Chroniques Comptes-rendus

45ème Festival de Piano de La Roque d’Anthéron – La Nuit de la Musique Américaine – Une Rhapsodie in Blue Exceptionnelle – Le Grand Succès de Paul Lay avec son Trio et le Sinfonia de Varsovie -direction Jean François Verdié

 

L’affiche de cette soirée du 14 août était alléchante, consacrée presque exclusivement à Gershwin, avec une touche de Marquèz, pour justifier la dénomination de « Nuit de la Musique Américaine ».

Et en action, 2 pianistes de renom, Frank Braley et Paul Lay, accompagnés par le Sinfonia de Varsovie, cet orchestre polonais qui nous régale chaque été, dirigé cette année par Jean François Verdier.

Le public ne s’y est pas trompé, le grand auditorium du parc du Château de Florans était comble (environ 1400 places).

Disons-le tout de suite, c’est la deuxième partie qui nous a enchantés.

Paul Lay annonce tout de suite la couleur, il s’agit, en accord avec le directeur du festival, René Martin, de jouer la Rhapsodie comme elle a pu l’être lors de sa création, avec une forte dose d’improvisation : des solos de piano, basse, contrebasse, clarinette et saxophones venant émailler le cours du morceau.

Un premier essai a été réalisé aux Folles journées de Nantes en 2025.

Paul Lay annonce qu’il improvisera sur des cadences originales.

Il s’agit de se replonger dans les conditions de la création de la Rhapsodie.

Il n’existe aucun enregistrement de cette première fois où fut jouée la Rhapsodie, en février 1924, à moitié improvisée au piano le soir du concert, avec l’orchestre de jazz symphonique.

La première version enregistrée le fut en 1927, jouée par Gershwin lui-même et déjà réorchestrée.

La version symphonique définitive, que l’on connaît aujourd’hui, le fut en 1942.

Inclure des solos dans le jeu de la symphonie est certes un retour aux sources du jazz, mais aussi du classique. Il faut se souvenir que les mélomanes allaient écouter Mozart et Beethoven, non pour entendre des œuvres déjà connues et figées pour l’éternité, mais surtout pour leurs improvisations.

Et oui, il y a deux siècles c’est l’improvisation qui dominait, qualité reprise par la musique de jazz.

Il y a toujours un risque à vouloir « revisiter » les œuvres, mais dans le cas présent, s’agissant d’un retour aux sources, ce fut un succès, que dis-je, un triomphe !

Espérons qu’il y a eu une captation de cette réalisation, sinon, comme jadis, cette prestation restera uniquement dans les mémoires des heureux chanceux qui ont pu y assister.

Ce succès doit beaucoup à la personnalité et à la créativité de Paul Lay.

N’ayant pas eu l’occasion de l’écouter auparavant, c’était pour nous une découverte.

Arborant une veste pailletée sur un pantalon noir, chaussé de baskets, Il fait une entrée de rock star, détonant dans ce milieu « classique », entouré des 2 membres de son trio, Clemens van der Feen, contrebasse, et Donald Kontomanou, batterie, à la tenue plus classique.

Il joue comme un jazzman imprégné de classique.

La musique de Gershwin est idéale pour ce type de jeu.

Sa main droite est célèbre pour son « agilité ».

Natif d’Orthez, âgé de 41 ans, passé par les conservatoires de Toulouse et Paris, il a une double culture classique et jazz qui imprègne ses compositions.

Il est depuis 2022 professeur de piano jazz au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris.

En complète harmonie avec le chef d’orchestre Jean François Verdié, avec qui le contact est permanent, il domine son piano, swingue allègrement, prend parfois des postures à la Ray Charles, car il est obligé de se déhancher pour communiquer avec ses 2 collègues, placés malencontreusement dans son dos.

Ceux-ci prennent le relais pour des solos bien tournés, notamment Clemens Van Der Feen qui excelle avec sa contrebasse, sous l’œil admiratif et concupiscent du contrebassiste polonais de l’orchestre.

Certains musiciens du Sinfonia ont plus de chance, ils ont le droit d’exécuter un ou plusieurs solos, notamment les trois saxophonistes et le clarinettiste. Voilà qui les change de l’ordinaire !

Enthousiasmés, les spectateurs (une grande partie) swinguent sur leur siège.

Ils ont également l’occasion de le faire pendant les 3 autres pièces de Gershwin :

-It ain’t necessarily so et Summertime, extraits de Porgy and Bess

-Nice work if you can get it, chanson composée par Georges sur des paroles de Ira Gershwin

Le trio : Donald Kontomanou, batterie, Paul Lay, piano et Clemens Van der Feen, contrebasse

Après une deuxième partie d’une telle intensité, nous ne pouvions que repartir la tête dans les étoiles, après cette admirable soirée consacrée à Gershwin et à la musique américaine.

Un mot sur la première partie, où le pianiste français Frank Braley interprétait le concerto en fa de Gershwin, avec le Sinfonia de Varsovie.

Curieusement, il s’est passé de longues minutes avant que le chef et le pianiste n’entrent en scène : explication de texte laborieuse ?

Frank Braley, 2 heures avant le spectacle

Durant le concerto, le chef et le pianiste n’ont pas échangé un seul regard, chacun faisant son chemin indépendamment de l’autre.

Si non entendait bien le jeu classique du Sinfonia, on percevait mal la musique du pianiste, étouffée par l’orchestre.

Au moment du salut, Frank Braley, jugeant sa prestation insuffisante ou le public fort peu enthousiaste, (applaudissements polis), est parti sans effectuer le moindre bis, ce qui est rarissime à La Roque.

Heureusement cette première partie se termina sur une interprétation réussie et endiablée de Danzon n°2 du compositeur mexicain Marquèz.

Un bel entracte d’une heure pouvait débuter, dans la douce nuit provençale, curieusement désertée par les cigales…

Le Programme

20h
Frank Braley piano
Sinfonia Varsovia
Jean-François Verdier direction
Gershwin : Concerto en fa pour piano et orchestre
Márquez : Danzón n°2

22h
Paul Lay piano
Clemens van der Feen contrebasse
Donald Kontomanou batterie
Sinfonia Varsovia
Jean-François Verdier direction
Gershwin :
Nice work if you can get it, It ain’t necessarily so, Rhapsody in Blue, Summertime (arrangements pour trio de jazz et orchestre de P. Lay)