un dixième de votre grande œuvre.

Non, ma louange s’adresse à l’homme que vous futes, dont l’exemple a fait leçon pour moi à travers le temps, et m’inspire encore aujourd’hui, bien que je ne m’y égale que fort imparfaitement.

Dans une communauté souvent fermée et jalouse, vous tranchiez par votre admirable gentillesse, votre réelle bonté, la générosité admirable de votre accueil, votre simplicité,  aristocratique car elle relevait de la hauteur de vos vues, la persévérance avec laquelle vous encouragiez de jeunes talents, votre ouverture à l’autre, à la différence d’opinion, votre passion indéniable pour le débat d’idées où votre interlocuteur se sentait toujours à l’aise et respecté, vos encouragements si désintéressés à aller de l’avant, à progresser dans la pensée et l’écriture. Qualités morales si rares, si dignes d’éloge, si difficiles à pratiquer quotidiennement! Et pourtant si nécessaires! C’est par là, conjointement à votre œuvre, que je me souviens de vous, c’est par là que vous marquez d’une empreinte indélébile ceux qui ont le privilège de vous connaître. Vous avez écrit encore beaucoup plus de livres que vous ne le croyez : ces livres, ce sont vos disciples, élèves et amis, hommage de chair et d’os aux nobles valeurs que vous incarniez.

Mon épouse Kate, qui garde un souvenir tout aussi lumineux que moi de ses rencontres avec vous, se joint à moi pour vous dire :

De tout cœur, merci, cher Jean Dufournet!

Alexandre Leupin

Professeur distingué au département d’Études françaises à l’université de Louisiane (LSU)