Wim Wenders pratique diverses formes cinématographiques, dont le documentaire. On se souvient de Buenavista Social Club (1999) dans lequel le réalisateur a mis en relief certains protagonistes d’une musique cubaine alors en voie de disparition. Le Sel de la terre présente l’œuvre et la vie de Sebastiao Salgado, photographe mondialement connu pour ses portraits en noir et blanc réalisés dans les coins les plus reculés de la planète. Il y a de l’ethnographe chez Salgado avec néanmoins une préoccupation esthétique toujours présente. Certaines de ses photos qui témoignent avec une extraordinaire acuité du tragique de la condition humaine sont devenues des « icones ». Plutôt qu’un voleur d’images, comme le sont tant de photographes pressés, il préfère s’immerger, souvent pendant des semaines voire des mois, dans une communauté avant de prendre ses clichés, une attitude respectueuse qui contribue sans nul doute à la pertinence de son œuvre. Des livres, des expositions permettent de prendre connaissance avec elle, aussi peut-on se demander si un film était bien nécessaire. En fait, oui : sur le grand écran du cinéma les photos de Salgado prennent encore plus de force.
Le film aborde divers aspects de la vie de Salgado et pas seulement son œuvre. Certaines séquences, filmées par son fils aîné, Juliano, le montrent au travail sur les terrains les plus improbables, par exemple en Papouasie ou en Amazonie auprès des peuples premiers, ou sur une île perdue au nord de la Sibérie, à la recherche d’une colonie de morses. Néanmoins on retient surtout les photos qu’il a rapportées de l’Afrique malade, que ce soit de la sécheresse au Sahel ou des guerres civiles au Rwanda ou ailleurs. La violence de certains clichés est insoutenable. Déjà les premières images montrant les Brésiliens animés par la maudite soif de l’or (auri sacra fames) qui transportent à dos d’homme des sacs de terre sur de fragiles échelles donnaient de l’humanité une vision peu engageante. Alors que dire de ces Africains condamnés à se regrouper dans des camps pour y mourir de faim ou de soif ? La poursuite des guerres civiles en Afrique avec les enfants soldats, les viols et les massacres en série, de même que les exactions des islamistes en Afrique encore ou au Moyen-Orient, nous prouvent que les images de Salgado sont hélas, toujours d’actualité : au contraire, il semblerait que la barbarie se répande à nouveau. À cet égard, des photos-reportages comme ceux de Salgado jouent un rôle utile, bien au-delà de l’esthétique, s’ils peuvent nous aider à prendre davantage conscience de l’horreur à laquelle tant d’humains semblent condamnés et, dans un second temps, à nous mobiliser pour qu’elle prenne fin.