blanche canne qui déchausse précoces arpentages et bat paupières de toutes saisons d’enfance blanche canne pour enfin recoudre le fil liant mes cahiers pubères ils fleurent colle décatie annoncent l’éloge de la mangrove que j’esquisserai par encre de Chine et d’alluvions au défilé du parler vrai sais-tu que j’ai longtemps archivé chacune de mes démences à pas cloutés sur les récoltes anémones de ta margelle mes pains d’épices aux senteurs anonymes et croupes affamées errent encor ébahis sous spasmes rieurs de l’Autan telles miennes paroles jadis proférées me ramènent jour après jour à l’anastrophe de la mangrove
en toi je plie déplie replie folles oraisons à défaufiler surplis élimés d’insanes et bacchantes messes dans la matrice dévêtue des mots je rallume élémentaire cens de vie je le recouds à mienne déperdition des sens en toi s’étale mon staccato mes fêlures boomerangs madrées te font la nique elles longent le Saint-Laurent bifurquent par Trois-Rivières et Québec jusqu’au ponton de La Guinaudée ô rituel d’épissures contre le clapotis de tes ils désormais ma langue ballerine ne conjugue sur ton sas que liminaires suppliques
et voici que pour chaque note de l’éloge j’ouvre voix au syllabaire du jour passant à pieds fertiles tant de frontières délavées j’ourle leurs langues voyageuses elles copulent depuis la nuit des temps aux lisières du Poème j’y ai souvent troqué mes silences statufiés mes mots-chrysalide mes épigrammes de mémorielle migrance légués par l’aïeul du premier patronyme qui longea Poème du décours au Tropique Sud du Génois chevauchant les caravelles gavées d’or de la Reina sabre au clair sur la nuque offerte du Taïno sabre au pair dans le ventre si festif de la Peule mais comment Découdre le désastre éfaufiler les malédictions enchaînées comment ramoner mon chant de chaude lune adossé aux caïeux prodigues des palétuviers lorsque chancelantes mes mains sur la farandole d’un compas cherchent labile quitus de soi
c’est par le chant de l’autre aïeul du second patronyme ayant jeune quitté le Monte Cinto en italienne Corse que défila l’éloge de la mangrove un jour provisionné d’aventures et de bois-debout en carafe par périlleuse traversée en aller simple entre Naples Rome Nantes Basse-Terre et Jacmel lui partant chamarré pour les isles à sucre il gaule l’autre engagé de première classe qui veille dans les cales des vaisseau du roy la geste désespérée des Nubiles défiant par dessus bord dans l’infâme traversée des voies salées la malédiction des neuf mois ventrus
ainsi fut confié au Nordé sous seing sacré et bribes hachurées le ludique et mâle éloge de la mangrove y voir sans doute par l’halètement de mon Poème somnambules pentacles au long bras des palétuviers les jeux de mains de l’enfance y ont laissé leurs traces en confection de signes et de sens à l’appel du Temps sans lettres patentes il prit pourtant le large sache ô secrète Amande que c’est dans les plissures de ta langue au calendrier des jours étonnés que cette fable de migrance me fut aussi contée elle rit et rit sous cape et bruisse encor de ses arabesques de ses notes de ses médiales césures
tu dis la mangrove est dans la ville ô dans la ville ô elle étale sous vifs néons la grammaire des cités au rut du béton du verre de l’acier des gratte-ciels espiègles des venelles transies de passions de fiel et de miel en leurs ondulations sous trémulements ébahis entre hautes et basses fréquences où s’accordent toutes bacchanales des formes et du Sens à l’abordage si longtemps prémédité des sens elles ourdissent symphonies éclatées du bâti à ces carrefours se sont croisés festifs piccolos de vie destins aurifères liturgies d’autrefois dans l’aristocratie des matrices qu’ignée ma langue butineuse sillonne de jour de nuit et tu dis désormais nos respirs nos rêves nos voix dansent volutes de pixels de Google à Facebook en toutes langues du Poème
c’est par l’ample artère saline qu’ils mènent vers toi prologue estuaire où s’accouplent les eaux duelles la vase les palétuviers les échasses les alluvions les fougères les mangliers les crabes sémaphores à l’abandon des signes manchots et pour délier mes cahiers d’écolier contrer mortifères râles qui bradent sur criques voraces la forge des métaphores je les cueille au cens et les préserve sous ta langue et au sortir d’un tel songe j’élonge urbaines travées de mangrove ah voici que ton ombre badine encor me file entre les doigts
à célébrer mangroves en rituelles nuaisons et exorde du Poème j’embrasse ma ville j’honore la sève amante des commas et des elfes qui coule dans ses artères de néon je redessine ses palétuviers ses érables centenaires dans la clémente tendresse du Mont-Royal qui nuit et jour veille l’île où dort quiètement L’homme rapaillé et sous la dictée d’hurlantes congères j’emprunte l’alphabet de tes paupières un à un j’y moissonne mes petits mythes quotidiens codés dans l’insane fébrilité de Twitter j’y récolte mes béquilles pour étrenner chacune de tes fêlures les miennes égaillées d’un rauque rire ont déjà pris congé d’aubépines
Montréal, avril 2015
Robert BERROUËT-ORIOL est l’auteur de « Poème du décours » (Éditions Triptyque, grand Prix de poésie du Livre insulaire 2010 à Ouessant. « Éloge de la mangrove » (Éditions Triptyque, 2015) est son recueil le plus récent.